L'Inrap consacre sa saison scientifique et culturelle 2023 à un état des travaux archéologiques sur l'Antiquité, et notamment sur la Gaule romaine, dont l'archéologie préventive a révélé les visages multiples.

Dernière modification
06 septembre 2023

Quelle Antiquité ?

Coïncidant avec la Gaule romaine, l’Antiquité se situe conventionnellement en France entre la conquête de Jules César (52 av. J.-C.) et la fin de l’Empire romain d’Occident (476), mais recouvre des réalités et des temporalités multiples. Ainsi, la Provincia ou Gallia Transalpina (future Narbonnaise) est déjà sous domination romaine en 118 av. J.-C. Au sein de la période elle-même, l’Anarchie militaire (235-284) met fin à une période de relative paix intérieure (pax romana) et marque le basculement vers le Bas-Empire et l’Antiquité tardive, sur fond de conflits extérieurs (Goths et Alamans). Longtemps perçue comme une ère de déclin, l’Antiquité tardive s’est affirmée comme une « autre Antiquité, une autre civilisation » (Henri-Irénée Marrou, Décadence romaine ou Antiquité tardive, 1977). Cette période voit en effet, entre la fin du IIIe et le début du IVe siècle, s’opérer la division de l’empire en deux ensembles, oriental et occidental, et émerger le christianisme, qui s’installe progressivement comme religion officielle et devient, à partir du IVe siècle, un élément essentiel de la cohésion de l’Empire.

Enfin, l’abdication de Romulus Augustule en 476 ne détermine que symboliquement la fin de l’Empire romain d’Occident et l’ouverture aux royaumes dits barbares (Francs au nord, Burgondes à l’est, et Wisigoths dans le sud et le sud-ouest). L’archéologie n’a pas trouvé trace des ravages causés par les « hordes d’envahisseurs » que nous a transmis le roman national : à partir de la fin du IIe siècle, nombre de ces « barbares » ont rejoint l’armée romaine (comme naguère les Gaulois les armées de Jules César), voire des postes importants de l’Empire, et ils contrôlent déjà, à titre d’« alliés » de Rome, une grande part des provinces de la Gaule en 476. Au même moment, la christianisation prend le relais de l’Empire dans les villes (plus tardivement dans les campagnes), dont elle perpétuera les cadres, l’administration, la langue et la culture latines et l’idéal de puissance bien au-delà du seuil du haut Moyen Âge.
 

Le fossé sud du grand camp (en bas) et l’avant fossé (en haut à droite).

Gergovie : le fossé sud du grand camp (en bas) et l’avant fossé (en haut à droite).

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Denis Gliksman, Inrap

La « romanisation » de la Gaule

Sur près de 50 000 opérations menées par l’Institut depuis sa création en février 2002, 13 300 rapports de diagnostic et de fouille font mention de vestiges antiques. Les faits qui sont observés sur le terrain puis analysés tendent à remettre en question les ruptures héritées de l’historiographie du XIXe siècle, à commencer par la vision qui s’est longtemps imposée dans les manuels d’histoire d’une conquête brusque et civilisatrice par Jules César, suivie d’une rapide remise en ordre du « chaos barbare et belliqueux de la Gaule » (Jules Michelet). Au-delà de cet aspect militaire, à la violence incontestable (autour de 700 000 morts estimés pour les seuls « faits de guerre ») et documentée par quelques contextes archéologiques  (Gergovie, Strasbourg, Saint-Just-en-Chaussée…), les fouilles préventives ont permis de développer des approches sur le temps long qui ont significativement enrichi le débat sur la « romanisation », à savoir le processus d’acculturation au sens large qui voit les Gaulois adopter la culture de l’occupant romain, notamment sa langue latine, sa citoyenneté, sa structuration administrative et ses cultes. 

