A Angers, Maine-et-Loire, la découverte fortuite de trois sarcophages par les ouvriers de la société chargée du dévoiement de réseaux sur la place du Ralliement dans le prolongement de la rue Saint-Maurille a donné lieu à une opération de fouille préventive sur ce secteur, en complément de la fouille initialement prévue rue Saint-Maurille.

Dernière modification
30 juin 2016

Les ouvriers chargés des travaux du tramway étaient déjà sensibilisés aux questions archéologiques et s'étaient montrés de dignes collaborateurs lors de l'intervention de la rue d'Alsace. Ils prévinrent donc l'Inrap et la Drac qui, en concertation avec la ville d'Angers et le projet du tramway, déclenchèrent une opération de fouille préventive. Le périmètre de fouille fut défini en fonction des découvertes et des destructions modernes (caves creusées au XIXe siècle, dalle du parking souterrain et autres réseaux existants dans les années 1970). La superficie totale approchant les 100 m2, deux mois ont été nécessaires pour une étude complète de la partie préservée.

La place du ralliement à Angers, un quartier revisité

La place du Ralliement a été créée à l'époque révolutionnaire, à l'emplacement de plusieurs cimetières et églises. Celle de Saint-Pierre, qui se situait devant l'actuel théâtre, a totalement disparu en 1971, lors de la construction du parc de stationnement souterrain ; une rapide étude menée alors par Jean Siraudeau et Jacques Mallet a juste permis d'en reconnaître le plan et quelques tombes. L'extrémité de la nef de l'église Saint-Maurille, dont on vient de retrouver l'amorce du choeur, a été partiellement fouillée en 1878-1879 ; le reste de l'édifice a lui aussi été totalement détruit lors des creusements de 1971. Enfin, l'église Saint-Mainboeuf, prise en partie sous la rue d'Alsace, a subi le même sort que les précédentes lors du percement de cette rue ; quelques vestiges en sont apparus lors des fouilles effectuées par les équipes de l'Inrap dirigées par Élodie Cabot en juin et juillet 2008. Toutes les trois étaient des basiliques funéraires suburbaines, qui accueillirent les dépouilles des premiers évêques d'Angers.

Les fouilles antérieures

La fouille qui a eut lieu de septembre à novembre 2008 fait suite à de nombreuses découvertes effectuées durant les XIXe et XXe siècle. Les plus importantes eurent lieu en 1868-1869 lors de la décision de décaisser la partie orientale de la place. Une fouille dirigée alors par l'archéologue Armand Parrot a permis de mettre au jour des constructions datées du Haut-Empire à la fin du haut Moyen Âge. De nombreuses tombes en pleine terre, mais également en coffres de schiste ou en sarcophages de calcaire et de coquillier furent fouillées. Elles jouxtaient un édifice religieux dont seule l'extrémité de la nef a pu être appréhendée. Un bassin de forme octogonal, en contact avec la façade de l'édifice, évoquait un baptistère. En avant de cette construction, Parrot mit en évidence un petit établissement thermal antique. L'église semblait être celle dédiée à l'évêque Saint-Maurille, qui avait subi plusieurs transformations et reconstructions avant d'être détruite à la Révolution. Après la Seconde Guerre mondiale, l'architecte Henri Enguehard constatait la présence de sarcophages devant le grand magasin des Nouvelles Galeries (aujourd'hui Galeries Lafayette). Mais c'est la construction du parc de stationnement, en 1971, sur la partie occidentale de la place du Ralliement, qui a été l'occasion d'observations majeures. Vu le temps imparti, le secteur opposé fut à l'époque délaissé, malgré les découvertes de Parrot à la fin des années 1860. L'opération archéologique a néanmoins permis d'observer une occupation antique sans doute dès l'époque augustéenne. Dans ce secteur périphérique de la ville, les orientations divergentes des rues par apport à la trame viaire générale de l'Angers d'alors, Juliomagus, pourraient indiquer que la ville s'était précédemment étendue jusque-là. Malheureusement, la rapidité du chantier provoqua la destruction de vestiges sans qu'aucune véritable étude stratigraphique n'ait pu être menée, notamment ceux de l'église Saint-Pierre, considérée à l'heure actuelle comme la plus ancienne.
À l'exception d'une monnaie découverte dans un sarcophage d'enfant, datée du Haut-Empire mais dont l'usure atteste une circulation longue, le mobilier datant est inexistant. En plus des trois sarcophages initiaux, la fouille a mis au jour des maçonneries, des niveaux de sol conservés, des tombes en coffrages de schiste et de nombreux sarcophages en calcaire

