A Lusse, Vosges, dans le cadre de la rénovation et de la sécurisation du tunnel transvosgien entre Lusse (88) et Sainte-Marie-aux-Mines (68), le SRA de Lorraine a mandaté, pour la partie vosgienne, un spécialiste en archéologie minière pour une étude préalable aux travaux réalisés par la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône.

Chronique de site
Dernière modification
10 mai 2016

Ce tunnel a été creusé de 1933 à 1937 pour établir une liaison ferroviaire sous le massif vosgien entre l'Alsace et la Lorraine. Après l'abandon de l'exploitation de la ligne par les trains en 1967, il fut aménagé en tunnel routier entre 1973 et 1976. Sa longueur est de 6 872 m (6 950 m avec les usines de ventilation). Le projet actuel comporte notamment le percement d'un second tunnel, dit de sécurité, du côté nord et parallèle au premier quasiment sur toute sa longueur. D'un diamètre d'environ 5 m, ce nouveau conduit est principalement destiné, en cas de sinistre, à l'évacuation des personnes du tunnel routier vers les sorties les plus proches grâce à des couloirs de liaison disposés à distance régulière.

L'impact archéologique envisagé est lié au fait que les orifices des deux tunnels sont situés, aussi bien du côté alsacien que du côté lorrain, au coeur d'un vaste district minier argentifère intensément exploité au xvie s. par les ducs de Lorraine. Pour la commune de Lusse, les données de la carte archéologique de Lorraine sont incomplètes et pauvres en information, en particulier concernant les mines. Mais des indices historiques laissent à penser qu'au lieu-dit Haute Merlusse se trouvait au XVIe s. une exploitation minière dont il reste à mesurer l'ampleur. Les hameaux de Basse Merlusse et Haute Merlusse sont situés directement au-dessus du tunnel routier. Une prospection thématique a donc été programmée et menée durant plus d'un mois afin d'évaluer l'impact archéologique et de tenter de répondre à la question suivante : le tracé du futur tunnel de sécurité risque-t-il de croiser d'anciens travaux miniers ? Dans cette éventualité, il est très important pour la sécurité des ouvriers présents sous terre au moment du forage de considérer que ces anciennes mines peuvent être encore totalement inondées. La perforation des parties les plus basses de ces poches pourrait alors provoquer d'importantes arrivées d'eau, soudaines et massives, dans le chantier de la SAPRR.

L'histoire des mines vosgiennes est bien connue. Pour le secteur de Lusse, deux exploitations sont connues au XVIe s. : la mine Notre-Dame, la plus renommée car la plus productive du ban, et la mine Saint-Jean, mentionnée comme mine productive et située du côté de Merlusse, mais dont l'entrée n'a jamais été retrouvée. L'étude s'est portée sur deux points : une prospection de terrain, à l'aplomb du tracé souterrain du tunnel, associée à une enquête orale de voisinage ; et une étude de la documentation conservée aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle, à Nancy. La prospection sur le terrain a porté ses fruits, malgré les conditions climatiques encore hivernales sur ce versant du massif (40 cm de neige par endroit) et les restes de la tempête de l'hiver 1999 avec des forêts entières mais couchées. La simple étude des cadastres trahit l'histoire minière du vallon. Plusieurs noms de lieux-dits sont éloquents : Les Mines, Pré de la Mine, Prés des Mines, Sur les Mines. Sur place, plusieurs vestiges de ces exploitations ont été reconnus dont certains sont inédits.

Ainsi, grâce aux souvenirs d'habitants âgés du village, une entrée de galerie a été localisée assez précisément. Elle avait été ouverte accidentellement vers 1950 par les ouvriers municipaux à la recherche d'un captage d'eau potable. Les chercheurs d'eau n'avaient pas osé pénétrer profondément (disent-ils !) dans une petite galerie qui « ne ressemblait pas aux abris de guerre », très nombreux dans ce secteur proche du front. Plus petite, elle était inondée et des traces d'outils étaient bien visibles. Une petite fontaine coule aujourd'hui au pied de cet affleurement rocheux, tout à fait susceptible effectivement d'accueillir une galerie de recherche creusée sur une des nombreuses fractures visibles. Une autre entrée de mine, la mine Notre-Dame, connue depuis longtemps déjà au lieu-dit Feing des Sarrasins, à 2 km au nord de Lusse, est trop éloignée de l'aplomb du tunnel pour être menacée. Son histoire est connue grâce à plusieurs études menées dans les archives de Meurthe-et-Moselle. Cette exploitation n'a pas été réouverte malgré plusieurs tentatives et bien que sa situation soit proche d'un chemin qui la rend accessible à des moyens mécaniques. De simples vérifications ont été réalisées sur le terrain. De nombreux affleurements de roches visibles à plusieurs endroits sur la commune peuvent abriter des galeries de recherches plus ou moins étendues. Il est extrêmement difficile d'en estimer le nombre. Les orifices sont souvent bouchés et si discrets qu'ils deviennent invisibles avec le temps. Nous avons donc dirigé notre recherche pour retrouver l'entrée de la mine Saint-Jean de Merlusse. Si on en croit les archives, elle se trouverait probablement quelque part au sud du lieu-dit Basse Merlusse, sur l'actuel lieu-dit Reind de Beauchamp. Mais sur place, aucune trace n'est visible. Des terrasses, aménagées au début du xxe s. pour des plantations, ont considérablement modifié le terrain.

