Histoire du vin : Antiquité Sciences

Retrouver les vins et les cépages de l'Antiquité

Si l'archéologie avait su retrouver les traces de la viticulture, et même des procédés de vinification, le goût des vins de l'Antiquité demeurait un mystère. Les amphores remontées intactes des épaves ne contenaient plus que de vagues saumures, et se fier aux témoignages écrits renseignait certes l'esprit mais ne satisfaisait pas le palais.

Les recettes de Columelle et d'Apicus
En 1991, un chercheur associé à un vigneron décide de tenter de reproduire des vins à partir des recettes antiques que l'agronome Columelle décrit dans son Économie rurale. Depuis, trois sortes de vin sont produites chaque année : le Mulsum, ou « miellé » un vin aromatisé avec du miel et une cinquantaine d'autres épices, le Terriculae, qui est une sorte de vin jaune, élaboré à partir de moût auquel on ajoute du fénugrec, de l'iris et même un peu d'eau de mer, le Carenum, un vin liquoreux dont le moût fermente avec du defrutum (un jus de raisin concentré et chauffé mélangé avec des fruits, ici il s'agit de coings).
Un autre amateur de vins et restaurateur, associé à un vigneron, élabore des vins selon les recettes d'Apicius, un gastronome romain du Ier siècle qui a laissé un traité culinaire. Ses cuvées - vins de roses, vin aux épices, vin liquoreux d'après Columelle - accompagnent des repas « à l'antique ».
Depuis les années 2000, diverses expériences basées sur la recette apprise de Columelle se sont succédées, réalisant des vins aromatisés, agrémentés d'épices et de condiments, plus ou moins cuits et mélangés à du moût.

Des terroirs historiques
En 1997, en Italie, les archéologues assistés d'un vigneron ont replanté des vignes sur le site de Pompéi : différents cépages « historiques » présents dans la région sont plantés ; deux d'entre eux sont retenus pour leur meilleure adaptation aux conditions de climat et de sol ; trois ans plus tard, le vin tiré et vieilli dans des tonneaux de bois est commercialisé sous le nom de Villa dei Misteri (Domaine des Mystères).
En 2007, une vigne expérimentale conduite selon les techniques antiques a été installée dans le parc des Allobroges à Saint-Romain-en-Gal (Vienne), avec vendanges et vinification, et une dégustation des vins se tient chaque année au mois de juin.

Le saviez-vous ?

Defrutum

Le defrutum était un vin cuit, parfois agrémenté d'olives noires et d'aromates. Produit dans la région située au débouché du Guadalquivir, il était exporté partout dans l'Empire romain dans des amphores ovoïdes à fond pointu et col à bords évasés appelées « Haltern 70 » (du nom du site rhénan où elles ont été pour la première fois identifiées).

Un courson de vigne nous raconte sa taille

Un courson est la portion de jeune bois (âgé de 1 an) que l'on conserve sur les bras de vigne ; ses bourgeons fourniront les nouveaux sarments de l'année. De tels morceaux de bois de vigne sont souvent retrouvés lors de fouilles de sites viticoles antiques comme celui de Lattara. L'observation attentive des traces de taille encore visibles sur le courson permet de reconstituer les étapes de sa vie.

Le courson découvert dans un puits à Lattara nous raconte une histoire précise. Ce rare témoin d'un pied de vigne ne dit pas tout sur son mode de plantation ni sur le port donné à l'ensemble (vigne basse ou haute, treille, grimpante, etc.), excepté qu'il ne s'agissait pas d'une vigne couchée. Mais il informe sur les pratiques de taille, donnant plusieurs indications de mise en forme (courson sub-horizontal) et de taille fructifère (à deux yeux) tout à fait conformes aux pratiques antiques telles qu'en décrivent les auteurs latins, et analogues aux pratiques actuelles.

Les auteurs latins font état de pratiques de culture très élaborées à la période romaine, en particulier l'utilisation de jeunes arbres comme supports, d'espèces différentes selon les régions. Pour le Midi de la France, aucune indication archéologique ne permet d'en dire plus à ce sujet, mais plusieurs types d'essences sont disponibles dans le delta du Lez (orme, saule, peuplier).

Avec la contribution de Lucie Chabal, CNRS.

Les traces de vigne à l'époque gallo-romaine

La période gallo-romaine a laissé une quantité importante de résidus de bois de vigne, carbonisés ou gorgés d'eau, attestant à la fois l'existence d'une viticulture et la domestication de la vigne sauvage. Par ailleurs, la découverte de pépins gorgés d'eau associés à des rafles et des peaux de raisin indique que les fruits ont été pressés.

La proportion de bois de vigne dans les charbons de bois montre une nette augmentation par rapport à l'âge du Fer, atteignant 12 % à 14 % du bois de feu dans l'établissement rural des Jurièires-Basses à Puissalicon (Hérault, IVe siècle) et dans deux puits du Mas de Vignoles à Nîmes (Gard, Ve siècle). Sa forte représentation sur des sites funéraires, tant dans le Gard que dans l'Hérault, semble confirmer son utilisation courante comme combustible.

