Histoire du vin : Moyen Age Techniques et production

Des techniques de la greffe à l'époque médiévale

Des techniques de la greffe à l'époque médiévale

Taille de la vigne, dans les Heures à l'usage de Rome, fin XVe siècle, Ms 134, folio 3.
Bibliothèque municipale d'Angers.

La technique de la greffe était connue dès l'Antiquité et décrite dans différents traités d'agriculture. Le De re rustica de Caton l'Ancien (IIe siècle avant notre ère), par exemple, en détaille différents procédés : en écusson, en fente, en approche, à la tarière, à l'emporte-pièce...

Au bas Moyen Âge, le regain d'intérêt porté à l'arboriculture et la culture des fruitiers s'appuie sur la transmission et la remise à la mode des savoirs anciens, parmi lesquels la greffe tient une place importante. Celle-ci présente en effet l'avantage de multiplier plus facilement les végétaux et d'améliorer les qualités des fruits, ce qui est appréciable dans le cas de la vigne, dont la reproduction par graine est très aléatoire.

De nombreux manuels rédigés aux XIVe et XVe siècles précisent les techniques et les outils à employer pour les greffes, ainsi que les espèces compatibles entre elles. Dans son Ruralium commodorum opus (vers 1305), l'agronome bolonais Pietro de Crescenzi (Pierre de Crescens) préconise la méthode de la fente simple, où le porte-greffe est tranché horizontalement au moyen d'un greffoir pour ne pas détériorer l'écorce : le greffon, taillé en biseau sur deux faces est inséré dans cette fente, qui est ensuite ligaturée. Certaines recettes relèvent purement et simplement du merveilleux, comme celle qui, dans le Ménagier de Paris (un traité d'économie domestique de 1392-1394), préconise la greffe d'un noyau de cerise sur un cep de vigne pour obtenir des cerises ou inversement, d'un rameau de vigne sur un cerisier pour obtenir des raisins en mai !

Les vignobles d'abbayes

Les vignobles d'abbayes

Moine goûtant du vin dans un cellier, illustration tirée de Li Livres dou sante, d'Aldobrandino da Siena, fin XIIIe, Sloane 2435, folio 44v. British Library, Londres.

Au haut Moyen-Âge, la christianisation du pays donne aux évêques, chefs religieux, des pouvoirs étendus au politique. Le vin, qui est l'un des deux éléments sacrés dans la célébration de l'eucharistie, permet aussi d'assurer la renommée des cités. Les évêchés prennent donc en charge la plantation, la culture et l'entretien de vignobles : Chartres, Le Mans, Bordeaux, Rouen possèdent des vignes de qualité. À la même époque, et jusqu'au XIe siècle, les moines bénédictins cultivent les vignes nécessaires à la liturgie comme à l'observance de la règle monastique : outre le quart de litre destiné quotidiennement à chacun de moines, l'obligation d'hospitalité implique que du vin soit servi aux hôtes de passage.

L'implantation d'abbayes et le développement de nouveaux ordres religieux s'accompagnent de la plantation de vignobles. Au XIVe siècle, les abbayes disposent d'une main d'oeuvre abondante pour les travaux viticoles (moines, frères converts, population rurale en expansion) et de celliers pour entreposer les récoltes ; elles commercialisent leurs vins sur un territoire étendu. Les moines mettent au point de nouvelles méthodes de conduite de la vigne et d'élaboration du vin. Les vins issus d'abbaye représentent alors la première production du pays et comptent déjà certains noms prestigieux encore appréciés de nos jours : Chablis, Monbazillac, Gigondas, Clos de Vougeot, Pommard, Châteauneuf du pape, Romanée...

Le saviez-vous ?

Le clos

Le clos désigne un terrain cultivé et entouré de haies, de murs ou de fossés. En Bourgogne, le terme s'applique également au nom des vins qui y sont produits, comme par exemple le célèbre Clos Vougeot. Ce dernier est cultivé sur un ancien domaine ecclésiastique clos de murs et couvrant 50 hectares, aujourd'hui géré par plusieurs vignerons.