Fouille de bâtiments agricoles gallo-romains découverts dans le quartier de Beauregard en périphérie de Rennes (Ille-et-Vilaine) à l'été 2011.
Fouille de bâtiments agricoles gallo-romains découverts dans le quartier de Beauregard en périphérie de Rennes (Ille-et-Vilaine) à l'été 2011.
© Hervé Paitier, Inrap

Les photographies aériennes et l’archéologie des grands espaces sur de vastes linéaires (LGV, autoroutes, etc.) ont révélé un réseau dense de « fermes indigènes » de types variés attestant le caractère florissant de l’agriculture gauloise pendant le second âge du Fer et invitant à nuancer le rôle et la place de la villa, édifice à vocation résidentielle (pars urbana) et agricole (pars rustica), qui était perçue jusque-là comme le marqueur principal de la romanisation dans les campagnes. Si les fouilles extensives ont permis d’en étudier de somptueuses, elles témoignent plus globalement d’une intensification de la mise en valeur des terres (spécialisation accrue des cultures, vastes greniers maçonnés, moulins hydrauliques, expansion de la viticulture, de l’oléiculture et de la fruiticulture) et d’une meilleure exploitation de l’espace gaulois pour l’intégrer dans l’« économie monde » romaine (voir le colloque de l’Institut, « Comment les Gaules devinrent romaines ? », Ouzoulias, Tranoy, 2010).

Vue générale du secteur balnéaire de la villa de Damblain (Vosges), IIe-IIIe s. de notre ère, 2008.   A gauche au premier plan, le praefurnium, et au second plan le vestiaire. A droite, de bas en haut, la succession de la salle chaude, la salle tiède et l
Vue générale du secteur balnéaire de la villa de Damblain (Vosges), IIe-IIIe s. de notre ère, 2008.

A gauche au premier plan, le praefurnium, et au second plan le vestiaire. A droite, de bas en haut, la succession de la salle chaude, la salle tiède et la salle froide avec son bassin attenant.
© René Elter, Inrap

D’autres questions sont venues interroger cet « héritage » romain. L’histoire des Gaules romaines ne s’enracine-t-elle pas dans une lointaine protohistoire ? Le monnayage, le commerce du vin, l’urbanisation (Bibracte) ne se développent-ils pas dans les Gaules dès la fin du second âge du Fer ? Ces débats ont mis en évidence le caractère souvent lent et diffus des transitions historiques (âge du Fer/Antiquité, mais aussi Antiquité/Moyen Âge), ainsi que de fortes disparités entre la ville et les campagnes ou entre les territoires, ils n’ont pas entamé pour autant l’évidence du processus massif de transformation qui a vu dans un intervalle de deux, trois générations seulement la Gaule devenir « gallo-romaine », un phénomène dont l’échelle est sans précédent dans l’histoire des Gaules et dont nous sommes héritiers par bien des aspects dans notre culture, notre langue, l’organisation du territoire, la forme des villes. 

L'UTILITÉ ET L'AGRÉMENT (Utilitas et amoenitas)

Cette présence romaine se traduit en premier lieu par la division administrative et politique opérée sous Auguste des Gaules en provinces et en « cités » ou civitates (deux tiers de nos préfectures actuelles sont des chefs-lieux gallo-romains). Elle se caractérise par le développement viaire qui voit les campagnes se couvrir d’un réseau dense et régulier de villes nouvelles et d’agglomérations secondaires (vici), hameaux, relais, mansiones, créés de toutes pièces autour des voies routières et fluviales, nouvelles ou réaménagées. Un des apports les plus caractéristiques de cette culture urbaine de l’« utilité et de l’agrément » (utilitas et amoenitas) a trait aux systèmes hydrauliques d’approvisionnement, de distribution et d’évacuation de l’eau (aqueducs, châteaux d’eau, puits, égouts) qui alimentent en eau courante de riches domus et villae, thermes, piscines, bassins, fontaines…

