À Sauchy-Lestrée et Marquion (Pas-de-Calais), un important diagnostic archéologique a été mené du 15 juillet au 30 octobre 2009, sur une emprise de 150 hectares, sous la direction de Denis Gaillard (Inrap).

Dernière modification
21 mars 2017

Les tranchées de surface, qui totalisent 70 km de linéaires, ont été complétées par une campagne de sondages profonds en 2009. Les sites découverts se trouvent dans un paysage marqué par des ondulations de faibles amplitudes, en limite des plaines de l'Artois et du Cambrésis.

Des premiers agriculteurs du Néolithique aux grands propriétaires terriens gallo-romains

Trois maisons du Néolithique final

Sur le plateau au nord de l'emprise de fouille, ont été découverts les restes de trois bâtiments construits au milieu du IIIe millénaire avant notre ère. De morphologie variable, ils dessinent chacun un plan rectangulaire à pignons parfois curvilignes et s'étirent sur 14 à 17 m de long pour une largeur comprise entre 5 et 6 m. Ces édifices à ossature de bois étaient ancrés au sol grâce à des poteaux fichés directement en pleine terre ou implantés dans une tranchée de fondation. L'espace intérieur se divisait en plusieurs parties et pouvait comporter un étage. Les graines et fruits conservés permettront d'étudier les pratiques agricoles, les modes d'exploitation et de transformation des ressources végétales destinées à l'alimentation. L'étude des charbons de bois documentera la gestion de la forêt pour le bois de chauffe domestique et le bois d'architecture. L'analyse du phosphore contenu dans le sol et l'étude géophysique livreront des informations sur l'organisation de l'espace et sur la nature des activités exercées par les occupants du site.

La Protohistoire ancienne : des monuments funéraires de l'âge du Bronze et des vestiges d'habitat à la transition Bronze-Fer

La zone de fouille est traversée par des lambeaux de sables et de grès tertiaires, dont les exploitations multiséculaires se sont achevées il y a seulement quelques années. C'est au nord et au sud de cette veine gréseuse qu'ont été installés 6 monuments funéraires, dont les plus grands présentent des diamètres imposants de plus de 50 m. Ces cercles, dont les tertres ou les bourrelets de terre ont aujourd'hui disparu, sont reconnaissables par les puissants fossés qui bordaient les monuments. Les lieux de vie contemporains, ou légèrement postérieurs, de ces occupations sont en général peu ancrés au sol et ne laissent par conséquent que peu de traces. Néanmoins plusieurs dizaines de constructions sur poteaux, s'étirant sur au moins 800 m de long, témoignent d'une occupation assez dense dans cette zone à la fin de l'âge du Bronze et au cours du premier âge du Fer (Hallstatt), voire au début du second (La Tène). Ces unités d'habitat semblent répondre à un schéma simple et récurrent qui intègre la maison, le ou les greniers et parfois de petits dépotoirs ou des silos enterrés.

La période gallo-romaine : l'essor et le déclin de deux villae atrébato-nerviennes

