Sur les communes de Mesnil-Saint-Nicaise et Nesle (Somme). Préalablement à la construction d'une plateforme multimodale liée au canal Seine-Nord Europe, un diagnostic mené en 2009 par Véronique Harnay sur les communes de Nesle et Mesnil-Saint-Nicaise avait révélé l'emplacement d'un temple à galerie périphérique.

Dernière modification
10 mai 2016

La fouille préventive a été prescrite sur le fond de vallon proprement dit et sur le plateau au nord, où avaient été repérées des structures pouvant répondre aux questionnements sur l'environnement immédiat de ce temple.
La fouille a confirmé la fourchette chronologique présumée pour l'ensemble lors du diagnostic : du Ier siècle au tout début du IVe siècle de notre ère.

Un temple en milieu rural

Un temple à galerie périphérique s'est implanté, vraisemblablement au milieu du IIe siècle, sur le bas du versant nord, à proximité du fond de vallon. La puissance inhabituelle des niveaux de sols et colluvions à cet endroit a permis la préservation de tous les niveaux archéologiques sur une surface de 5 000 m2.

L'opération à mis en évidence plusieurs états de construction/réfection du temple, ainsi que des bâtiments et aménagements annexes. La fouille de la périphérie immédiate du temple a permis de cerner un espace lié à une activité cultuelle (nombreuses monnaies, dépôts de vases entiers et d'animaux). De même, les autres aménagements architecturaux font entrevoir non seulement un environnement en relation avec l'activité cultuelle du site, mais aussi les traces d'une occupation humaine contemporaine (fours, celliers, caves, objets révélateurs d'une activité artisanale).

Au fond de deux puits, de précieuses informations

Deux puits antiques associés au temple ont été fouillés dans leurs 5 premiers mètres par l'Inrap, à l'aide d'engins mécaniques, puis par la société Archéopuits, spécialisée dans l'excavation de ce type de structures et capable d'allier exigences scientifiques et sécurité. Des puisatiers ont ainsi fouillé manuellement jusqu'au fond des puits, c'est-à-dire à 15,5 m de profondeur.

Tous les objets qui y ont été recueillis ont fait ensuite l'objet d'études particulières. Un protocole de conservation a été mis en place pour les plus fragiles, ceux en métal, en bois ou en cuir, comme une chaussure cloutée, appelée caliga, extraite du premier puits. Pour les objets en bois, un xylologue a déterminé les essences des bois utilisés et les traitements subis. Les restes végétaux ou polliniques, conservés par le milieu humide du puits, permettront de recueillir un certain nombre d'informations sur l'environnement des hommes de l'époque.

Datés des IIe-IIIe siècles, les objets découverts sont des offrandes, probablement faites par quelques pèlerins pour s'attirer la faveur des dieux en vue d'écarter le mal, d'implorer guérison ou fertilité. Plusieurs sculptures en bois, exceptionnellement conservées et figurant des jambes, illustrent ces pratiques. Ces ex-voto anatomiques sont rarissimes ; on ne leur connaît à l'heure actuelle en France que quatre exemples comparables : aux source de la Seine (Côte-d'Or), à la source des Roches (Puy-de-Dôme), à la Fontaine Segrain (Côte d'Or) et sur le site de Magny-Cours (Nièvre). De nombreux objets en terre cuite, dont des statuettes d'animaux (chevaux, boeufs, oiseaux), des déesses-mères et un étonnant personnage protecteur assimilé à un dieu, Risus, ont également été extraits des puits.

La découverte la plus surprenante est celle d'un grand mortier en céramique sur lequel est gravée une dédicace au dieu Apollon : Deo Apollin(i) / Vatumaro / Iunianus / Iuni fil(ius) / d(e) s(uo) d(edit), « Au dieu Apollon Vatumarus. Lunianus, fils de Lunius a donné [fait l'offrande] à ses frais ». Cette dédicace indique qu'Apollon faisait partie des divinités honorées dans ce lieu de culte. L'abrasion marquée de la partie inférieure du récipient montre qu'il a été utilisé pour râper ou broyer, selon toute vraisemblance dans le cadre des pratiques (médicinale ou culinaire ?) du sanctuaire.

Enfin, même si tout semblerait indiquer que les deux puits appartiennent à la même phase d'occupation que le temple à galerie, l'étude de certains objets et éléments architecturaux pourrait induire qu'ils renferment aussi des artefacts de la phase antérieure. Elle ouvre dans tous les cas la question de la fin de l'utilisation du sanctuaire, ou d'une phase où l'on relègue au fond des puits tout ou partie du mobilier sacré.

Aurélie Rousseau et Jean-Sébastien Cocu