Bassin d'agrément entièrement construit en tegulae (tuiles plates à rebord) et mortier hydraulique, Ier-IIIe s. de notre ère, Portbail (Manche), 2012.Converti en dépotoir, son remplissage charbonneux contient plusieurs kilos d'ossements animaux fragmentés
Bassin d'agrément entièrement construit en tegulae (tuiles plates à rebord) et mortier hydraulique, Ier-IIIs. de notre ère, Portbail (Manche), 2012.
Converti en dépotoir, son remplissage charbonneux contient plusieurs kilos d'ossements animaux fragmentés et brûlés.
© Eva Bisson, Inrap


Les fouilles préventives en cœur de ville ont notamment permis de reconstituer à une échelle inédite de vastes tissus urbains, avec leurs forums et leurs annexes, leurs théâtres, amphithéâtres, leurs parures monumentales et leurs édifices honorifiques, leurs trames orthogonales, les habitats modestes et les domus à décors remarquables, les boutiques, ateliers et entrepôts. De même, est bien documenté l’espace périurbain avec ses quartiers d’artisans (forgerons, verriers, tanneurs), jardins, sanctuaires et petites nécropoles en bord de route. Les découvertes régulières de carrières de pierre, de fours à chaux, d’ateliers de tuiliers témoignent de cette activité fiévreuse de construction qui remodèle tout le paysage urbain et périurbain.

Tous ces aménagements ne sont pas propres à la Gaule romaine et sont attestés, sous des formes relativement identiques, dans tout l’Empire romain, même si des spécificités locales demeurent. L’étude de cet héritage ne saurait d’ailleurs se limiter à cette « romanité en majesté » aux contours sans doute un peu trop nets, mais doit être étendue plus globalement aux conséquences variées du contact des populations gauloises avec l’occupant romain, source d’hybridations et de romanisations multiples.
À travers un échantillon de travaux scientifiques et de manifestations culturelles soutenus par l’Institut, la saison « Antiquité » qui s’ouvre devant nous se propose de dresser un portrait de la recherche actuelle et de mettre en lumière les facettes diverses de la Gaule romaine que l’archéologie a révélées.

L’agenda antique

Manifestations scientifiques

Plusieurs manifestations culturelles et scientifiques vont ponctuer cette saison « Antiquité ». C'est ainsi que de mars à novembre 2023, un cycle de sept conférences thématiques est organisé par l’Inrap en collaboration avec Sorbonne Université. Au programme : la ville antique de Marseille ; l’urbanisme ; l’environnement et les productions dans les agglomérations antiques ; les campagnes de Gaule romaine (pratiques culturales, régionalisation, élevage et alimentation…) ; les sanctuaires gallo-romains à travers les études environnementales, les nécropoles antiques ; la pharmacopée antique ; les campagnes gallo-romaines à la fin de l’Antiquité et la transition avec le début du haut Moyen Âge.

Comme chaque année, l’Institut consacrera son colloque international à la saison scientifique et culturelle (fin d’année) et contribuera aux grands cycles de manifestations réunissant les archéologues et les historiens antiquisants, ainsi :

  • Le congrès de la Société Française d'Étude de la Céramique Antique en Gaule (SFEFAG) à Hyères (18-21 mai 2023) ;
  • Le colloque Antiquité tardive en Gaule (ATEG VIII) : « Les villes de l’Antiquité tardive en Gaule : des sites multipolaires » à Bordeaux (7-9 décembre 2023) ;
  • La troisième édition des États généraux de l'Antiquité à Lyon sur le thème « Tous les chemins mènent à l’Antiquité » (12-13 mai 2023).
Marie-Pierre Rothé (responsable de l’opération archéologique, MDAA) et Julien Boislève (responsable de l’études des enduits peints, Inrap), dégagement en cours de la paroi peinte.

Marie-Pierre Rothé (responsable de l’opération archéologique, musée départemental Arles Antique) et Julien Boislève (responsable de l’études des enduits peints, Inrap). Dégagement d'une paroi peinte. Fouille programmée du site de la Verrerie à Arles.