Une autre campagne de prospection pédestre est en cours pour tenter de localiser cette entrée plus au nord-est, car il est aussi possible que le nom du lieu-dit ait migré depuis le XVIe s. en direction du talweg le plus proche. La consultation de différents fonds d'archives, utile pour comprendre le terrain, a été extrêmement fructueuse. À Épinal, aux archives départementales des Vosges, seul un document fait mention d'une mine dans ce secteur avant le XVIIIe s. : il s'agit du testament de Claude Zulooff, chanoine de Saint-Dié, daté du 28 février 1586, qui mentionne la « myne de Lusse nommée Sainte Barbe » (ADV /G409). À Nancy, les archives départementales de Meurthe-et-Moselle conservent une grande quantité de documents sur l'exploitation des mines vosgiennes par les ducs de Lorraine (dans la série B, avec de grandes suites notamment entre B/8766 et B/8910). On y trouve des comptes de la Chambre des comptes, des Layettes et autres registres de dépenses et de recettes minières. Après avoir consulté, photographié et transcrit un certain nombre de ces documents, ce ne sont pas moins de cinq mines qui sont mentionnées pour la seule commune de Lusse :

  • la mine Saint-Claude est la première mentionnée, dès 1517 (ADMM/B8838-1517-1518 et B8839-1518-1520). Mais il ne s'agit probablement que d'une galerie de recherche creusée sur le futur filon Notre-Dame. Aucune autre mention n'est connue après 1520 ;
  • la mine Notre-Dame de Forux est celle qui est la plus renseignée par la documentation d'archives. Elle fut la première à produire de l'argent. Même s'il se peut qu'elle ait été ouverte vers 1520, elle a été surtout productive autour de 1570 et régulièrement mentionnée dans de nombreux comptes miniers de 1566 à 1610. Sa localisation est bien connue au lieu dit Feing des Sarrasins. Elle fut la plus riche et la plus exploitée des cinq mines aujourd'hui connues pour Lusse.
  • la mine Abel n'est mentionnée qu'en 1567. Il ne s'agit probablement que d'une galerie de recherche dont on ignore tout;
  • la mine Sainte-Barbe n'est mentionnée qu'une seule fois, en 1586, dans le testament cité plus haut. Il s'agit encore d'une recherche dont on ne sait rien, pas même si elle a été entamée;

Enfin, la mine Saint-Jean de Haute Merlusse, ou de Bréauchamp. Cette mine nous intéresse particulièrement car le hameau de Merlusse se situe directement 60 m au-dessus du tunnel. La première mention se trouve dans deux petits registres de 1588 et 1590 (ADMM : B8882). Plusieurs comptes miniers en parlent plus tard et en donnent même une production d'argent qui nous laisse envisager des travaux plus ou moins profonds, avec un ou plusieurs puits. Une demande de renouvellement de l'aide financière donnée par le duc de Lorraine aux exploitants, datée du 17 mai 1607, nous donne une idée de la localisation de cette mine : « ... leurs compersonniers (concessionnaires) labourant la montagne de Saint Jean au Raing de Brehaulchamps en la haulte Merlusse prévostée de Sainct Diez.... » ADMM / B8892.fol.3v). Ce lieu-dit se retrouve de nos jours, légèrement modifié, sous le nom de Reind de Beauchamp et peut avoir été déplacé. Une étude plus fine de cette documentation d'archives est nécessaire pour mieux évaluer l'importance de cette exploitation. Le problème majeur réside dans le fait que les inventaires des fonds ne mentionnent pas systématiquement la totalité des noms de mines pris en compte dans les ensembles. À chaque cote correspondent plusieurs registres, liasses et autres acquis de comptes qu'il faut étudier feuille par feuille, parchemin par parchemin, pour ne pas manquer une mention souvent réduite à une seule ligne. Il reste donc beaucoup à faire. L'étude, sans être exhaustive, a démontré l'importance que peut prendre un petit secteur placé en périphérie d'un grand centre minier comme celui de Sainte-Croix-aux-Mines (68). La présence de plusieurs entrées de galeries de mine, jusqu'à présent restées inconnues, et de galeries productives pour une petite commune comme Lusse en donne une bonne idée. Cela nous laisse imaginer quels pourraient être les résultats d'une étude menée sur tout le territoire. Nous avons la chance de disposer d'une documentation d'archives très abondante et accessible.

Pour le moment, et dans l'attente des résultats de la suite de cette prospection, aucune exploitation connue ne semble être directement menacée par le chantier du futur tunnel de sécurité Maurice-Lemaire du côté lorrain.