Le lotissement des Résidences du Ponant, situé au nord du village de Châteauneuf-du-Rhône (Drôme), dans le quartier dit du Grand Palais, couvre 2,8 ha. Il se développe sur une terrasse alluviale pléistocène du Rhône, à l'altitude de 75 m, au sud de la plaine de Montélimar et à l'entrée du défilé de Donzère qui communique avec le Tricastin. 

Dernière modification
10 mai 2016

De par sa proximité avec ces axes naturels de circulation, la plaine s'avère densément occupée depuis le Néolithique. En 2006, le diagnostic avait révélé la présence de traces agraires et de maçonneries antiques (Anne-Claude Remy, Inrap), qui ont pu être mises au jour sur une surface de 1,35 ha au cours de l'hiver 2010-2011.

Au nord du site coule la Riaille, affluent de rive gauche du Rhône qui possède un tempérament torrentiel méditerranéen pouvant donner lieu à des dépôts ou des érosions redoutables. Elle entretient selon les périodes un contexte hydromorphe profondément marqué sur le site, par la présence d'une forte nappe phréatique qui a nécessairement eu une incidence sur les cultures pratiquées dans ce secteur, ainsi que sur les conditions de fouille de leurs vestiges. Ces derniers se trouvent 200 m à l'est de la pars urbana d'une villa romaine, dont l'emplacement est connu depuis le XIXe s. et que plusieurs campagnes de fouille programmée menées jusqu'en 2002 (J.-C. Béal, Univ. Lyon 2) ont permis de qualifier de véritable « palais rural » au cours de l'Antiquité tardive.

L'opération préventive a permis d'appréhender le proche terroir de l'établissement, dont sa pars fructuaria et certaines installations en marge de sa pars rustica. Si la vigne y est certes attestée, la culture sur une longue durée de vastes vergers a conduit à caractériser cette agriculture de rapport comme socle de la structure économique de la villa. Ces travaux constituent la toute première approche archéologique en Rhône-Alpes de ce mode d'exploitation des campagnes gallo-romaines.

Méthode d'analyse des traces agraires

La zone concernée par les plantations a révélé 1 029 structures, dont 779 fosses de plantations à la morphologie variée. L'apport de l'outil SIG (système d'information géographique) a permis d'affiner l'analyse métrologique de ces traces agraires, en garantissant une description statistique poussée à l'origine de la détermination de treize systèmes agraires distincts, dont onze concernent des vergers. La caractérisation de ces vergers nous a autorisés à dresser une typologie fondée à la fois sur le module des structures excavées et sur les trames selon lesquelles sont implantés ces ensembles de fosses. Les résultats obtenus à l'issue de cette analyse, alliés aux données paléoenvironnementales, ont été confrontés aux préconisations des agronomes antiques, en premier lieu Pline l'Ancien, Columelle et Palladius, et aux données des quelques sites recensés en Gaule ayant livré des vergers antiques fossiles.

Les vergers du Haut-Empire

Si des indices d'une occupation protohistorique ont été perçus sur le site, l'histoire de l'exploitation agricole commence au Ier siècle avant J.-C., avec la mise en place d'un premier verger constitué de fosses rondes implantées selon une trame orthonormée.
Les vergers postérieurs se caractérisent par des fosses quadrangulaires et des trames pour la plupart orthonormées, basées sur des espacements entre les arbres de 15, 20 et 30 pieds romains*.
* Pied romain : unité de mesure romaine, dont la valeur approximative la plus utilisée en archéologie gallo-romaine, celle dite du pes monetalis, équivaut à 29,57 cm.

Durant le Haut-Empire, une probable oliveraie structure une véritable exploitation de rendement. Puis, d'autres espèces remplacent le premier verger, et la densité de plantation va progressivement augmenter, jusqu'à atteindre plus de 1 500 arbres sur les trois hectares restitués de l'exploitation. Plusieurs systèmes se succèdent ou se chevauchent, attestant la diversité des espèces cultivées, dont l'une a nécessité l'aménagement d'un rigoureux réseau d'irrigation orthonormé. L'analyse des façons culturales, des conditions édaphiques* et des spectres paléobotaniques* permet d'avancer quelques pistes quant à l'identification des essences cultivées : on peut ainsi évoquer l'amandier, le figuier ou le prunier.
* Conditions édaphiques : différents facteurs liés notamment à la composition du sol (teneur en différents éléments, eau, minéraux...), qui permettent ou non le développement de certains être vivants, végétaux en particulier.
* Spectres paléobotaniques : assemblages de vestiges végétaux fossiles à des périodes identifiées.