© R. Benali MDAA

Expositions et manifestations culturelles

Un riche programme d’expositions coproduites avec l’Inrap est également prévu  autour de la thématique de l’Antiquité.

  • « Retour à la poussière » : le musée départemental Arles Antique, en collaboration avec l’Inrap, accueillera à partir du 3 juillet l’exposition « Back to Dust » par l’artiste Marguerite Bornhauser, autour des enduits peints découverts dans la « maison de la Harpiste », une domus républicaine fouillée à Arles sur le site de la Verrerie (2017).
  • « Dévoiler Nemausus, Jean-Claude Golvin, un architecte et des archéologues » : jusqu’au 5 mars 2023, le musée de la Romanité de Nîmes accueille une exposition présentant les œuvres de l'architecte spécialiste de la restitution des sites antiques, en partenariat avec l’Inrap (dans le cadre notamment de la fouille d’archéologie préventive menée par l’institut sous la piste de l’amphithéâtre de Nîmes).
  • L’Antiquité dans le métro parisien : l’artiste et architecte Jean-Claude Golvin s’associera également avec l’Inrap pour réaliser une longue fresque (138 m de long) sur le thème de la saison « Antiquité », installée à partir de début juillet dans le couloir de métro de la station Montparnasse Bienvenüe, dans le cadre d’un partenariat entre l’Inrap et la RATP.
  • « Alix, l’exposition »-« Migrations » : du 13 mai au 30 novembre 2023, le MuséoParc Alésia accueille « Alix, l’exposition », autour de la fameuse bande dessinée de Jacques Martin, tandis que l’archéocapsule (exposition légère) « Migrations » (Inrap), rejoindra l’espace Archéo partagé entre le MuséoParc Alésia et l’institut.
  • « Agriculture, élevage : l'Antiquité en héritage » : du 29 janvier au 30 juillet 2023, le musée de la Seine-et-Marne s’associe au service départemental d’archéologie et à l'Inrap pour présenter des outils provenant de fermes gauloises et gallo-romaines situées en Île-de-France, la cave de Contrexéville en Lorraine, des reconstitutions et découverte du laboratoire des sciences environnementales.
  • « Grande Terre de Vins, le terroir révélé par l'archéologie » : jusqu’au 3 décembre 2023, le MuséAl d’Alba-la-Romaine accueille l'exposition réalisée en partenariat avec l’Inrap, offrant une nouvelle lecture de l'histoire du vin dans le département de l’Ardèche.
  • « Au pied du mur » : l’exposition sur l’enceinte romaine du Mans présentée au Musée Jean-Claude Boulard-Carré Plantagenêt (Le Mans) est prolongée jusqu’au 14 mai.
  • « D'un monde à l'autre, Augustodunum de l'Antiquité au Moyen Âge » : l’exposition déjà présentée au musée Rolin d’Autun sera accueillie par le musée d’Archéologie nationale à partir du mois de janvier 2024, une occasion de revoir l’exceptionnel vase diatrète mis au jour par l’Inrap en 2020 à Saint-Pierre-L’Estrier (le tissu d’or découvert au cours de cette même fouille sera présenté, lui, en septembre 2024 au musée du quai Branly-Jacques Chirac).

Enfin, comme chaque année, l’Inrap contribuera à de nombreuses actions culturelles, conférences, portes ouvertes de chantier, etc. autour de l’Antiquité dans le cadre des Journées européennes de l’archéologie (du 16-18 juin 2023), des Journées européennes du patrimoine (16-17 septembre 2023), des Journées romaines d’Autun (5-6 août 2023) … Une programmation à suivre dans l’agenda d’inrap.fr.