À partir du Ier siècle de notre ère, l'ensemble de ce domaine est occupé par deux vastes exploitations agricoles distantes de seulement 700 m et occupées par des populations locales, des Atrébates (Arras) et des Nerviens (Bavais). Ces deux villae, sont assez semblables au premier abord : orientation, dimension, structuration de l'espace, néanmoins quelques points les distinguent. La villa occidentale, que par simplification nous nommerons villa 1, s'étire sur 4 hectares, elle est encadrée par un mur qui délimite une cour rectangulaire partagée en 1/3 pour la résidence du maître des lieux et 2/3 pour la cour réservée aux communs. Le bâtiment principal était doté d'une galerie de façade, d'une cave maçonnée et d'un petit ensemble balnéaire. De nombreux fragments de stucs (ornements d'architecture en chaux et plâtre) ont été découverts, ornés de motifs végétaux et de morceaux d'enduits peints qui soulignent l'aisance des propriétaires à partir du IIe siècle. La villa orientale, ici appelée villa 2 s'organise également à l'intérieur d'une enceinte rectangulaire. La résidence principale a été placée le long du grand côté de la ferme, emplacement atypique, mais qui rappelle des exemples plus septentrionaux comme la villa de Voerendaal aux Pays-Bas. La maison du maître s'ouvre sur une cour qui abrite plusieurs greniers et entrepôts, témoins probables de l'opulence de ce site dès le Haut-Empire. Cette aisance est perceptible par la surface du corps de logis, qui s'étend sur plus de 100 m de long, et par son équipement. Celui-ci était en effet doté de plusieurs bâtiments thermaux, de caves imposantes et d'un mobilier remarquable comme des fragments d'enduits peints, de stucs, d'ardoise (pour la toiture) et de vitres. Au sud-ouest de cette villa 2, un espace funéraire avec deux bâtiments ainsi qu'une fosse contenant les débris de trois statuettes représentant une déesse-mère, le dieu Minerve et une matrone ubienne (les Ubiens étaient un peuple germain de l'Antiquité vivant sur la rive droite du Rhin), témoignent d'activités religieuses aux abords de la villa. Enfin, on s'attardera sur une statuette en bronze de très belle facture représentant le dieu Mercure, protecteur des voyageurs et des commerçants.
À la fin du IVe siècle, l'ensemble du domaine est désaffecté et tous les arpents de terres fertiles retourneront aux travaux des champs du Moyen Âge jusqu'à nos jours.

Les lieux de sépultures laténo-romains

Sur l'ensemble de l'emprise de la plateforme, les lieux de sépultures de la fin de la période gauloise jusqu'à l'Antiquité tardive se répartissent en une dizaine d'endroits et totalisent 80 tombes. On trouve ainsi de petits groupes de sépultures le long des parcelles et des chemins, à proximités des lieux de vie. Pour la période gauloise, certaines tombes étaient coiffées de petites constructions de terre et de bois, véritables marqueurs dans le paysage. Une sépulture isolée se distingue par la nature des offrandes funéraires : des pièces métalliques - chenets doubles (landiers), seau, chaudron et un couteau en fer - ont été déposées au sein d'une grande fosse carrée, d'environ 2 m de côtés. Parmi les restes humains incinérés se trouvait un bracelet en bronze recouvert d'or, malheureusement son passage sur le bûcher funéraire l'a fortement altéré.
La période gallo-romaine a été particulièrement bien documentée dans le registre funéraire, avec l'exceptionnelle nécropole de Marquion fouillée en 2010 (cf. site 6), dont la relation paraît plus qu'envisageable avec les deux villae implantées à proximité.
Les autres sépultures découvertes dans l'emprise de la plateforme s'égrainent en une dizaine de zones et comprennent des groupes modestes aux dotations funéraires assez indigentes. Huit sépultures à inhumation des IIIe et IVe siècles témoignent des dernières occupations du secteur pendant l'Antiquité tardive.

Les tombes hypogées du Haut-Empire 

À 200 m de la villa 2, sept tombes en hypogées (tombes souterraines), datant de la seconde moitié du Ier au début du IIe siècle de notre ère, ont été découvertes. Après être entrées au sein de bâtiments carrés (dont les fondations ont été fouillées), les familles des défunts accédaient aux chambres funéraires par un escalier pouvant atteindre 7 m de profondeur. L'une de ces tombes se distingue par l'opulence de ses dépôts (fioles en verre, lampe à huile, coupes de bronze, offrandes miniatures...) 

Les tombes à inhumation du Bas-Empire 

À proximité de la villa 2, de la fin du IIIe jusqu'au Ve siècle de notre ère, le rite de l'inhumation domine. Ainsi, quinze tombes à inhumation ont été découvertes, au sein desquelles les défunts ont été déposés dans des cercueils. Certaines tombes sont accompagnées de dépôts monétaires, dont une exceptionnelle monnaie en or de Constantin Ier.