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Une grande diversité dans les techniques de production

Aujourd'hui encore, il existe une grande diversité dans les techniques de production et d'obtention du sel.
En dehors de l'extraction minière, les sociétés humaines recourent soit à l'évaporation solaire, soit à l'évaporation par le feu. La production de sel se résume alors toujours au traitement d'une saumure, obtenue soit naturellement, soit par concentration d'une eau salée, soit encore par lessivage de produits salés. Grâce à l'étude de ces nombreuses techniques de production de sel toujours utilisées, les archéologues, avec l'aide des ethnologues, ont pu reconsidérer leurs données. Des réponses ont été apportées à certaines questions, comme celle posée par l'absence de briquetages, c'est-à-dire de récipients, sur certains sites de fouilles.Les salines du Niger ou l'exploitation du sel au Bénin, en Afrique, les modes de production en vigueur en Papouasie-Nouvelle-Guinée, les salins du Mexique illustrent la diversité des formes d'obtention du sel et font appel à des techniques proches de ce qui a pu exister autrefois dans certains lieux d'Europe.

Le saviez-vous ?

Saline

Au Moyen Âge, on désigne les marais salants sous le terme de « salines ». Le verbe saliner désigne l'action de produire du sel, le salineur ou salinier est un fabricant de sel ou, dans le Midi, un marchand de sel. C'est à partir du XVe siècle que le mot « salin » désigne à la fois le magasin de sel et le marais salant (d'après M. Lachiver, Dictionnaire du monde rural, Paris, 1997).

Le sel des Papous, Nouvelle-Guinée

Dans les Hautes Terres de Papouasie, en Nouvelle-Guinée indonésienne, il y a de nombreuses sources salées, mais on ne fabrique pas de récipients en argile. Pourtant, des pains de sel circulent sur l'île, à la fois objets d'échange et de paiement et denrée alimentaire. Pour obtenir ce sel, les Papous ont recours à une technique de production originale ne faisant intervenir aucun récipient. Ils extraient le sel de l'eau des sources salées, en utilisant des plantes très spongieuses qu'ils trempent dans l'eau afin qu'elles s'imbibent. Au bout d'une journée et une nuit, les plantes sont retirées de l'eau. Placées sur un bûcher, elles sont soumises à une combustion lente.

 

En une nuit, l'eau est évaporée et la matière organique brûlée. Ne restent que les cendres, le charbon et des concrétions de sel qui se sont formées dans les pores des plantes. Ces concrétions de sel sont retirées, puis broyées. La poudre obtenue est humidifiée à l'eau de la source et compactée à l'intérieur d'un cadre en bois posé sur de grandes feuilles que l'on replie et fixe soigneusement. Ainsi moulés, les pains de sel sèchent encore plusieurs jours au-dessus d'un foyer. Sur le site de production, il ne reste que des cendres, des charbons de bois et le sol rubéfié.

Le saviez-vous ?

Des archéologues en expédition ethnographique

Pour tenter de comprendre comment pouvait être fabriqué le sel en l'absence de briquetages, comme c'est le cas sur certains sites de Franche-Comté ou de Roumanie, les archéologues sont partis en expédition ethnographique en Nouvelle-Guinée pour étudier les techniques traditionnelles. L'observation des techniques ancestrales de production de sel utilisées par les Papous habitant les hautes terres de l'île a permis de formuler de nouvelles hypothèses sur la fabrication du sel sur certains sites néolithiques.

La fabrication du sel chez les Baruya, Papouasie-Nouvelle-Guinée

Le sel des Baruya des vallées de Wonenara et Marawaka (Eastern Highlands Province, Papouasie-Nouvelle-Guinée) est produit à partir d'une saumure artificielle obtenue par lessivage / filtrage des cendres d'une canne, Coïx gigantea Koening. Celle-ci est cultivée dans des champs irrigués, essentiellement situés dans la partie plate des fonds de vallée, alimentés par des sources d'eau d'origine volcanique.
Une fois coupées par les hommes, les cannes sont laissées à sécher au soleil sur le sol pendant quelques jours, puis sont empilées sur de grands bûchers constitués de madriers soigneusement disposés pour faciliter la circulation de l'air. À l'arrière-plan, les deux abris à toits de chaume recouvrent des tas de cendres produits plus tôt.
Aidé du spécialiste de la production de sel auquel il a demandé son aide, le propriétaire du champ irrigué entasse les gerbes de cannes sur le bûcher, au centre duquel le feu est allumé. La combustion des cannes dure au moins un jour et une nuit.