Dégagement du soubassement de la tour d'angle dite Tour de l'Evéché, de la cathédrale du Mans (Sarthe), constitué de gros blocs et petit appareil de moellons.
Dégagement du soubassement de la tour d'angle dite Tour de l'Evéché, de la cathédrale du Mans (Sarthe), constitué de gros blocs et petit appareil de moellons.
© Stéphane Augry, Inrap

Sur inrap.fr

Estampille saison Antiquité

Toute l'année, cette saison « Antiquité » se suit sur inrap.fr au gré des nouvelles découvertes de sites antiques qui feront l’objet d’articles d’actualité, de reportages et d’entretiens avec des archéologues de l’Inrap. À venir ainsi prochainement, des entretiens sur la fouille de la nécropole de la Robine, sur la fouille programmée du site de Gabies (Mission archéologique du Louvre/Inrap, Latium, Italie), sur les sarcophages du musée départemental Arles Antique, sur la fouille du site de La Verrerie et le remontage des enduits peints, sur l’étude des graffitis découverts à l’occasion de la fouille du site de l’Alcazar (Marseille)…

Des activités et des ressources pédagogiques sur l’Antiquité sont également proposées dans l’espace enseignants, des expositions numériques dans la Galerie muséale. Enfin, un espace thématique d’inrap.fr entièrement dédié à la saison scientifique et culturelle regroupe des sélections (playlists) de ressources, multimédias (Archéomémos, atlas interactifs...), reportages, rencontres, podcasts, jeux, expositions, « Mémoires de fouilles »...

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Pour aller plus loin : focus sur des projets collectifs de recherches, publications et thèses

Chaque année, l’institut accompagne des projets scientifiques sous formes de temps de recherche accordés à ses chercheurs pour pouvoir commencer ou poursuivre leurs travaux. Ainsi, cette année, plus de 70 projets interdisciplinaires et collectifs, publications, thèses, fouilles programmées, sont soutenus par l’institut autour de la période et des thématiques de l’Antiquité. Focus sur quelques-uns de ces projets et thèmes de recherche.

Occupation de l’espace et archéologie des villes

Que ce soit en cœur de ville, en secteur périurbain (ZAC) ou en pleine campagne, les fouilles préventives récentes ont permis une connaissance de plus en plus fine du cadre territorial fixé par Auguste au début du Ier siècle av. J.-C. et de son évolution. Au sud, l’ancienne Provincia prend le nom de Narbonnaise et demeure administrée directement par le Sénat romain, et le reste du territoire conquis (la « Gaule chevelue ») est divisé entre les « trois Gaules » : la Lyonnaise (de la Loire jusqu’à la Seine, incluant la Normandie et l’Armorique), l’Aquitaine (de la Garonne à la Loire), et la Belgique (tout le Nord et l’Est). La subdivision administrative de ces provinces en soixante cités, ou civitates, aux limites calquées sur les frontières ethnopolitiques des territoires gaulois de la fin de l’âge du Fer est l’espace de référence des archéologues. C’est en effet à ce niveau concret du territoire de la cité (la « petite patrie ») que s’opère le processus qui voit les notables gaulois qui ont échappé à la guerre et à l’épuration, puis leurs enfants, accepter d’être des magistrats à la romaine, et obtenir en échange une autonomie locale. Ce sont essentiellement ces élites locales qui, selon l’obligation morale de l’évergétisme, ont supporté le coût des aménagements des villes et agglomérations de leur cité (urbanisation, infrastructures, sanctuaires, etc.), afin d’obtenir un large consensus de la part de leurs concitoyens, tout en confortant leur adhésion à l’Empire. Ce processus s'est effectué à différents rythmes.

Vue aérienne d'un quartier de l'antique Nemausus mis au jour à Nîmes (Gard), en 2023.
Vue aérienne d'un quartier de l'antique Nemausus mis au jour à Nîmes (Gard), en 2023.

