Histoire du vin : Antiquité Pratiques funéraires

Lorsque les morts boivent...

Les auteurs de l'Antiquité rapportent que les Celtes procédaient à des libations rituelles au cours des cérémonies funéraires. Assez similaires à celles qui étaient pratiquées en Grèce hellénistique, ces libations étaient dédiées aux dieux et aux héros guerriers.

Certaines tombes sont équipées d'un écoulement qui permet de déversement de boissons, d'autres contiennent des récipients fixés au sol ou au plafond. Ces récipients, qui servaient au transport, au service et à la consommation du vin, sont utilisés pour les libations et parfois pour contenir les cendres du défunt. L'association d'un liquide aux vertus conservatoires à ses restes doit lui permettre d'accéder à une forme d'éternité. En Gaule celtique, ces boissons peuvent être le vin, la bière ou l'hydromel.

Des fêtes rituelles sont également organisées en l'honneur des dieux ou des guerriers morts au combat et donnent lieu à la construction de fosses à libations creusées dans les sanctuaires. Elles accompagnent des banquets et des festins au cours desquels on sacrifie nombre d'animaux. Lorsqu'à partir du IIe siècle avant notre ère le vin arrive massivement d'Italie, des centaines d'amphores sont ainsi jetées au fond des puits à offrandes creusés dans les sanctuaires et s'y accumulent.

Le vin dans les tombes nîmoises au début de l'époque romaine

La période qui suit la conquête romaine de la Provence, puis de toute la partie méridionale de la Gaule (fin du IIe siècle/première moitié du Ier siècle avant notre ère) voit, dans toutes ces régions, la multiplication des manifestations ostentatoires dans les rituels funéraires : des dépôts d'armes et de nombreux vases, offrandes d'animaux... L'abondance des récipients liés à la consommation du vin (amphores, vases, coupes et instruments du service) atteste le rôle essentiel du vin dans les derniers hommages rendus aux défunts. Bien qu'amplifiées, ces pratiques ne sont pas nouvelles, mais héritées des populations protohistoriques, qui entretenaient depuis plusieurs siècles déjà des contacts réguliers avec les civilisations méditerranéennes et s'étaient peu à peu imprégnées de leurs coutumes.

 

Une vaisselle spécifique associée à des armes
Dans les tombes de la fin de l'âge du Fer ou du début de l'époque romaine, la nature de la vaisselle liée au vin varie selon les secteurs géographiques. Des fouilles récentes ont ainsi permis de confirmer une spécificité nîmoises : l'absence quasi systématique de vase ou d'instrument métallique du repas et de la boisson, alors que les sépultures contemporaines de la basse vallée du Rhône et des Alpilles en livrent de nombreux exemplaires. En revanche, le mobilier funéraire nîmois présente une proportion plus importante de vases pour le service et le stockage des liquides (vases à boires et cruches dont certaines de grande contenance). Les amphores déposées dans les sépultures apparaissent au IIe siècle avant notre ère, d'abord sous forme de récipients entiers, puis souvent limitées à des fragments de cols ayant fait l'objet de bris intentionnel. Les modes de consommation du vin dans les sociétés du Midi de la Gaule étaient très divers. Les élites nîmoises auxquelles on attribue les tombes étudiées ne semblent pas avoir adopté les usages méditerranéens et pourraient avoir conservé en la matière leurs propres traditions. Cette résistance à l'acculturation peut aussi se traduire par la persistance de la coutume celtique du dépôt d'armes dans les sépultures. À l'exemple de la tombe du Mas Vigier à Nîmes, les armes et les amphores sont souvent associées dans les tombes du Midi de la Gaule, et tendent à disparaître (armes) ou à se raréfier (amphores) à partir du milieu du Ier siècle avant notre ère.
 
Des banquets funéraires?
Les indices disponibles permettent de penser que le vin était intégré aux différentes étapes du rituel accompagnant les funérailles, caractérisées alors par la pratique de la crémation. Ainsi, dans la riche sépulture de la Céreirède à Lattes (Hérault), la présence de deux situles en bronze brûlées, associées à un bassin, un poêlon et une cruche, témoigne du dépôt de vases pour les libations et les ablutions rituelles sur le bûcher funéraire. La découverte de pépins de raisin carbonisés dans des tombes nîmoises suggère en outre que les fruits de la vigne pouvaient être consommés ou offerts au défunt.
À Nîmes, on constate le bris intentionnel d'une part importante des vases à boisson, dont les fragments, souvent incomplets, ont été fréquemment dispersés dans la fosse sépulcrale. Il ne s'agirait donc pas de viatiques destinés à accompagner le défunt, mais plus probablement des restes de la vaisselle du repas partagé entre les vivants et le mort, les vases détruits pouvant correspondre à la part du défunt. La consommation du vin (sans exclure d'autres liquides), associée à celle, tout aussi présente de la viande, apparaît ainsi au centre des rites sacrificiels et alimentaires complexes, qui caractérisent les pratiques funéraires de cette période.
 
Valérie Bel, Sebastien Barberan, Nathalie Chardenon, Isabel Figueiral et Anne Bouchette (Inrap).

Vin et rites funéraires en Languedoc au Haut-Empire

La consommation de vin dans le cadre des pratiques funéraires est difficile à mettre en évidence pour l'époque impériale (Ier-IIIe siècles). En Languedoc, à cette époque, les récipients caractéristiques du stockage ou du service du vin (amphores et vaisselle du symposion) se raréfient dans les dépôts funéraires.

Des amphores brûlées ou brisées
Les récentes découvertes témoignent néanmoins de pratiques de libations effectuées à différentes étapes du rituel. Soit au moment de la crémation (amphores brûlées trouvées parmi les résidus de crémation de Soumaltre à Aspiran), soit en fin de crémation (amphore brisée sur le bûcher de la Céreirède à Lattes). L'amphore apparaît plus rarement en dépôt secondaire dans les crémations. Dans les inhumations, un dépôt d'amphore brisée semble être parfois effectué soit au moment du remblaiement de la tombe, soit sur le dessus de la sépulture. Des amphores sont également remployées dans l'architecture de la tombe, par exemple comme vases-cercueils pour les petits enfants. Placées verticalement sur le dépôt, elles peuvent encore servir de conduit à libation. Les vases pour les liquides (vases à boire, pots à anses et cruches) sont présents soit dans le mobilier brûlé des crémations, soit en dépôt non brûlé dans les crémations ou les inhumations. Ces récipients ont parfois fait l'objet d'un bris intentionnel, notamment lorsqu'ils sont associés à des inhumations.

Raisins et sarments de vigne
Des études carpologiques (portant sur les graines) ont été réalisées sur des pépins de raisin découverts parmi les résidus charbonneux de crémation (par exemple, à Nîmes, sur les sites de l'avenue Jean-Jaurès et du 54, route de Beaucaire). Au même titre que les fruits du figuier, du noyer, du pin pignon, du prunier ou de l'olivier, le raisin avait sa place dans les rites alimentaires accompagnant les funérailles.
Enfin, le bois de vigne est très fréquemment utilisé en Languedoc, dans les contextes ruraux comme dans les contextes péri-urbains, comme combustible pour les bûchers funéraires. L'utilisation massive de sarments de vigne est notamment attestée dans le cas du bûcher fouillé sur le site funéraire du Mas de Vignoles IX à Nîmes.