A Baillif, Guadeloupe, le diagnostic archéologique mené sur le projet routier entrepris par la région Guadeloupe pour améliorer la liaison littorale entre Baillif et Basse-Terre a permis de mettre au jour un cimetière d'époque coloniale inédit.

Dernière modification
28 juillet 2016

Le statut de ce cimetière était inconnu. Conformément au cahier des charges émis par le service d'Archéologie de la Drac de Guadeloupe, la fouille a débuté par le décapage total de l'extension du cimetière sur l'emprise du projet, soit 620 m². Huit sondages, totalisant une surface de 163 m², ont été intégralement fouillés.

Sept sondages géologiques ont également été réalisés à la mini-pelle afin d'analyser la séquence stratigraphique jusque dans les niveaux stériles. Ils totalisent 24 m². Cette opération, qui a monopolisé 10 archéologues de l'Inrap pendant 2 mois, a permis d'explorer un peu plus du quart de la surface du cimetière incluse sur l'emprise du projet.


L'objectif principal de cette opération était d'identifier le statut du cimetière découvert au cours du diagnostic. En effet, ce cimetière était resté oublié tant des historiens que des riverains qui avaient construit leurs cases et résidé plusieurs dizaines d'années au-dessus. Ceci est avéré par l'absence de signes magico-religieux, souvent abondants sur les cimetières connus de la population. La mise au jour de ces « zo a moun mò » explique à présent bien des déboires survenus dans ce quartier. D'autant qu'il s'agissait de la rue de l'Abattoir, simple ironie de l'histoire probablement ?
Au moins trois hypothèses, non exclusives, sont compatibles avec cette découverte :
- le cimetière paroissial du bourg primitif du Baillif. Celui-ci, construit au tout début de la colonisation française, était localisé en bordure de la rivière du Galion, avant qu'elle ne prenne son nom actuel de rivière des Pères. Ce bourg a été détruit par une crue dans la première moitié du XVIIe siècle.
- un cimetière des esclaves des habitations des dominicains. Ceux-ci occupaient tout l'espace situé entre la rivière des Pères et la rivière du Baillif, depuis la mer jusqu'aux montagnes. Leur sucrerie du Petit-Marigot était localisée 600 m à l'est, dans un quartier qui a pour toponyme « des Pères Blancs ». Cette habitation périclite à la révolution lorsqu'elle est confisquée par l'état.
- le cimetière de l'hôpital militaire de Basse-Terre, qui a été déménagé dans ce secteur dans la première moitié du XIXe siècle. Il « [...] est situé, comme on le sait, sur le bord de mer, dans la commune de Baillif [...] aux abords de l'habitation dite le Petit-Marigot [...] » (conseil privé Guadeloupe, 14 septembre 1843).

La fouille a mis au jour 193 sépultures, qui ont livré les restes squelettiques de 200 individus en position primaire. La densité moyenne des structures funéraires est d'un peu plus de 1,2 sépultures/m². D'importantes variations de densité sont toutefois perceptibles entre les différents secteurs explorés. En extrapolant sur la surface du niveau anthropoturbé par le creusement des fosses sépulcrales, le chiffre de 800 à 1 000 sépultures peut être avancé, pour la seule emprise de la fouille. Ce cimetière se poursuit en effet, au nord et au sud, hors des limites concernées par l'aménagement.
Les structures funéraires correspondent majoritairement à des sépultures individuelles. Sept tombes ont toutefois accueilli le dépôt simultané de deux corps. Les défunts sont inhumés en pleine terre ou en cercueil. Ils reposent pour la plupart sur le dos. Quatre individus, regroupés dans un même secteur, sont déposés sur le ventre. Plus de la moitié des tombes sont orientées selon un axe est-ouest. Une orientation nord-sud intéresse toutefois 20 % des tombes. À ce stade de l'étude, il semblerait que les tombes orientées nord-sud soient plus fréquemment recoupées que celles suivant un axe est-ouest, ce qui pourrait traduire la normalisation progressive de l'orientation des tombes en faveur de ce dernier axe. De nombreux os sont en position secondaire, dans le remplissage des tombes. Ils proviennent des recoupements de sépultures plus anciennes. Ces gestes traduisent une utilisation longue de ce lieu d'inhumation, qui a donc perduré dans le temps. Il s'agit bien d'un cimetière.
Si l'état de conservation des ossements et les fréquents recoupements de tombes limitent grandement les observations d'ordre paléobiologique, certaines caractéristiques de la population peuvent toutefois être précisées. Tout d'abord, elle est uniquement constituée d'adultes. Par ailleurs, les individus qui ont pu faire l'objet d'une diagnose sexuelle sont majoritairement de sexe masculin (31 hommes pour 4 femmes sur les individus dont le bassin était suffisamment bien conservé). Aucun traumatisme n'a été identifié. L'état sanitaire est globalement bon, donnant l'image d'une population constituée d'individus jeunes et en bonne santé peu de temps avant leur décès, probablement causé par des maladies foudroyantes, comme la fièvre jaune, le paludisme et la dysenterie, qui ont touché une bonne partie des populations coloniales. Deux exemples d'interventions médicales ont été identifiés sur les ossements : la découpe d'une calotte crânienne, témoin probable d'une autopsie, et l'amputation d'une jambe gauche, celle-ci reposant dans le cercueil avec l'individu amputé. Le mobilier associé est minime (des clous en fer, quelques fragments de verre et de céramique, dont des fragments de tuyau de pipe) et n'est jamais directement associé aux défunts. Ceci traduit très certainement un traitement funéraire a minima, dans le plus simple appareil. 
 
En Guadeloupe, trois cimetières d'époque coloniale ont été précédemment fouillés. Le statut de deux d'entre eux était connu avant la fouille : le cimetière de l'Hôpital de la Charité de Basse-Terre et le cimetière paroissial du bourg de Saint-François. Le statut du troisième - le cimetière d'esclave de l'Anse Sainte-Marguerite - a été déterminé à partir des résultats archéologiques. Les caractéristiques du cimetière fouillé sur l'aménagement de la liaison Baillif-Rivière des Pères (fort effectif, population adulte majoritairement masculine, décès rapide probablement imputable à des maladies foudroyantes, absence de mobilier religieux ou vestimentaire, présence de sépultures multiples, amputation...) présentent de nombreuses similitudes avec celles du cimetière de l'Hôpital de la Charité de Basse-Terre. Au contraire, elles diffèrent des observations réalisées pour le cimetière paroissial du bourg de Saint-François et pour le cimetière d'esclave de l'Anse Sainte-Marguerite. Ainsi, en l'état actuel de l'étude, l'hypothèse du cimetière de l'hôpital militaire de Basse-Terre est-elle la plus probante. Les résultats des diverses études engagées (études archéologiques, anthropologiques, paléogénétiques, documentaires...) permettront de confirmer ou d'infirmer cette première hypothèse et de discuter d'une possible succession de différents cimetières en ce lieu, qui ne peut actuellement être écartée.