© Antoine Farge, Inrap


Parmi les travaux soutenus cette année par l’Inrap qui se consacrent à l’occupation de l’espace dans l’Antiquité et à l’archéologie des villes, plusieurs projets collectifs de recherche (PCR) s’intéressent au rôle des agglomérations secondaires : l’habitat groupé antique de la cité des Lémovices (Limoges), l’agglomération d’Optevoz (Isère), l’agglomération antique de Saint-Moré / Cora Vicus (Yonne), ainsi qu’une publication sur les agglomérations secondaires antiques en région Centre.
Dans le domaine de l’archéologie des villes, signalons deux projets de publication, l’un sur l’arc monumental dit « porte de Mars » à Reims, la capitale de la Gaule Belgique, le plus grand arc connu de tout l’Empire (milieu du IIe siècle-IIIe siècle), l’autre sur l’archéologie urbaine à Marseille (publication des fouilles récentes). Plusieurs projets collectifs de recherche sur la ville démarrent également cette année : sur l’origine, le développement et la disparition de la cité antique de Corseul, sur la ville antique de Carhaix (Ier s. av. J.-C. - Ve s. apr. J.-C.), sur le fait urbain à Soissons, sur l’organisation, et l’évolution de la trame urbaine de Durocortorum (Reims), sur un atlas topographique des villes de Gaule méridionale.

De la fin du IIIe au Ve s. ap. J.-C., des constructions de remparts défensifs et prestigieux interviennent dans de nombreuses villes de Gaule. Deux projets collectifs de recherche s’y consacrent, l’un sur l’enceinte romaine d’Angers (Maine-et-Loire), l’autre sur celle du Mans (Sarthe). Ces enceintes ont contribué à définir un nouveau cadre urbain, marqué par la rétractation des villes, la désertion ou le maintien avec des fortunes diverses des agglomérations secondaires et des quartiers périurbains. Tel est le sujet du projet collectif de recherche sur les faubourgs de Metz - Divodurum (Moselle) durant l’Antiquité tardive (IVe-VIe siècle) également soutenu cette année par l’Inrap. Le colloque international Ateg VIII (Antiquité tardive en Gaule) se consacrera également cette année au sort inégal de ces espaces intermédiaires.
 

Sanctuaires

La religion romaine a fait montre d’une complète tolérance à l’égard des cultes et religions des peuples conquis, du moment qu’était pratiqué le culte impérial. Cette tolérance explique qu’un nombre impressionnant de sanctuaires et de temples de traditions celtique (fana) et romaine, dédiés à une ou plusieurs divinités gauloises ou assimilées à leurs parallèles romains (Teutates/Mercure, Taranis/Jupiter, Esus/Mars, etc.), aient été mis au jour par l’Inrap ces trois dernières décennies : à Pont-Sainte-Maxence (Oise), Famars (Fanum Martis, Nord), Neuville-sur-Sarthe (Sarthe), Mons Seleucus/  la Bâtie-Montsaléon (Hautes-Alpes), Mandeure (Doubs) et tout récemment à la Chapelle-des-Fougeretz (Ille-et-Vilaine), pour citer les plus imposants.

 la partie centrale ou cella, la demeu
Vue aérienne oblique du fanum carré (15 m de côté) en cours de fouille, Ier -  IIe s. de notre ère, Neuville-sur-Sarthe (Sarthe), 2010.
On distingue les différents éléments constitutifs d’un sanctuaire celto-romain : la partie centrale ou cella, la demeure du dieu, est ceinte d’une galerie de circulation, qui accueillait les pèlerins. Ce fanum est ouvert à l’est, en direction du soleil levant.
© Hervé Paitier, Inrap

Les recherches récentes ont permis de préciser le fonctionnement de certains de ces espaces religieux d’observer la variabilité des expressions cultuelles au sein d’un même sanctuaire ou entre divers sanctuaires au sein d’une même cité ou d’une même région, ainsi que leur évolution dans la longue durée. Un projet collectif de recherche démarre ainsi cette année sur le paysage religieux antique en Île-de-France.

