Extraits des discours prononcés par Jean-Paul Jacob et Pierre Dubreuil, le 20 mars 2014, à Paris dans l'Auditorium Colbert de l'Inha, devant les représentants des ministères de la Recherche, et de la Culture et de la Communication, des élus, des aménageurs et d'archéologues et d'agents de l'Inrap.

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19 février 2016
« Après six années passées à la tête de l'institut, ce n'est pas sans une réelle émotion que je pars, compte tenu de ma passion pour l'archéologie et de mon attachement à notre institut. En effet, le premier avril 1981, j'ai accepté de quitter la règle du CNRS, pour « plonger » dans le siècle en acceptant la proposition du sous-directeur de l'Archéologie d'alors, Roger Delarozière, de prendre la direction des Antiquités de Franche-Comté et de me battre avec mes autres collègues pour qu'émerge une archéologie de sauvetage, qui deviendra bien plus tard préventive.

J'éprouve une fierté particulière pour ce que nous avons accompli collectivement et je souhaite, avant tout, saluer l'investissement et l'engagement des archéologues de l'Afan et de l'Inrap. Ils sont militants, professionnels et désireux de participer activement à l'avancement de la connaissance historique, dans le cadre du service public.

À mon arrivée à la présidence de l'institut, mon objectif était, tout en consolidant les liens avec nos deux tutelles, de poursuivre l'ancrage de l'Inrap dans le paysage de la recherche archéologique tant nationale qu'internationale, en renforçant, entre autres, le rôle du conseil scientifique et en donnant plus de moyens à la recherche. Un mauvais terme d'ailleurs pour désigner ce qui est fait au-delà du rapport d'opération, alors que la recherche commence bien évidemment, avant même la fouille, lors de l'élaboration de la stratégie d'investigation. Je me réjouis vivement que le budget recherche atteigne, en 2014, la barre symbolique des 10 %, de notre capacité opérationnelle CDI, soit 23 220 journées de travail.

C'est un combat que je suis heureux de voir aboutir avant mon départ. Au-delà de cette barre symbolique, cela justifie pleinement la programmation scientifique de l'institut. J'ai d'ailleurs avant-hier, en présidant mon dernier conseil scientifique, lancé la préparation de la programmation 2015-2018. À cette occasion, j'ai rappelé combien il est important que cette programmation converge avec celle, plus générale et nationale, préparée par le CNRA. Cela justifie aussi, s'il le fallait, que le R de « recherche » figure bien et à juste titre dans l'acronyme Inrap.

Cette reconnaissance scientifique passe aussi par le développement du niveau universitaire des agents. C'est ainsi que les congés pour fin de thèse et pour travaux personnels de recherche, principalement destinés à la mise en oeuvre et à l'achèvement de thèse de doctorat ont été mis en place et surtout renforcés. De 83 docteurs en 2006, nous sommes désormais passés à plus de 150. Elle passe aussi par une réflexion sur l'émergence possible d'un corps de chercheurs et une évaluation des chercheurs de l'Inrap mais aussi de l'institut en tant qu'organisme de recherche.

(...) J'ai aussi tenu à ce que nous restions très inventifs et à la pointe de l'innovation en matière de recherche, mais aussi de méthodologie. Aussi, l'exploitation scientifique des résultats des opérations archéologiques et le déploiement de la politique scientifique se sont accompagnés d'une veille méthodologique, d'une harmonisation des pratiques et d'une active politique documentaire, permettant de mettre à la disposition de la communauté scientifique le résultat de nos recherches. Je ne retiendrai ici que deux exemples, l'accélération de la mise en ligne de nos rapports d'opération, ainsi que la création de la collection « Recherches archéologiques » qui après un peu plus de deux ans d'existence est déjà riche de sept titres qui seront complétés de trois nouveaux ouvrages dans les semaines qui viennent.

Cette politique de recherche et la qualité des travaux des archéologues de l'Inrap, dont plus de 300 appartiennent à des UMR, ont contribué à faire de l'institut un des acteurs les plus importants du paysage archéologique européen. Il n'est donc pas anodin que depuis 2013, l'Inrap soit de nouveau le chef de file d'un important programme européen.