L'énorme tas de cendres est laissé tel quel. Si le temps le permet, il est simplement « protégé » par une enceinte de cannes. Si la pluie menace, on construit un abri comprenant un toit et une enceinte de pieux (semblable aux barrières de jardin) directement au-dessus des cendres. En deux ou trois jours, la combustion est achevée et les cendres sont refroidies, mais le tas protégé peut rester intouché pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois.
Lorsque la météo est favorable et le spécialiste disposé à poursuivre la fabrication du sel, les cendres sont transportées par les femmes vers le dispositif de filtrage. Construit à côté d'un ruisseau, celui-ci est constitué de gourdes (Lagenaria siceraria) dont l'extrémité inférieure est bouchée par des chatons d'une liane (Triumfetta nigricans) retenant les impuretés. Lentement versée sur les cendres, l'eau se charge en sel (chlorure de potassium) et s'écoule dans une rigole de feuilles abouchée à un tube de bambou. Effectué par une femme, ce filtrage s'étale sur huit jours (quatre journées pleines) pour produire plus de 1 000 litres de saumure. Les feuilles de cordyline rouge ont une fonction magique.
Protégé par un toit à deux pentes et un mur de pieux verticaux, le four - une grande structure oblongue (4 x 1,70 m), faite de pierres recouvertes d'un mélange d'argile réfractaire et de cendres lessivées - présente une quinzaine d'alvéoles. Le bâtiment est ouvert aux deux extrémités.

Ces alvéoles doivent être partiellement reconstruites lors de la remise en activité du four. Le spécialiste du sel humecte la surface des alvéoles avant de les rapetasser avec des cendres lessivées mélangées d'argile.
Soigneusement choisies car elles doivent pouvoir recouvrir la totalité des parois des alvéoles du four et ne pas présenter la moindre déchirure causée par le vent, des feuilles de bananier sont assouplies puis roulées sur elles-mêmes pour être transportées vers le four.
Le spécialiste double chaque alvéole de deux de ces feuilles, mises tête-bêche, dont il cale délicatement les flancs à l'aide de fins ressorts faits de longues lames de bambou repliées en forme de U.

Dans le four de Wiobo (Wonenara), en novembre 1978, l'évaporation de la saumure est en cours. Le spécialiste enfourne de longues pièces de bois dans le tunnel qui court sous les alvéoles. La combustion dure environ trois jours et deux nuits, durant lesquels le spécialiste tasse les couches de cristaux de sel l'aide d'une spatule au fur et à mesure de leur apparition. Il alimente régulièrement les alvéoles avec de la saumure, jusqu'à épuisement du dernier tube de bambou. La combustion, lente, est contrôlée par le réglage du bois de chauffe et du débit d'air. Les tubes de bambou vides sont encore appuyés à l'abri. À gauche de la porte, un bouclier a été disposé pour empêcher le vent de s'engouffrer dans le four. Des plants de tabac longent le pourtour de la maison. 

Une fois la saumure totalement évaporée, les quinze barres sont sorties des alvéoles avec les feuilles calcinées qui en tapissent le dessous. Elles sont alors grattées à l'aide d'une machette. C'est le moment où le propriétaire du champ de sel (et des cannes) prépare la répartition des barres : celles (cinq ou six) qu'il gardera ou offrira à des parents, sans oublier les deux barres que le spécialiste reçoit pour la tâche technique et magique accomplie.
Les barres sont ensuite emballées dans des stipes de bananier, puis entourées d'une dense spirale de lamelles d'écorce de Trema sp., qui les protégera. Le propriétaire du sel, un ou deux amis et le spécialiste du sel (ici, Kandawatché) se chargent de cette dernière opération.
Une partie des barres sont (étaient) ensuite dispersées par commerce intertribal, tant dans l'ensemble des douze groupes linguistiques anga que chez des non-Anga, comme cet Asiana (à droite) auquel trois Baruya proposent des barres en échange de nappe d'écorce battue. On reconnaît Kandawatché à l'arrière-plan.

A Jalisco, au Mexique

Depuis les périodes préhispaniques, on produit du sel dans les bassins des hautes terres et des marges du littoral mexicain. À Jalisco, cette production de sel consiste à exploiter les sols salés de playa. Cette forme d'exploitation obéit à un rythme saisonnier : pendant la saison sèche, les sels se concentrent en surface par évaporation de la nappe d'eau et remontée capillaire dans le sol. Les limons et argiles salés sont collectés et stockés en petits monticules. La playa est divisée en parcelles exploitées l'une après l'autre, pour laisser le temps à la croûte salée de se renouveler. Les terres salées sont ensuite lessivées à l'eau douce. Dans un premier temps, elles décantent dans de grands récipients. La saumure obtenue est ensuite filtrée dans un autre récipient, puis concentrée et cristallisée soit par cuisson, soit soumise à l'évaporation solaire. On produit ainsi deux types de sels : des pains de sel sec moulés dans les récipients de cuisson et une pâte d'un sel humide qui est moulée en pains après avoir séché.

