À Troyes, Aube, une fouille dans le cadre d'un important projet de requalification urbaine et de la construction d'un parking souterrain de plan circulaire d'un diamètre de 49,50 m.

Dernière modification
26 mai 2016

Au cœur historique de la ville de Troyes, le SRA Champagne-Ardenne a prescrit une opération d'archéologie préventive, réalisée en plusieurs phases entre août 2004 et mars 2008 par les équipes de l'Inrap. La principale campagne de fouille a eu lieu entre les mois d'août 2004 et de septembre 2005.

Après une période d'interruption de quatre mois dévolue à la réalisation de la paroi moulée, une deuxième campagne a été réalisée aux mois de février et mars 2006. Une troisième phase, au mois d'avril 2007, a concerné les escaliers d'accès et la dernière, entre février et mars 2008, le local technique de la fontaine et le suivi de l'aménagement des fosses de plantation. L'emprise totale du chantier atteint 3 000 m² pour une puissance stratigraphique maximale d'environ 7 m, allant de la transition Pléniglaciaire-Tardiglaciaire (> 14 700 cal BP) au XXe siècle.


La fouille a livré de nouvelles informations sur le développement de la ville à l'époque romaine. Elle a, par ailleurs, permis de mettre en évidence l'un des plus importants cimetières urbains connus en France (près de 2 500 sépultures fouillées) ainsi que d'étudier les différents édifices religieux auxquels il est associé. Enfin, les fondations de deux halles au blé de l'Époque contemporaine ont été dégagées.


Le développement urbain d'Augustobona (Ier s. avant notre ère-IIIe s. de notre ère)


La première occupation et la mise en place du parcellaire (Ier s. avant notre ère-début Ier s. de notre ère)
Jusqu'au dernier quart du Ier s. avant notre ère, le site est une zone marécageuse dans laquelle serpentent des bras de la Vienne. Un réseau de fossés drainant est mis en place ainsi que plusieurs structures excavées avec cuvelage en bois. Une palissade de petits piquets de bois, associée à un fossé, délimite l'extension méridionale de l'occupation. Au début du Ier s. de notre ère, l'espace est en partie remblayé par un niveau de craie et le parcellaire est mis en place. Des bâtiments de petits modules, fondés sur des solins de bois en parfait état de conservation, se développent perpendiculairement à une voie orientée sud-ouest/nord-est. Dans les arrière-cours, sont aménagées des structures d'équipement. Un bâtiment, de grande dimensions, sur poteau occupe la partie est du site.

La création et le développement d'un quartier urbain (deuxième tiers du Ier-IIIe s.)
Le terrain a été exhaussé, parfois sur une hauteur supérieure à 1,50 m, par l'apport massif de sédiments sableux et graveleux qui ont permis d'assainir les sols avant la construction de nouveaux bâtiments. Dans un premier temps, à l'emplacement du bâtiment sur poteaux, un édifice, aux pièces organisées autour d'une cour, est construit. Cette domus devait comporter un étage à pan-de-bois reposant sur des murs en craie recouverts de peintures murales. Sur la parcelle voisine, non bâtie, se trouvent des structures d'équipement (latrines, puits, four, fosses dépotoirs...) ayant livré à la fois des déchets alimentaires (graines, noyaux, etc.) et des objets de la vie quotidienne (vaisselle de table, fibule, tablettes d'écriture en bois, etc.). La présence de nombreuses denrées d'importation (coriandre, origan, figue, pois chiche...) témoigne d'une alimentation riche et variée, indice d'une population relativement aisée.
L'espace libre de la parcelle ouest, divisé en deux parcelles, est loti entre le milieu du Ier s. de notre ère et le IIe s. Une galerie couverte court le long du cardo et du decumanus. Une des pièces du dernier bâtiment construit comporte des lambourdes maçonnées laissant supposer l'existence d'un entrepôt à grains (horreum) avec vide sanitaire.
Le site est vraisemblablement abandonné dès la fin du IIe s. ou au début du IIIe s.  ; la cité se replie alors à l'intérieur du castrum situé dans la partie orientale de la ville actuelle. La destruction des bâtiments marque le début d'une période d'occupation peu dense du site, caractérisée par un fossé bordé d'une palissade et de quelques fosses dépotoirs.

Un centre religieux aux époques médiévale et moderne (VIIe ?-XVIIIe s.)