L'Inrap, évidemment, ne vit pas hors sol et se doit d'être bien ancré au sein de la communauté scientifique. C'est à ce titre que j'ai privilégié et renforcé les collaborations avec les universités, avec mon ancienne maison du CNRS, mais aussi avec les services de collectivités territoriales, dans le cadre de ce pôle public de l'archéologie que nous appelons de tous nos voeux aux côtés de notre ministre de la Culture, Aurélie Filippetti.
Par ailleurs, j'ai tenu à renforcer la diffusion de l'information scientifique également vers le grand public. La foule qui se presse lors de nos opérations portes ouvertes, l'augmentation très rapide et significative des participants aux Journées nationales de l'Archéologie que nous avons initiées et qui sont désormais portées par le ministère de la Culture et de la Communication, le presque un million de téléspectateurs pour le film de Jean-Jacques Beineix que nous avons coproduit avec Arte, Les Gaulois au-delà du mythe, témoignent de cet engouement pour notre passé et de cette prise de conscience que ce passé est sous nos pieds et pas seulement en Égypte, au Mexique, à Rome ou encore en Grèce.
Cette transmission vers les publics, cette diffusion de la connaissance, font partie de nos missions statutaires. Je crois beaucoup, peut-être parce que j'ai été Drac, à cette mission qui justifie auprès du grand public l'argent qui est consacré à la recherche archéologique et qui s'appuie sur l'adhésion et la sympathie immédiate de nos concitoyens pour l'archéologie, quel que soit leur profil socioculturel. C'est aussi pourquoi, nous avons d'emblée et avec enthousiasme adhéré à l'ambitieux projet d'éducation artistique et culturelle de la Ministre de la Culture. Sensibiliser dès aujourd'hui les décideurs de demain est un gage de respect du patrimoine et, pour ce qui nous concerne, des archives du sol.

(...) La modification législative de 2003 a ouvert l'archéologie préventive à des entreprises privées. À titre personnel, j'ai toujours été contre cette forme de marchandisation de la recherche en archéologie et ce n'est certainement pas pour ce combat-là que j'ai quitté, comme je le disais au début de mon propos, le CNRS.

En 2008, l'Inrap avait à peu près 95 % de parts du marché des fouilles, aujourd'hui nous en sommes à 48 %. Cette descente est pour l'instant inexorable et il convient de s'interroger sérieusement sur cette question : pourquoi des entreprises privées peuvent-elles pratiquer des prix particulièrement bas et par ailleurs marger, parfois beaucoup plus que les entreprises du Cac 40 ? Nous avons, avec les directeurs généraux, fait tout ce qui était en notre pouvoir pour faire des économies, mais je me suis toujours refusé, avec leur total accord, à sacrifier la qualité de la recherche. Si le président de l'Inrap est statutairement un archéologue, c'est bien pour garantir la qualité scientifique de nos travaux et non pour sacrifier la recherche sur l'autel du profit. Il faut bien se garder, ce que font volontairement d'aucuns pour justifier cette dualité, de confondre concurrence commerciale et émulation scientifique.
   
Pour finir, je dirais que le niveau scientifique de l'Inrap, les exigences scientifiques qu'on lui impose à juste titre en tant qu'établissement national de recherche, son respect des normes sociales et environnementales le fragilisent dans ce contexte concurrentiel. La Ministre de la Culture a compris ces enjeux, je me réjouis par avance que la future loi Patrimoines et surtout les textes qui l'accompagneront, corrigent ces dysfonctionnements, confirme l'Inrap dans ses missions et le conforte dans son rôle de tête de réseau. C'est là mon voeu le plus cher. »

Extraits du discours de Pierre Dubreuil

« (...) La ministre, Aurélie Filippetti a pu, à travers un courrier qu'elle vient de t'adresser souligner les étapes les plus significatives de ton parcours. Je me contenterai, ici, de rappeler quelques aspects marquants, en lien plus direct avec l'établissement que tu as présidé pendant six ans et que j'ai eu le plaisir de diriger à tes côtés pendant une trop courte période.