Au total quarante-trois tombes ont été fouillées. Vingt-cinq d'entre elles sont des sarcophages (cliché 2), quinze des coffres de schiste (cliché 3) et trois plus modestes sont en pleine terre et cercueil de bois. Elles sont disposées de part et d'autre des murs correspondant à un état ancien - mais sans doute pas primitif - composant la nef de l'église Saint-Maurille, approximativement au niveau du choeur. Les différents types d'inhumation témoignent d'une occupation de l'espace funéraire sur une longue durée, avant et après la fondation de l'édifice religieux.
Si certains sarcophages ne contiennent qu'un seul individu, pour d'autres le dépôt osseux indique un fonctionnement différent, avec des inhumations successives et des phénomènes de réduction. Cette pratique particulière concerne surtout les sarcophages de petite dimension (70 x 155 cm), avec notamment plus de vingt dépôts d'enfant pour le sarcophage 19 (cliché 4). Cette pratique nécessite la réouverture fréquente des tombes et par conséquent un accès aux sarcophages.

Le sarcophage 16 (clichés 5 et 6) est pourvu d'acrotères, petits « édicules » sculptés aux quatre coins du couvercle du sarcophage (à l'Antiquité, les sarcophages pouvaient présenter des décors très élaborés, notamment sous la forme d'acrotères avec des motifs floraux, végétaux ou autres). Les Angevins l'ont toujours considéré comme étant celui de l'évêque saint Maurille. Il renfermait les restes osseux, complets et en connexion, d'un jeune adulte. On sait par les textes que les ossements de l'évêque ont subi des déplacements et prélèvements de reliques dès le viie siècle, il ne peut donc s'agir de sa dépouille. Compte tenu de la position et de la taille (72 x 210 cm) du sarcophage, on peut supposer que l'inhumé était un personnage appartenant à l'élite urbaine.
La réputation de saint Maurille, quatrième évêque d'Angers, peut expliquer la forte proportion d'enfants, surtout en bas-âge, dans les tombes. L'évêque Maurille s'était illustré en ressuscitant un enfant de sept ans, mort dans son église avant de recevoir la confirmation. Le chagrin éprouvé par l'évêque suite à ce décès fut si fort qu'il s'exila en Angleterre. Retrouvé par ses diocésains, il revient finalement à Angers. Lorsqu'il se rendit sur la tombe de l'enfant pour prier, celui-ci retrouva la vie. Il prit dès lors le nom de René (littéralement « celui qui naît deux fois ») et devînt le successeur de l'évêque Maurille sous le nom d'évêque René. Très longtemps après ce miracle, les fidèles apaisaient la douleur d'avoir perdu un enfant en le faisant enterrer dans ce cimetière, sous la protection de l'évêque éponyme.

Perspectives

L'endroit même de la découverte remet en cause les hypothèses formées jusqu'alors sur la situation et les dimensions de Saint-Maurille. Actuellement, bien que l'analyse des restes osseux humains soit encore en cours, les premiers résultats concernant les tombes individuelles tendent à faire apparaître de possibles regroupements familiaux par secteurs, perceptibles surtout chez les adultes. Les résultats de datation au carbone 14 ne sont pas encore connus, mais il semble que certaines inhumations puissent être antérieures à la construction de la première église, au Ve siècle, sous l'épiscopat de Maurille. La vocation religieuse de cette partie de la ville, véritable carrefour d'églises, s'appuie-t-elle sur une tradition plus ancienne et/ou une origine funéraire de la fin de l'Antiquité classique ? C'est une hypothèse sérieuse qui ne demande qu'à trouver des confirmations et qui permettra de comprendre pourquoi tant de basiliques ont été construites en cet endroit. Voici une des questions fondamentales qui se posent aujourd'hui.
L'occupation antique du quartier, dont l'existence est connue de longue date, montre une extension de la trame viaire dans ce secteur très périphérique de Juliomagus. Sa mise en place dans les années 20-30 est similaire à celle des autres rues, mais de nouvelles données (traces retrouvées d'un cardo perpendiculaire à la rue d'Alsace et, à confirmer, à la rue Saint-Maurille) montrent un espace mis en réserve sous la forme de fossés périphériques à la voirie. Manifestement les plans du schéma urbain élaborés sous Auguste prévoyaient des rues beaucoup plus larges que lorsqu'elles ont été construites sous Tibère. L'occupation qui se déploie le long de cette rue bordée de trottoirs se caractérise dans un premier temps par une activité liée au feu (forge et métallurgie), à laquelle succède, à partir de la seconde moitié du ier siècle, une probable maison d'habitation.
En croisant les données recueillies rue d'Alsace, d'avril à juillet 2008, et rue Saint-Maurille, en octobre-novembre de la même année, une nouvelle lecture des textes disponibles, et les opérations archéologiques qui démarrent à la mi-mars 2009, une réinterprétation d'ensemble du passé de la place du Ralliement pourra être envisagée.