Les indices d'une nécropole et d'un habitat antérieurs à l'an Mil.
Au VIIe s., une nécropole extra muros est associée à un bâtiment de petites dimensions dont le statut n'est pas encore défini (chapelle funéraire). D'après la tradition, l'abbaye Notre-Dame-aux-Nonnains serait fondée au VIIe s. dans cette partie du suburbium de Troyes ; la chapelle devenant alors monastique. Par la suite, au milieu du IXe s., la chapelle est transformée en église autour de laquelle se développent un cimetière et un habitat, ainsi qu'en témoignent les fosses dépotoirs observées au nord de la zone funéraire. Elles percent les remblais de démolition antiques et contiennent des fragments de céramique typique de la période carolingienne. Le nouvel édifice se caractérise notamment par des murs construits avec un appareillage en arêtes de poisson. Cette église, d'une largeur totale d'environ 20 m à l'intérieur, est constituée d'une nef centrale flanquée de deux bas-côtés.

L'église Notre-Dame et Saint-Jacques-aux-Nonnains : une histoire architecturale complexe (Xe-XVIe s.)

Le cimetière et l'église deviennent paroissiaux à la fin du Xe ou au début du XIe siècle. L'église est de nouveau agrandie avec la construction d'un vestibule d'entrée accolé à la façade occidentale. Par la suite, la nef a fait l'objet d'une réfection et une fosse a été creusée pour la fabrication de moules à cloche. Trois cloches, d'un diamètre compris entre 0,50 m et 1 m, y ont été fondues. Elles sont matérialisées par des vestiges, en place, de moules en argile qui ont subi une cuisson préalable à la fonte (présence de foyers sous chaque moule). Une chapelle funéraire semi-enterrée, dédiée ultérieurement à saint Simon, est aménagée dans la tour-clocher de l'angle nord-ouest de l'église. Les parements de la tour et de la chapelle sont réalisés avec des fragments de sarcophages et les contreforts avec des cuves entières imitant des blocs de grand appareil. Il est probable que ces sarcophages proviennent d'une nécropole gallo-romaine voisine. L'église a, par la suite, connu peu de modifications avant l'érection, à la fin du XVe ou au début du XVIe s., d'une avant-nef (le « beau portail »). Le plan de l'édifice semble ne plus devoir être modifié avant la Révolution.

Le développement du cimetière paroissial (Xe-XVIIIe s.)

Près de 2 500 sépultures, couvrant une période d'inhumation d'environ un millénaire, ont été étudiées pour cette période, ce qui représente l'un des plus grands cimetières urbains jamais fouillés en France (4 à 6 000 sépulture estimées). Si quelques tombes sont établies à l'intérieur de l'église Saint-Jacques-aux-Nonnains, la plupart des défunts sont enterrés autour de l'édifice religieux, ce qui entraîne des recoupements très fréquents entre les tombes. Une répartition spatiale en secteurs funéraires spécifiques peut être appréhendée : sépultures privilégiées dans la chapelle souterraine et le « beau portail », tombes maçonnées et d'enfants à proximité des murs de l'église. Les modes d'inhumation et les pratiques funéraires sont multiples (tombe en coffrage maçonné ou en bois, en sarcophage, en cercueil, en pleine terre, tombe individuelle ou collective) et évoluent au fil des siècles. À partir du XIIIe s., certaines sépultures sont accompagnées de dépôts funéraires (vases à encens), puis, aux XVIe-XVIIe s., de quelques objets de piété (chapelet, médaille) ou de parure usuelle (bague, boucle d'oreille) découverts principalement dans les caveaux pourrissoirs situés sous le « beau portail ». De nombreuses personnes ont été inhumées à l'intérieur de ces caveaux, puisqu'on ne compte pas moins de 161 individus pour le seul caveau sud.
Une partie du cimetière est réservée à l'hôtel-Dieu-le-Comte tout proche. Dans ce secteur, plusieurs sépultures multiples ont accueilli, entre le XIe et le XIIIe s., les victimes d'épidémies - des analyses biomoléculaires sont à effectuer pour pouvoir les déterminer : grippe, ergotisme, dysenterie, fièvre typhoïde...

La période révolutionnaire marque la fin de la fonction religieuse et funéraire du site. Le cimetière est abandonné dans la seconde moitié du XVIIIe s. et l'église est vendue comme bien national en 1796. Elle est rasée la même année pour servir de carrière à la halle au blé qui doit être érigée à sa place. Les fondations de ce bâtiment comportent de très nombreux éléments architecturaux en réemploi. La construction est arrêtée en 1798. Une seconde halle est construite en 1836 et abandonnée en 1895.