Les Gaulois ont donné une très grande importance à des cultes guérisseurs en lien avec les eaux, des bois sacrés et des divinités « topiques », un domaine illustré cette année par un autre projet collectif de recherche sur le sanctuaire occidental de Mâlain/Mediolanum - étude intégrée d’un sanctuaire des eaux périurbain en territoire lingon (Côte-d’Or).
Ni gaulois ni romain, le culte de Mithra est originaire de Perse. Il a été diffusé par des légionnaires qui l’ont introduit en Gaule au cours du IIe siècle apr. J.-C. Les vestiges mis au jour par l’Inrap du mithraeum d’Angers (Maine-et-Loire) et de celui  de Lucciana (Haute-Corse) ou encore, dans un autre registre oriental, le disque astrologique de la villa de Chevroches (Nièvre), illustrent la grande mobilité des idées religieuses au sein de l’Empire. L’Inrap soutient un projet de publication sur le mithraeum d’Angers et ses mobiliers.

Rites funéraires

Les fouilles de tombes et de nécropoles ont mis en évidence une relative continuité des pratiques funéraires en Gaule entre la fin de l’âge du Fer et l’époque romaine, tant pour l’inhumation que pour la crémation (plus répandue). Réservé aux élites pendant l’âge du Fer, le bûcher en fosse se « démocratise » à partir de 25 apr. J.-C. Une place importante est accordée au rite social du banquet funéraire, qui est attesté également à la fin de l’âge du Fer, mais qui se généralise à l’époque romaine (avec une moindre ostentation). L’utilisation du bûcher en fosse décline dans la seconde moitié du IIe siècle, tandis que se développent les autels funéraires et les mausolées dont les inscriptions perpétuent le souvenir des défunts. Un projet de publication se consacre cette année à l’ensemble funéraire antique exceptionnel de la Robine à Narbonne (1 650 structures funéraires) et témoigne au sein d’une population italique relativement homogène de l’extraordinaire variété des rites, des structures à crémation, des inhumations et de leur évolution du Ier siècle au IIIe siècle apr. J.-C. Une autre publication se consacre au cas de la nécropole antique de Pont-l’Évêque à Autun (première moitié du IIe s. apr. J.-C.) qui a livré 450 tombes, dont une majorité d’inhumations et plus de 200 stèles en position secondaire.

Vue de drone de la nécropole antique de Narbonne

Vue de drone de la nécropole antique de Narbonne

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Denis Gliksman

Plusieurs autres projets de publications soutenus cette année témoignent de ces disparités des rites funéraires gallo-romains. L’un se consacre au cas d’une vingtaine de sépultures de nourrissons (de 1 mois à 2 ans) datées du Haut-Empire et en bon état de conservation, identifiées sur le site de Mougon à Crouzille (Indre-et-Loire), inhumés à proximité d’habitats et d’ateliers de potiers, selon la coutume répandue d’inhumer les enfants à proximité du foyer familial (Aulnat, Puy-de-Dôme). Un autre projet, « Étude numismatique et contextuelle de 50 trésors gallo-romains découverts en Gaule du Nord : épargnes, bourses, dépôts cultuels et funéraires », traite du cas des dépôts funéraires de monnaie, soustraits de la circulation monétaire. L’ensemble funéraire à inhumation du Bas-Empire de Savasse (Drôme), et l’ensemble funéraire tardo-antique de Saint-Michel à Montpellier (IIIe-IVe s.) font également l’objet de projets de publication. L’adhésion au christianisme au Ve siècle ne réoriente que très lentement et inégalement ces pratiques de dépôts d’objets dans les tombes, qui subsisteront jusqu’au VIIIe siècle dans le nord de la France. Enfin, deux thèses sont soutenues cette année par l’Inrap, l’une sur « la place du mobilier en verre dans les sépultures gallo-romaines et mérovingiennes du nord de la France, du Ier s. au VIe s. apr. J.-C. », l’autre sur des nécropoles de l’Antiquité tardive de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais).