Un premier bâtiment s'avère contemporain de ces vergers, dont il pourrait marquer la limite occidentale, séparant le complexe résidentiel et de possibles jardins d'agrément d'une part, et l'espace cultivé proprement dit d'autre part. L'hypothèse de grandes ouvertures matérialisant le passage d'un espace à l'autre de la propriété est à considérer. Le bâtiment 1 pourrait fonctionner avec un long mur est-ouest observé hors emprise, clôturant l'espace dévolu aux vergers. Ces limites correspondraient ainsi aux préconisations de Columelle : « Avant de planter le verger, il faut enclore son terrain soit d'un mur, soit d'une haie vive, soit d'un fossé taillé à pic, afin que ni bestiaux ni hommes n'y puissent pénétrer ; car, si la cime des arbres est trop souvent touchée par la main de l'homme, ou rongée par les animaux, le jeune plant ne pourra jamais prendre d'accroissement » (De l'agriculture, V, 10).

Les mutations de l'Antiquité tardive

Vers la fin du IIIe s., le site subit des crues dévastatrices et le domaine est restructuré. Les vergers sont abandonnés, le terrain drastiquement drainé par un réseau structuré autour de canaux collecteurs, le bâtiment 1 démantelé au profit de nouvelles constructions situées plus au sud. Ce second bâtiment adopte des maçonneries massives, contrefortées, et l'on peut interpréter les diverses salles comme des installations de transformation et de stockage des cultures (probables ère de foulage, base de pressoir, cuve, entrepôt, chai ?). La construction de ce complexe architectural semble correspondre avec la mutation de la partie résidentielle en véritable « palais rural ». L'économie de la villa semble continuer à fonctionner selon un modèle de faire-valoir direct, en dépit des mutations structurelles majeures que subissent d'autres grands centres de production de Narbonnaise comme la villa du Molard à Donzère. En revanche, sa production se diversifie, alliant vraisemblablement la culture de céréales, l'élevage et la viticulture. Deux parcelles de vignes sont ainsi exploitées au sein de l'emprise étudiée.

Au cours du Ve s., le bâtiment 2 est détruit, le réseau de drainage renforcé, alors que l'élevage est encore attesté. Puis des remblais de démolition sont amenés pour niveler le terrain, sans doute en vue d'une remise en culture de la zone.
Tout au long de la période impériale, la villa du Palais semble croître, se structurant selon un plan caractéristique des très grandes propriétés à pavillons multiples et cour centrale. À l'heure actuelle, il s'avère impossible de déterminer le statut des propriétaires successifs de ce « domaine » (descendants d'un vétéran, d'un colon ?). Notons à ce propos que le site a fait l'objet d'un recalage très précis, en reprenant au GPS les stations des différentes opérations de fouille menées dans le quartier depuis 2006, et il s'avère que les vergers, tout comme les bâtiments et le réseau fossoyé, sont strictement orientés sur le nord géographique, et n'obéissent en aucun cas à l'orientation du cadastre B d'Orange*.
* Cadastre B d'Orange : découpage territorial romain couvrant notamment la cité des Tricastins. Le cadastre d'Orange, carte authentique dressée à la demande d'Auguste en 35 av. J.-C., et révisée sous Vespasien (77 ap. J.-C.), nous est parvenu sous la forme de centaines de plaques de marbre gravées. Le cadastre B englobait une grande partie de la Drôme, le nord du Vaucluse, et une frange à l'ouest du Rhône.

Du Moyen Âge à nos jours

Au Moyen Âge, le site est réoccupé : un long mur traverse le terrain du nord au sud, fermant vraisemblablement un clos cultivé. Un silo est aménagé dans les ruines du bâtiment 2, renfermant dans son comblement un lot de céramique des Xe-XIe s. ainsi que des macrorestes végétaux attestant une polyculture de céréales et de vignes. Ces éléments, qui viennent s'ajouter au proche cimetière en partie fouillé il y a une vingtaine d'années (Christine Ronco, Inrap) et utilisé du IXe au XIIe s., constituent sans doute des indices de la proximité du prieuré Saint-Pierre du Palais, dont il est fait mention dans des chartes médiévales dès le Xe s., et dont on a perdu la trace depuis la Révolution française.

Ainsi le site du Grand Palais, en dépit des fréquents et violents désordres hydriques qu'il a subis au cours de son histoire, s'est avéré propice tout au long de la période gallo-romaine à l'implantation de cultures extensives qui ont contribué à la prospérité de leur propriétaire, vergers et vignes en particulier, les moines du prieuré perpétuant cette tradition du Xe s. jusqu'au XVIIIe s.