Le projet de création par la ville de Carcassonne (Aude) d'un lotissement de 6 ha sur la colline de Montredon a entrainé la réalisation d'un diagnostic puis d'une fouille préventive.

Dernière modification
10 mai 2016

La fouille s'établit en deux fenêtres de décapage de 2,6 ha au total.  Cette dernière fait suite à une première opération, réalisée en 2008, qui avait mis au jour quelques aménagements agraires (fossés, drain, bâti vernaculaire) de la fin de l'époque républicaine. Ces vestiges font en réalité partie d'un ensemble plus vaste que la fouille de 2009 a permis de mieux cerner.

Le site prend place sur le sommet de la colline de Montredon, éminence qui domine l'Aude, dans le méandre qu'elle forme au nord de Carcassonne avant de se diriger vers la Méditerranée.
 
La première occupation humaine date du Néolithique final. Elle comprend une quarantaine de structures attribuables à la culture de Véraza. Ces éléments sont disséminés sur l'ensemble du site, mais une organisation spatiale se dessine nettement, si l'on pose comme postulat la contemporanéité de toutes ces structures. Une première zone, dans l'angle nord-ouest de la fouille, regroupe une dizaine de foyers à pierres chauffantes. Plus au sud, un bâtiment, matérialisé par des trous de poteau avec son sol conservé, est associé à quelques vestiges très érodés de possibles fosses de rejet ou dépotoirs. D'une largeur oscillant entre 4 m et 3,20 m pour une longueur de 7,50 m, la superstructure en bois comporte huit poteaux et dessine deux nefs avec une façade orientale légèrement rétrécie. À l'extérieur, deux autres poteaux peuvent appartenir soit à un autre état du bâtiment, soit à un possible appentis ou encore à une structure annexe sans relation physique avec le bâtiment. Le sol à l'intérieur se matérialise par des pans entiers de vases fractionnés en place, en position horizontale et associés à des restes de faunes et parfois de charbons de bois, ainsi que les restes d'une « sole » ou plaque foyère constituée de quelques éléments en grès rubéfiés sous l'effet de la chaleur. À l'extérieur, contre la façade septentrionale, se trouve un foyer en cuvette avec des plaquettes de grès. Si l'on excepte les bâtiments reconnus au Mourral à Trèbes, dont le caractère ostentatoire ne fait pas de doute, Lo Badarel 2 est le seul témoin d'un habitat du Néolithique final audois.
 
Après cette phase, la colline de Montredon semble inoccupée jusqu'à la fin de la Protohistoire. Un réseau de fossés apparaît alors, formant la trame d'une mise en exploitation du terroir. Un enclos fossoyé semble se dessiner parmi ce parcellaire. Nous serions alors dans la configuration d'une ferme gauloise, comme le Carcassonnais en a déjà livré de nombreux exemples : la Cavayère ; les Troubadours à Montredon ; Béragne à Trèbes ; le Chapitre, etc. Les principaux fossés de cette période sont comblés entre la fin du IIe siècle et le début du Ier siècle avant notre ère. Pour autant le territoire n'est pas déserté. En effet, le volumineux mobilier collecté sur le site et daté de la seconde moitié du Ier siècle avant notre ère montre qu'il existe une phase d'occupation que nous ne percevons pas directement, soit parce qu'elle est centrée au-delà de l'emprise de la fouille, soit parce qu'elle a été totalement « masquée » par les reconstructions ultérieures. Autre argument allant dans ce sens, certains fossés ne sont comblés que vers la fin du Ier siècle avant notre ère, sans doute en préalable de la construction de la villa.
 
