Dans la commune d’Épagny-Metz-Tessy, aux environs d’Annecy en Haute-Savoie, deux bûchers funéraires de la seconde moitié du Ier siècle de notre ère ont été récemment mis au jour lors d’une fouille préventive menée par l’Inrap avant la construction d’habitats. La richesse du mobilier exhumé laisse deviner le statut social important des défunts et a permis de restituer en partie le faste des rituels pratiqués lors des funérailles.

Dernière modification
19 mars 2021

Deux bûchers funéraires aristocratiques

Le premier bûcher, la structure la plus ancienne, conserve les restes d’un enfant âgé de 5 à 8 ans. L’abondant mobilier comprend les vestiges de dix-sept récipients en céramique, dix vases en bronze, quatre contenants en verre ayant pour la plupart servi à des dépôts alimentaires reflétant les mets consommés lors du dernier banquet (vin, lentilles, fèves, porc, coq domestique). À cela s’ajoute des pièces d’ameublement (lit funéraire, coffrets) et d’autres éléments comme les jetons en os d’un jeu et trois strigiles en alliage cuivreux (instruments pour la toilette) dont un est estampillé « VRBANVS », signifiant vraisemblablement la marque apposée par le fabricant.

Le mobilier en cours de dégagement dans le second bûcher.

Le mobilier en cours de dégagement dans le second bûcher.

© Emmanuel Ferber, Inrap


Le second bûcher a servi à la crémation d’un adulte relativement âgé. Le mobilier des funérailles est encore plus somptueux puisqu'on ne dénombre pas moins de vingt vases en céramique, au moins autant de récipients en verre, quarante-six ustensiles et vaisselle en bronze, qui contenaient les dépôts alimentaires (vin, lentilles, fèves, bovin, porc, lièvre, coq domestique, perdrix, canard, poisson). La présence de quelques pièces exceptionnelles est aussi à souligner : une paire de boucles d’oreilles en or, les éléments d’un tissu brodé d’un fil de même matière, des strigiles en argent.

Découverte exceptionnelle d’une chaise curule

Dans ce second bûcher, l’objet le plus singulier est probablement une chaise curule en fer rehaussé de bronze retrouvée en position pliée. Le siège en forme de X est composé de deux cadres en fer à montants en « S », articulés et destinés à fonctionner avec un jeu de sangles en cuir ou en tissu tendues pour permettre l’assise. Les pieds sont de formes circulaires plats et disposés perpendiculairement aux montants qui, eux, ont une section rectangulaire. Les deux jeux de barres transversales sont de sections rondes. Les têtes des montants sont divisées en deux languettes latérales formant un demi-cercle encadrant une tige de section ronde ; une rondelle est apposée à mi-hauteur de la tige. L'extrémité de cette dernière est matée pour fixer le tout.

La chaise curule est un des symboles majeurs du pouvoir à Rome. De tradition étrusque, son usage est réservé à Rome, dans un premier temps, aux hauts magistrats (consuls, préteurs) détenteurs de l’imperium, c’est-à-dire du pouvoir de commander et de punir. Sous Auguste, il est l’un des attributs de l’empereur. Deux types de siège sont référencés. D’une part, la sella curulis à proprement parler, reconnaissable par ses pieds en « S » : d’abord réservée à la magistrature civile, elle devient un objet domestique de luxe réservé à une élite dès le Ier siècle de notre ère. D’autre part, la sella castrensis avec son profil en « X » qui est l’apanage des officiers militaires.

La chaise curule dégagée dans le bûcher.

La chaise curule dégagée dans le bûcher.

© Emmanuel Ferber Inrap


Dans le cadre funéraire, sa représentation sur les stèles pour signifier les fonctions publiques exercées par le défunt est relativement répandue à l’époque antique. Par contre la présence de l’objet lui-même demeure excessivement rare. En France, tous types confondus, huit sièges pliants, ont été retrouvés en contexte sépulcral, celui d’Epagny-Metz-Tessy étant la quatrième véritable sella curulis. Si cette chaise demeure un élément ostentatoire du rang social élevé du défunt, elle ne semble pas pour autant être l’apanage de la gent masculine. Sur les huit exemples recensés dans l’hexagone, sept sont des crémations. Cette pratique rend presque impossible la détermination du sexe du défunt. Quant à la seule inhumation, elle est attribuée à une femme.

Ainsi, si la présence du siège serait statistiquement plus en faveur d’un sujet masculin, l’hypothèse d’une défunte ne peut être écartée et la présence des boucles d’oreille plaiderait d’ailleurs plutôt en faveur de cette éventualité…

La chaise curule dégagée dans le bûcher.

La chaise curule dégagée dans le bûcher.

© Emmanuel Ferber, Inrap

Aménagement : SNC Marignan Résidences
Recherche archéologique : Inrap
Contrôle scientifique : service régional de l’archéologie (Drac Auvergne Rhône-Alpes)
Responsable scientifique : Emmanuel Ferber, Inrap
Équipe de recherche : Stéphanie Bigot (étude du mobilier métallique), Xavier Boës (géomorphologue), Christine Bonnet (céramologue), Manon Cabanis (archéobotaniste), Christian Cécillon (numismate), Sylvaine Couteau (topographe), Carroll Gibot, Yves Gleize (archéo-anthropologue), Magalie Guérit (étude du verre), Dominique Lalaï (archéozoologue), Camille Lamarque, Ghislaine Macabéo (PAO), Catherine Plantevin, Pierre Rigaud (DAO), Caroline Trémeaud, Inrap