À Marseille, Bouches-du-Rhône, la fouille, d'une superficie totale de 2 630 m2, est réalisée en deux tranches d'intervention. Son emprise se situe dans le quartier urbain des Crottes, au nord de Marseille, dans un secteur fortement marqué par l'industrialisation des XIXe et XXe siècles.

Dernière modification
14 juin 2016

Les archéologues interviennent sur l'ancien cimetière des Petites Crottes, en usage entre 1784 et 1905. Les principales problématiques concernent l'évolution des pratiques funéraires et de la population marseillaise à une époque de grandes mutations.

La fouille du cimetière des « Petites Crottes » permet d'appréhender de façon inédite l'évolution d'un petit enclos rural du XVIIIe siècle transformé en cimetière urbain, utilisé jusqu'en 1905. Cette période est marquée par de grands changements dans la législation, l'organisation et les idéologies funéraires mais également dans la démographie des populations.

L'évolution d'un quartier

L'enclos primitif vient s'installer en 1784 dans le terroir marseillais, constitué de grands domaines agricoles et arrosé par le ruisseau de la Caravelle (l'actuel ruisseau des Aygalades). Le contrat d'achat retrouvé dans les archives fait mention de la nécessité d'implanter un nouveau cimetière dépendant de l'église Notre-Dame de la Crotte, « attendu que l'ancien est insuffisant ». Ce nouvel enclos consiste en un rectangle d'environ 15 m de long sur 10 m de large, avec une petite entrée à l'est. Il n'a pas encore été appréhendé à la fouille mais le sera lors de l'opération de la deuxième tranche, en 2014.
La révolution industrielle du XIXe siècle va profondément transformer cet ancien terroir marseillais, qui devient un quartier populaire, situé en proche banlieue. Huileries, savonneries, manufactures vont être construites à partir de 1830, de même que les ports au nord de Marseille. Le secteur va être densément urbanisé afin de loger une population nouvelle de condition modeste, principalement issue des grandes vagues d'immigration italienne. Le petit cimetière de la fin du XVIIIe siècle devient ainsi beaucoup trop exigu, ce qui va entraîner deux agrandissements de l'enclos funéraire, en 1852 et 1866, aboutissant à une superficie totale de 2 650 m2.

Le cimetière du XIXe siècle

Les fouilles ont révélé toute la partie sud-ouest des deux agrandissements du cimetière, sur plus de 1 000 m2. Le premier consiste en un espace triangulaire bordant le chemin vicinal des Aygalades ; il est pourvu d'une enceinte et d'une vaste entrée en hémicycle située au sud. Ce type d'accès monumental est courant au XIXe siècle, il est à mettre en relation avec les grands changements dans l'organisation et les idéologies funéraires, notamment marqués par l'ouverture des cimetières au public, le développement des cortèges jusqu'au lieu d'inhumation et l'apparition des corbillards à chevaux (à la place des brancards à bras).
Le second agrandissement trouve place au nord, dans la continuité du premier et la muraille bordant le chemin est prolongée. Elle jouxte la bordure orientale d'un chemin médiéval, légèrement désaxé par rapport à celui du XIXe siècle. Le cimetière prend donc à partir du milieu du XIXe siècle l'aspect d'un grand espace ouvert, sans doute arboré, dans lequel tombes, tombeaux et caveaux se côtoient.
Des tombeaux construits ont été découverts principalement dans la partie nord du cimetière, correspondant à l'agrandissement de 1866. Ceux-ci ont été partiellement spoliés, mais des éléments funéraires, tels que des stèles, dalles, croix en calcaire ou objets décoratifs ont été découverts. Un caveau est présent près de l'entrée, mais son contenu a été vidé, sans doute lors de l'abandon du cimetière en 1905. La découverte de ces sépultures architecturées illustre un autre aspect des grands changements dans le monde funéraire du XIXe siècle : l'apparition des classes sociales dans le cimetière communautaire.

Des sépultures simples

L'immense majorité des sépultures fouillées, soit plus de 150 pour l'instant, correspond à des ensevelissements en cercueil. Ils se répartissent généralement au sein de tranchées rectilignes équidistantes, à partir du mur d'enceinte ; l'orientation des tranchées est variable selon la position du mur. La régularité des creusements montre une gestion rationnelle de l'espace. Certains éléments construits, comme l'entrée ou le caveau, ont toutefois constitué un pôle attractif sur les ensevelissements, qui se concentrent selon des orientations diverses.
Le bois des cercueils est très bien conservé, ce qui permet des observations techniques sur les réceptacles ; une analyse xylologique déterminera les différentes essences utilisées. Les sujets sont inhumés habillés : nombre de boutons, agrafes, parure, boucles, chaussures et pièces de tissus en témoignent. La découverte de nombreux ossuaires, le plus souvent individuels et mêlés aux sépultures en place, illustre l'existence de concessions temporaires et leur gestion par les fossoyeurs.
Le recrutement semble correspondre à une population naturelle conforme à un modèle de mortalité archaïque, avec notamment de nombreux jeunes enfants, ceux-ci étant inhumés dans des zones particulières. L'étude biologique de l'échantillon exhumé sera particulièrement intéressante à mettre en perspective avec les progrès médicaux et sanitaires du XIXe siècle qui modifient profondément les profils démographiques.

La fouille puis l'étude de ce cimetière vont permettre de nourrir plusieurs thématiques de recherches dans un contexte de profondes mutations à la fois historiques, sociologiques et idéologiques. L'approche comparative et dialectique des archives historiques et des archives du sol sera particulièrement intéressante sur ce site.