Les sites : Protohistoire L’île de Martigues à l’âge du Fer

Martigues, Bouches-du-Rhône

À l'entrée du chenal de Caronte, qui relie l'étang de Berre à la mer Méditerranée, entre Arles et Marseille, Martigues est d'abord une île née de ce croisement de voies terrestres et maritimes, il y a environ 2 500 ans. Les fouilles menées entre 1978 et 2001 ont révélé les ruines superposées de deux villages gaulois occupés entre le milieu du Ve et la fin du IIe siècle avant notre ère. Grâce à des conditions de conservation exceptionnelles (destructions violentes et incendies répétés, submersion partielle des vestiges), elles apparaissent parmi les plus spectaculaires de l'âge du Fer méditerranéen.

L'agglomération primitive a été construite à fleur d'eau sur un site vierge de toute occupation antérieure. Fortifiée par un rempart muni de tours massives, elle occupe une superficie d'à peine 4 000 m², où tout l'espace disponible est consacré à un habitat standardisé qui fait alterner rangées de maisons à pièce unique et rues très étroites. Un second village gaulois s'implante au début du IIe siècle sur les ruines du précédent et amplifie le mouvement d'expansion de l'habitat groupé par la création d'une ville neuve gagnée sur les rives de l'étang de Berre. Les maisons de cette nouvelle agglomération sont encore formées de pièces uniques organisées dans des îlots d'habitations et distribuées autour de voies piétonnes très étroites.

Importation d'une nouvelle technique

Attachés aux modes de vie traditionnels des Gaulois du Midi, les habitants de ces villages n'en ont pas moins été très tôt réceptifs aux apports culturels et technologiques méditerranéens, surtout par le biais de Marseille grecque. En témoignent particulièrement l'introduction et le développement de la viticulture et de l'oléiculture dès le Ve siècle, et l'apprentissage de l'écriture à la fin du IIIe siècle avant notre ère.

Pour ce qui concerne la culture de la vigne, elle correspond à un transfert de technologie issu du monde grec colonial en direction des communautés gauloises qui peuplaient l'arrière-pays marseillais. La découverte au sein de l'habitat de macro-restes végétaux, d'outils spécifiques (serpettes, couteau à greffer), d'éléments de pressoir (maies, contrepoids), de regroupement de dolia et d'amphores remployées ou de facture locale indiquent une production de vin indigène au moins dès le Ve siècle avant notre ère.

Pressurage du raisin

Dans le courant du premier quart du IVe siècle avant notre ère, un incendie du premier village de l'île de Martigues a permis la conservation par carbonisation de quantités de graines et fruits qui sont autant d'informations sur l'économie alimentaire et agricole, sur les pratiques et le quotidien des habitants. Le sol d'une des maisons a livré un ensemble bien particulier, composé presqu'exclusivement de divers restes appartenant à la vigne (Vitis vinifera) : 730 graines, accompagnées de 66 pédicelles, de fragments de rafle et de très nombreux fragments de peau déchirés, certains adhérant encore aux pépins. Une telle association des différents éléments de la grappe et la dilacération des baies conduisent à caractériser l'ensemble comme résidu de pressurage. Compte tenu notamment de l'abondance des fragments d'épicarpes (peaux), il s'agirait même plutôt de marc, sous-produit correspondant à la première étape de traitement de la vendange, c'est-à-dire le pressurage lui-même ou un simple foulage si aucun pressurage n'était pratiqué. Par comparaison, une moindre proportion de pédicelles, d'éléments de rafle et d'épicarpes par rapport aux pépins pourrait désigner un résidu de filtrage du moût avant ou après fermentation, plutôt qu'un premier sous-produit de pressurage.

Des assemblages similaires ont été trouvés dans d'autres sites du secteur de l'étang de Berre, datés de la fin du Ve siècle avant notre ère à Coudouneu, et du IIe siècle avant notre ère au Castellan. Sans qu'on puisse la considérer comme une preuve irréfutable, la mise en évidence du pressurage du raisin procure un indice solide de fabrication de vin à Martigues et dans les sites indigènes voisins. Les pépins résiduels ont fait l'objet d'une analyse morphométrique, qui les a caractérisés comme appartenant en partie à la vigne domestiquée (Vitis vinifera subsp. vinifera). Il semble donc probable que non seulement les habitants de l'île faisaient leur propre vin, mais également qu'ils l'obtenaient à partir de la vigne qu'ils cultivaient. Même à la période romaine, les restes de vigne cultivée associent effectivement de façon systématique pépins appartenant morphologiquement aux types sauvage et domestique.

 

Laurent Bouby (Centre de bio-archéologie et d'écologie, UMR 5059, CNRS), Philippe Marinval (EHESS), Jean Chausserie-Laprée (ville de Martigues).