 

Les salines préhispaniques du bassin de Sayula présentent un certain nombre de traits archéologiques communs avec la fabrication de sel ignigène en Normandie au XVIIIe siècle ou à Sandun, dans le marais de la Brière (Loire-Atlantique), pour l'âge du Fer français. Les fosses qui servent au lessivage des terres salées sont souvent disposées en parallèle, rassemblées par deux ou trois, et communiquent entre elles grâce à une légère pente, ce qui permet l'écoulement de la saumure. Les fosses de stockage de la saumure sont de forme circulaire et étanchéifiées au moyen d'argile et de pierres plaquées aux parois. Les fosses à combustion sont souvent tapissées d'argile crue, de pierres ou de tessons de céramique amalgamés à l'argile. Les céramiques de cuisson, à fond plat et aux parois peu élevées, étaient « calées » dans un mélange d'argile sèche, de végétaux et de tessons de poteries, au-dessus de la chambre de chauffe, et étaient détruites après la cuisson. Le sel ainsi obtenu ressemble à une pâte de sel. Les déchets issus du lessivage sont entassés à proximité et forment un monticule.

 

C'est l'ensemble de ces éléments, formant un faisceau d'indices, qui permet de reconnaître dans un autre contexte un semblable procédé technique d'acquisition du sel.

Voir aussi

Le sel au Mexique à l'époque de la Conquête
Le lavage des sables
Le sel de sable ou sel ignifère

Dans les mines de sel de Taoudeni, au Mali

Au milieu du désert du Tanezrouft, au nord de Tombouctou, au Mali, les mines de sel sont un point de passage des plus anciennes routes caravanières de l'Afrique de l'Ouest. Ici, les mineurs - qui étaient autrefois souvent employés en travaux forcés, esclaves des Touaregs puis bagnards du régime colonial - confectionnent les plaques de sel qui voyageront dans toute la région. Le sel gemme, qui affleure au niveau du sol, est exploité au moins depuis le XVIe siècle.

 

Dans cet environnement hostile, les mineurs travaillent dans des conditions très pénibles, sans équipement ni protection. Ils extraient des plaques de sel à l'aide de pics et de barres à mine, outils rudimentaires identiques à ceux qu'employaient leurs ancêtres. Les plaques de sel sont échangées contre des denrées alimentaires ou d'autres produits indispensables à la vie quotidienne.

Voir aussi

Données actuelles sur le sel
L'extraction minière du sel

La lixiviation des sables, au Niger

Au Niger, à Teggida, on pratique encore aujourd'hui la lixiviation des sables, selon le procédé très ancien qui consiste à lessiver les sables ou les terres naturellement imprégnées de sel. Dans de grandes cuvettes, la terre ou les sables sont dilués, puis brassés. L'eau résiduelle est transportée dans d'autres cuvettes. Elle s'évapore en deux jours.

Le sel récolté est ensuite comprimé, soit en plaques de 25 kg, soit en pains de sel, à l'aide d'un moule. Enfin, le sel est emballé dans de la paille avant d'être transporté puis commercialisé.

Le saviez-vous ?

Lixiviation

La lixiviation, terme de chimie, désigne l'opération par laquelle on enlève ses principes solubles à une substance en la faisant passer à travers un liquide qui les lessive ou les dissout. Dans le cas du sel, c'est de l'eau, douce ou salée. Le lixiviat désigne la solution obtenue. Pour le sel, c'est la saumure.

Riz et sel en Guinée, deux récoltes alternées

En Guinée, dans la région de Coyah, au bord de la mer, il y a deux saisons agricoles : pendant les pluies, on sème du riz que l'on repique dans des rizières aménagées en casiers bordés de petites digues et de canaux afin de faire entrer l'eau de mer. Une fois le riz récolté, en saison sèche, on fait entrer de l'eau de mer qui s'évapore sous le soleil. L'eau devient de plus en plus salée et la terre sur laquelle elle repose perd sa structure. La terre, devenue poudreuse, est alors récoltée et mise en petits tas. Chaque famille possède un atelier dans une paillote d'installation temporaire, le temps de la récolte. Le sel est ensuite séparé de la terre à l'aide d'un filtre fait de bois, de paille et d'argile.

 

La saumure obtenue est évaporée par chauffage au feu de bois. La terre filtrée est entassée à proximité et forme de gros monticules. On peut ainsi produire jusqu'à 75 kg de sel par jour.

Voir aussi

Bernard Palissy (vers 1510 - 1590), l'alchimie du sel

La production de sel sur le littoral de la Manche
Le sel végétal
Les marais salants et les salins
Le sel de sable ou sel ignifère

Une approche comparative : Allemagne et Thaïlande

Les vestiges de la saline de Schwäbisch Hall (Bade-Württemberg), dans le sud-ouest de l'Allemagne, datés de l'âge du Fer (Ve-Ier siècle avant notre ère), ont été mis au jour en 1939. Deux puits de saumure avec des caissons en bois et six troncs d'arbres évidés avec des restes de superstructures en planches ont été datés de 295 avant notre ère.

 

Ces structures ressemblent aux constructions de filtres en bois et paille utilisées aujourd'hui encore en Thaïlande pour la graduation de la saumure produite par lessivage de la terre salée.