Culture matérielle, vie quotidienne
 

Dans le domaine de l’artisanat et du commerce, certains ateliers spécialisés, concentrés dans les quartiers périurbains ou à proximité des marchés dans les agglomérations secondaires, sont fameux pour leur production de masse exportée dans toute la Gaule et l’Empire, comme ceux de Graufesenque et de Lezoux pour la fabrication de vaisselle en céramique sigillée, ou ceux d’Alésia pour la métallurgie. Un projet de publication s’intéresse cette année à l’artisanat dans l’espace suburbain de Lugdunum (Lyon) et un autre se consacre aux ateliers de potiers gallo-romains en Bretagne.

L’activité des verriers des IIe-IIIe siècles est représentée par les vestiges de deux fours de fusion dans lesquels on recyclait les verres cassés pour fabriquer de nouveaux objets

L’activité des verriers des IIe-IIIe siècles est représentée par les vestiges de deux fours de fusion dans lesquels on recyclait les verres cassés pour fabriquer de nouveaux objets. Une fois soufflés à la canne, les vases et récipients étaient mis à refroidir lentement dans un four à recuisson, dont la base a été retrouvée à côté de l’un des deux fours de fusion mentionnés précédemment (comme en témoigne cette vue zénithale des deux structures : four de fusion, à gauche ; four de recuisson, à droite). Leur proximité permet de supposer une utilisation simultanée. Station de métro Sainte-Anne ligne B, Rennes (Ille-et-Vilaine), 2013.

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Marie-Laure Thierry, Inrap

Parmi les spécialités de l’artisanat (tabletterie, peausserie, tannerie) qui ont connu un fort développement au cours de la période, le travail du verre a connu une multiplication des ateliers sans précédent grâce à l’introduction par des verriers italiens de la technique du verre soufflé. Une publication s’y consacre cette année à travers l’étude de la production du verre gallo-romain à Reims.

Dans un autre registre, de nombreux contenants funéraires en plomb d’époque romaine ont été découverts au XIXe siècle dans l’estuaire de la Seine, qui ont été rapidement reliés à la richesse plombifère de la province proche de Britannia. Un projet collectif de recherche soutenu par l’Institut, « Au fil du plomb de la Seine. Origine, circulation et techniques de fabrication des objets en plomb d’époque romaine dans l’estuaire », poursuit l’enquête.

Dans le domaine de la vie quotidienne, une place importante a été donnée à l’éclairage à l’époque romaine comme l’attestent les lampes à huile en terre cuite massivement diffusées en Gaule. Cependant, hormis dans des contextes cultuels particuliers, les lampes à huile sont beaucoup moins bien représentées dans le nord-est de la Gaule. Un projet collectif de recherche, « L’éclairage à la période romaine dans le nord-est de la Gaule. Le témoignage de la culture matérielle » s’intéresse ainsi à une palette d’autres systèmes d’éclairage privés et publics utilisés par les Romains pour leurs activités nocturnes.
Enfin, le domaine de la table gallo-romaine a connu un essor remarquable ces dernières années grâce aux apports en tout genre de l’archéologie (vaisselles et contenants divers, restes fauniques, fruits de mer, boissons…). Cette thématique est représentée cette année avec la préparation d’un colloque Corpus 2024 « Cuisines et activités culinaires », assorti de la création d’un lexique, ainsi que par un projet collectif de recherche sur « Les sauces et salaisons antiques de la baie de Douarnenez ».

Angle du décor du pavement mosaïqué antique, formé de motifs géométriques (postes, chevrons, damiers) découvert à Uzès (Gard), 2017.
Angle du décor du pavement mosaïqué antique, formé de motifs géométriques (postes, chevrons, damiers) découvert à Uzès (Gard), 2017.

© Denis Gliksman, Inrap