Le vignoble orléanais au Moyen Âge, un territoire de monoculture...

Située à la croisée d'axes terrestres et fluviaux favorisant le commerce et le transport des marchandises, dotée d'une abondante batellerie, la ville d'Orléans connaît à partir du XIe siècle un enrichissement sans précédent, favorisé par le commerce du vin. Dans la région, la naissance de la viticulture remonte à la création de l'abbaye de Saint-Mesmin, sur un domaine donné par Clovis vers 510, et qui est réputée dès le VIIe siècle pour produire un vin abondant et excellent. Au tournant de l'an mille, le vin d'Orléans gagne en renommée. La réussite du vignoble, implanté sur des terres ventées et peu favorables, est due aux cépages qui y sont acclimatés : entre autres un pinot noir, l'« auvernat », probablement importé de Limagne, autour de la vallée de l'Allier.

Aux XIe et XIIe siècles, les grands seigneurs et les évêques poursuivent le travail de mise en culture et de valorisation de la vigne, source d'un bon rapport financier. Les bourgeois de la ville leur emboîtent le pas. Ils réclament l'affranchissement des servitudes féodales et exigent notamment que les portes de la ville restent ouvertes pendant les vendanges : ainsi le pouvoir royal ne peut contrôler les quantités récoltées dans le but de leur appliquer une taxe. Les notables locaux établissent leur contrôle de la qualité des crus en créant une police des vignes, et prélèvent des droits sur la vente de tous les vins transitant par la ville.

Du XIIe au XVe siècle, la réputation du vin s'étend et le territoire viticole gagne en surface : de Châteauneuf-sur-Loire à Beaugency, les vignobles s'étendent sur plus de quatorze lieues. On construit pressoirs, cuves, bâtiments vignerons et vaisseaux (autre nom pour désigner le muid ou la pièce de vin)... Désormais, le vin est pressé sur le lieu de récolte et non plus au coeur de la ville. À la fin du Moyen Âge, le vignoble orléanais est comparable, en puissance et en richesse, à celui du Bordelais au milieu du XXe siècle.

Les bons cépages du Moyen Âge

À partir du XIe siècle, la production de vin gagne en qualité et en quantité. Une bonne partie des vignobles qui deviendront célèbres existe déjà. Certains cépages d'alors sont encore connus de nos jours, comme le gamay ou le meslier.

Dans la partie nord de la France, de Nantes à Metz, on retrouve les mêmes variétés. Les Coutumes de Beauvaisis, recueil de textes juridiques de tradition orale, mentionne le fromentel, le morillon et le gouais, comme étant les plus répandus au XIIIe siècle : le premier donne le meilleur vin blanc, le deuxième le meilleur vin rouge, et le troisième un vin résistant appelé « gros noir » par les Parisiens. Les comptes seigneuriaux d'Île-de-France confirment la valeur et l'extension du morillon, cépage réputé en Bourgogne sous le nom de pinot, et dans l'Orléanais sous celui d'auvernat.

En général, la clientèle fortunée préférait alors les vins blancs. Des cépages blancs étaient plantés de Paris jusqu'en Bourgogne, tels le savinien, le rochelle, ou le folle blanche. Des plants plus médiocres, très répandus dans les vignes paysannes, produisaient des vins de moindre qualité : le gamay et le samoureau donnaient des rouges, le meslier des blancs.

Dans la partie méridionale du pays, le gamay domine dans la région lyonnaise, et le viognier et le serine noire (syrah) dans la vallée du Rhône.

Au nord comme au sud, tous ces cépages se maintiendront jusqu'à la grande crise du phylloxéra, à la fin du XIXe siècle.

Le saviez-vous ?

Claret, clairet

Claret est le nom que les Anglais donnent aux vins rouges, et particulièrement aux Bordeaux depuis le Moyen Âge.

Clairet, lorsque cet adjectif est employé pour qualifier un vin, désigne sa couleur rouge clair. Le clairet (substantif) n'est cependant pas un rosé mais un vin rouge léger.