A Calleville, Eure, le diagnostic réalisé par D. Honoré/Inrap (2002) à l'emplacement d'une des piles du futur viaduc qui franchira la vallée du Bec a mis au jour une forte concentration de silex taillés attribuables au Paléolithique supérieur final.

Chronique de site
Dernière modification
10 mai 2016

La fouille organisée peu de temps après a permis de reconnaître les limites spatiales des amas dans la parcelle concernée. Après le décapage des horizons superficiels stériles, le niveau archéologique a fait l'objet d'une fouille manuelle minutieuse, organisée par mètre carré, comprenant l'enregistrement des pièces lithiques selon les trois dimensions et le tamisage des terres dans les zones denses.

Le site fouillé appartient à une période chronologique charnière pour laquelle les témoignages sont à ce jour très ténus dans le nord de la France : le Dryas récent. Cette occupation épipaléolithique se situe dans la vallée du Bec, sur la rive gauche du cours d'eau, au pied d'un versant exposé au nord. À partir de deux grandes coupes stratigraphiques longitudinales, nous pouvons appréhender le contexte géomorphologique du site et obtenir ainsi des éléments de réponse sur son histoire et son évolution. D'ores et déjà, nous savons que les préhistoriques se sont installés non loin du bord d'un ancien méandre de la rivière, dans un milieu encore relativement ouvert comme en témoignent les loess sommitaux dans lesquels les artefacts lithiques sont scellés. Les données paléoenvironnementales qui émaneront de l'étude de ces horizons superficiels apporteront des informations essentielles à la compréhension du gisement.

Aux critères permettant de définir les grandes tendances des faciès culturels de cette période (Ahrensbourgien, Belloisien, Laborien), viennent s'ajouter des éléments très intéressants voire inédits en France. L'un d'entre eux concerne la culture matérielle avec, pour la première fois dans ce type d'assemblage lithique, la présence conjointe des classiques grandes lames régulières et des petites armatures issues d'une production de lamelles. Les premières, de grande dimension, semblent avoir été utilisées brutes ou parfois transformées en outils (grattoirs, burins). Les secondes sont réservées à la fabrication d'armatures de traits. Un autre point important intéresse les matériaux employés. En effet, un premier examen de la série lithique montre un approvisionnement en matières premières varié, avec au moins sept matériaux siliceux utilisés dont certains locaux et d'autres aux gîtes encore inconnus. Le grès et le calcaire sont quant à eux employés pour la fabrication des percuteurs tendres propres au mode de débitage identifié sur le site. Ce constat est inhabituel en contexte d'atelier Belloisien et étaye l'hypothèse d'une aire d'habitat, déjà supposée à partir de la présence des outils. De même, les lames supposées de première intention (lames régulières à deux bords parallèles et profil rectiligne) sont nombreuses à Calleville alors qu'elles sont rares sur les ateliers proprement dits. Leur obtention au percuteur de pierre tendre demande une bonne gestion du volume et des procédés techniques élaborés, ce dont témoignent les nucléus (ouvertures des plans de frappe opposés, réaménagement des convexités par des néocrêtes et recadrage des nervures guides par enlèvements de produits laminaires et lamellaires). Ce mode de débitage révèle un savoir-faire technique élevé, avec des objectifs précis pour la production de supports laminaires standardisés. Tous les déchets issus de la fabrication de ces lames sont présents sur le site et nous renseignent sur les modes opératoires mis en oeuvre. Les armatures sont d'un type totalement inédit dans la panoplie des assemblages lithiques du Dryas récent. Elles sont réalisées sur des lamelles régulières à profil rectiligne et présentent une troncature oblique concave en partie mésiale du support. La seule référence connue pour ce type de pointe en contexte épipaléolithique se trouve sur le site d'Usbridge, au sud de l'Angleterre.

Dans l'état actuel de l'étude, la répartition spatiale des vestiges semble refléter une véritable organisation, avec des zones de rejet et de probables postes de débitage, argument supplémentaire pour interpréter le site comme étant un véritable habitat. On regrettera cependant l'absence totale d'éléments de faune. La série lithique récoltée compte environ 3500 pièces réparties sur 150 m, dont une trentaine d'armatures et autant d'outils domestiques.
Un premier bilan nous permet de faire du site de Calleville un gisement majeur qui devrait permettre de répondre à certaines problématiques régionales voire européennes que pose aujourd'hui la transition entre la fin du Pléistocène supérieur (Paléolithique supérieur final) et le début de l'Holocène (Mésolithique ancien), aux alentours de 10 000 av. J.-C.