En effet, vers le dernier quart du Ier siècle avant notre ère, est constitué un grand domaine rural de modèle romain avec une partie résidentielle de plan classique, centré autour d'une cour intérieure avec péristyle à colonnade en briques. L'état d'arasement important de la villa ne permet guère d'en décrire son évolution architecturale. Il semble toutefois, qu'un remaniement intervienne dans le cours du IIe siècle de notre ère. Sa pars urbana est clairement séparée de la pars rustica par un grand mur doté de massifs ornementaux. Des bâtiments artisanaux et agricoles, nulle trace n'a été mise au jour dans l'emprise de la fouille. Il faut donc les placer plus au nord. La villa est desservie par une voie, qui a été décapée sur plus de 60 m de long. Bordée sur son flanc occidental par le mur de clôture du domaine, elle file plein sud, sans doute en direction de la via Aquitania. À l'est de la route, se développe une zone humide dans laquelle la proximité de l'eau a été exploitée à des fins agricoles. Une grande fosse a notamment pu servir de point d'eau pour du bétail ou de rouissoir pour plantes textiles (analyses en attente). Encore plus à l'est, débute un verger planté selon une trame orthogonale de 6 m environ entre les rangées d'arbres.

Sur le sommet de la colline, face à la façade méridionale de la villa, est construit un mausolée, tombeau probable du fondateur de ce domaine. Il n'en demeure que la chambre sépulcrale enterrée d'une superficie de près de 16 m2. Elle devait être couverte par une voûte en plein cintre également en grand appareil de grès. Ses dimensions monumentales en font un cas quasiment unique à ce jour en Gaule. Seules deux chambres sépulcrales dépassent cette mesure : le mausolée de Callas (Var) dont la superficie de la chambre fait près de 23 m2, et le mausolée de Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence) avec une surface de 21,36 m2. Dans les deux cas, il s'agit de structures construites en élévation et qui appartiennent à des monuments dont les datations proposées ne sont pas antérieures au IIe siècle de notre ère.

L'élévation peut être esquissée grâce aux blocs retrouvés dans le comblement de démolition. La voûte était insérée dans un podium bâti en grès. Sa base et son couronnement porte la même moulure, dont le style date du dernier quart du Ier siècle avant notre ère. Cette datation est compatible avec la céramique retrouvée dans les rares niveaux liés à la construction du monument. Hormis le podium, l'intégralité de l'élévation était en calcaire. Quelques fragments sculptés permettent d'affirmer la présence d'un ornement récurrent dans le répertoire de l'architecture funéraire, les postes. Plusieurs morceaux du même type ont été répertoriés et permettent d'envisager la restitution d'une frise architecturale horizontale qui courait le long d'un étage de l'élévation, ou visible par panneau sur chaque face du monument. On envisagera la présence de ce décor au niveau du second étage plutôt qu'au premier, le podium étant déjà orné d'une moulure. En plus de ce décor de postes, la découverte d'un fragment de chapiteau de petit module trahit l'existence d'un décor architectonique qui contraste avec le grand appareil employé dans la maçonnerie. Cette utilisation révèle l'existence de colonnes et de chapiteaux corinthiens situés très certainement en hauteur, au dernier niveau du bâtiment. L'emploi de ce type de décor avec un pareil module se retrouve fréquemment sur les monuments funéraires. On en distingue aussi bien sur des piles que sur les mausolées de type turriforme au sein de tholos par exemple. La découverte de dalles de calcaire dont certaines faces sont encore marquées des traces d'outils, permet d'envisager la présence soit d'une niche située dans l'élévation, soit d'un étage à claire-voie dont le sol était plaqué de ces dalles, sans doute pour recevoir des statues monumentales à l'effigie du défunt.
Une fosse était aménagée au sud du monument, en avant de la chambre. Elle semble n'avoir servi que pour la construction du tombeau. En effet, dès les rites funéraires effectués (nous ne possédons aucun indice pour trancher entre inhumation ou incinération), l'accès à la chambre est condamné par la pose d'un bloc obturant le passage.

La villa comme le mausolée sont abandonnés et démolis vraisemblablement vers la fin du IIIe siècle ou au cours du IVe siècle. Cette phase précède sans doute de peu l'implantation d'une nouvelle occupation de la colline, au sud-ouest de l'ancienne villa. Elle est matérialisée par des silos, des puits, des traces d'activité métallurgique, de grandes fosses empierrées, mais sans vestige patent d'habitation. Il est possible que celle-ci ait été entièrement détruite, ne nous laissant que les structures en creux les plus profondes.