L'étude des pépins gorgés d'eau retrouvés dans des puits offre de nouvelles perspectives. En effet, l'analyse de leurs contours (morphométrie géométrique), moins déformés que ceux des pépins carbonisés, permet d'identifier des cépages ou groupes de cépages. Les formes des pépins issus de puits antiques (Ier-IIe siècles) de la vallée de l'Hérault se sont révélées proches de celles issues de Clairette, de Mondeuse blanche et d'un croisement composé de Merlot, d'Humagne (un cépage fréquent de nos jours dans le Valais suisse) et d'un parent du groupe des pinots. Par ailleurs, un raisin de type sauvage a longtemps et communément été cultivé, puisqu'on en retrouve des pépins en proportion importante dans les puits antiques, mélangés avec ceux d'autres cépages.

Ainsi, l'histoire de la vigne ne se limite pas à celle de sa sélection et de sa diffusion depuis le monde méditerranéen. Mise en culture et domestication sont deux processus complexes, parfois distincts, parfois concomitants, sur lesquels archéologues, historiens, archéo-biologistes et généticiens travaillent de concert.

Les agronomes latins

Caton (-234-149), Varron (-116-27), Columelle (Ier siècle), et plus tardivement Palladius (IVe ou début du Ve siècle) : ces auteurs latins placent l'agriculture au-dessus de toutes les autres activités humaines. Tous ont produit des textes sur l'exploitation des domaines agricoles, les amendements des sols, la connaissance des végétaux et les manières de les cultiver pour en obtenir les meilleurs rendements : sujets capitaux s'agissant de la culture de la vigne et de la production de vin !

Columelle, considéré comme le plus grand d'entre eux, a développé ses réflexions autour des grands domaines agricoles, prônant la croissance continue des rendements. Il est l'un des inspirateurs des théories physiocratiques (fondées sur la connaissance et le respect des lois de la nature) des savants du XVIIIe siècle. Columelle a consacré à la vigne trois volumes de son encyclopédie De re rustica.

Pline l'Ancien (23-79), qui traite de la vigne dans le quatorzième livre de son Histoire naturelle, et, sur un plan plus économique, Pline le Jeune (61-114), se sont plutôt intéressés aux petits exploitants agricoles.

Tremelius Scrofa (Ier siècle de notre ère), dont les écrits sont perdus mais que nous connaissons par ceux de Varron, aurait été l'un des premiers à théoriser sur « la stérilité croissante du sol », un sujet qui renvoie à l'intensification des cultures et aux modes d'irrigation lorsqu'ils sont mal conduits.

Palladius, quant à lui, auteur d'un traité d'économie rurale en quatorze volumes, aborde la gestion et l'exploitation agricoles sous toutes leurs formes, dont la viticulture. Voici sa recette d'huile au vin de violette : « Mêlez ensemble autant d'onces de violettes que de livres d'huile, et laissez à l'air ce mélange durant quarante jours. Versez ensuite sur cinq livres de violettes dégagées de toute humidité, dix setiers de vin vieux et, trente jours après, édulcorez le tout avec dix livres de miel. »

Citons enfin Magon le Carthaginois (IIe siècle avant notre ère), auteur d'un important traité sur l'agriculture, écrit en langue punique (la langue parlée à Carthage). Il aurait donné son nom au vin tunisien de Mornag.

La chimie, une aide pour détecter le contenu des amphores

Comment détermine-t-on qu'une amphore a contenu du vin ? Une méthode reposant pour une large part sur la chromatographie en phase gazeuze (qui consiste à séparer par vaporisation les molécules d'un mélange complexe) a été mise au point. Elle permet, à partir des traces organiques déposées sur les parois, de reconnaître l'acide tartrique et les tanins (les polyphénols) propres à la présence de vin. Utilisée en association avec la pyrolyse (moyen de décomposition par la chaleur), elle sert également à détecter les traces de résidus vinaires et d'autres matières d'origine biologique comme les huiles, les graisses, les résines, les gommes, les protéines... Ainsi, la présence de poix, utilisée pour imperméabiliser l'amphore, laisse penser que celle-ci pouvait contenir du vin. Il s'agit bien entendu d'un indice, qu'il convient de croiser avec d'autres données.

On a pu ainsi analyser les traces de résidus portées sur des tessons et des amphores sorties en 1967 de l'épave romaine de la Madrague de Giens (Var), ou encore de l'épave de Port-Vendres II (Pyrénées orientales), fouillée entre 1974 et 1977. Ces deux navires avaient fait naufrage dans la première moitié du Ier siècle de notre ère.

Les résultats de ces analyses chimiques renseignent les archéologues sur les habitudes et les régimes alimentaires, les productions artisanales, leurs compositions et leurs évolutions dans le temps.

Le saviez-vous ?

- L'amphorologie

L'amphorologie est une branche récente de l'archéologie qui étudie les amphores. En examinant les formes, les galbes, les courbures, les cols, les poignées et les matériaux utilisés, il est possible de déterminer les provenances des différentes amphores, et ceci, même à partir d'un tout petit bout de tesson. La méthode utilisée consiste à introduire les paramètres observés dans des bases de données sans cesse enrichies.
L'étude des amphores est une ressource précieuse pour connaître les échanges marchands et l'histoire du commerce des vins.

- Polyphénols

Les polyphénols sont des corps composés qui forment les tanins du raisin et les matières colorantes. C'est à eux que l'on doit la couleur et les saveurs des vins. L'ensemble des polyphénols d'un vin est transcrit sous la forme d'un indice (IPT), pour exprimer sa richesse et permettre de prévoir son évolution.