Tu as intégré le CNRS, puis le ministère de la Culture, comme directeur des Antiquités en Franche-Comté. La loi de 2001 n'existait pas encore, et tu t'es battu, parfois durement, pour que les archéologues puissent intervenir sur les chantiers, pour inscrire leur action dans la durée, et légitimer leur présence sous les godets des pelleteuses.

Tu as rejoint ensuite le sud de la France, où tu as grandement contribué à la prise en compte du patrimoine archéologique, et tu t'es beaucoup investi, notamment pour la sauvegarde du patrimoine archéologique d'Aix-en-Provence.

Je crois que c'est à cette période que tu t'es également battu pour le développement de l'archéologie minière, convaincu qu'il y avait là un potentiel scientifique important, ce qui s'est confirmé par la suite. L'archéologie ne te suffisant plus, tu as élargi ton champ d'action, tu es devenu Drac, en Guyane tout d'abord, et ensuite en Pays de Loire.

Je pense à cet égard que peu de Drac auront été convaincus autant que toi de l'urgence qu'il y avait à constituer une véritable législation sur l'archéologie préventive, mais également à faire naître une discipline scientifique, avec des méthodes de recherche propres, des techniques spécifiques, et à partir de 2001, un institut national dédié, l'Inrap, dont tu deviendras président en 2008.

(...) Tu t'es investi pour que soit reconnue la dimension scientifique de l'institut, renforçant le rôle du conseil scientifique, développant le niveau universitaire des agents, encourageant les coopérations scientifiques et les relations avec les collectivités territoriales. Tu as également oeuvré pour renforcer le rayonnement de l'institut à l'international, avec les succès que l'on sait, je songe notamment à notre présence à Angkor, ou aux fouilles du métro d'Alger. Ton âme de voyageur mais aussi ta conviction que l'expertise des archéologues de l'institut est souvent inégalée y auront contribué.

Tu as également été soucieux de la diffusion de la connaissance scientifique par nos chercheurs : le nombre de publications scientifiques en témoigne, ainsi que la politique de valorisation dont tu as favorisé le développement, et dont les Journées nationales de l'Archéologie sont le plus brillant exemple.

Tu as saisi toutes les opportunités pour dénoncer l'illusion selon laquelle la recherche archéologique commence au laboratoire, loin des chantiers de fouilles, et pour souligner le caractère insécable de la chaîne archéologique. À travers cette affirmation, c'est la compétence de chercheurs des archéologues de l'Inrap que tu as défendue, inlassablement, et que tu as souhaité promouvoir et saluer. Tu es un homme qui n'aime pas les injustices, et c'en était une, insupportable à tes yeux, d'oublier le rang auquel les archéologues de l'Inrap doivent naturellement prétendre : celui de scientifiques.

(...) Ensuite, tu n'as eu de cesse d'affirmer que l'archéologie de service public est la seule garante des objectifs scientifiques qui l'animent, et qu'un établissement public fort est le pilier majeur et indispensable de la politique de l'État dans ce domaine.

(...) Le rapprochement avec les aménageurs, à travers une meilleure connaissance réciproque et un respect mutuel, rapprochement dont l'archéologie sort renforcée parce que mieux partagée, se mesure aussi à l'aune de ces qualités d'écoute dont tu as fait preuve tout au long de ton parcours.

Aujourd'hui, l'archéologie préventive est une étape intégrée dans les aménagements, elle est de mieux en mieux anticipée, et souvent très bien valorisée par les aménageurs.

Et l'Inrap est reconnu pour les découvertes considérables et les avancées scientifiques qui ont été réalisées depuis 12 ans. L'archéologie préventive et l'institut te doivent beaucoup et c'est pourquoi la Ministre a tenu à saluer ton parcours et ton oeuvre qui auront marqué la jeune histoire de l'Inrap.

En tant que directeur général, je tiens à t'en remercier, au nom des archéologues de notre institut et plus généralement de nos concitoyens. (...) »