Histoire du vin : Moderne et contemporain Culture et société

Lanturelu : une révolte de vignerons à Dijon au XVIIe siècle

En février 1630, un soulèvement populaire éclate à Dijon : l'émeute de Lanturelu. Celle-ci doit son nom à une chanson de vignerons et d'artisans qui visait Richelieu, ministre de Louis XIII. L'insurrection populaire s'inscrit dans un contexte de protestations politiques urbaines en France, qui répond aux tentatives du pouvoir royal d'instaurer des taxes uniformes sur l'ensemble du territoire et de les faire collecter par des officiers royaux élus. À cette époque, la Bourgogne fixe et perçoit l'impôt à travers ses notables, et élit librement ses échevins et ses maires. Les élites de la ville sont partagées au sujet de cette réforme. Rapidement, la rumeur se répand que le changement politique qui s'amorce et l'élection des officiers royaux vont aboutir à l'augmentation des impôts...

Dans la nuit du 27 février, vignerons et artisans se rassemblent avec femmes et enfants dans le quartier de l'Hôtel de ville. Munis de torches, ils chantent le refrain du « Lanturelu », espérant que d'autres les rallient. À l'aube, ils font sonner les tocsins des églises de leurs quartiers. Une foule de 500 à 600 personnes met à sac l'hôtel du trésorier général, y brûle l'une des meilleures bibliothèques de la région et vide la cave. Sept demeures de notables partisans des élus du roi finissent détruites, leur contenu en cendres.

La milice mobilisée tardivement par les échevins vint mater la révolte, faisant vingt morts et quarante blessés. Deux émeutiers furent arrêtés, jugés et pendus, pour l'exemple. Les vignerons pâtirent des suites de cette émeute : exclus du pouvoir politique et social de la ville, écartés des futures élections, ils durent s'installer dans les faubourgs et les villages des environs. Les droits et privilèges des magistrats échevins de la ville qui avaient « coopéré » avec eux furent également rognés.

Guinguettes et cabarets autour de Paris

Au XVIIe siècle, les taxes prélevées sur le commerce du vin à Paris concernent surtout les droits à payer pour faire entrer le vin dans la capitale. Y acheminer frauduleusement du vin est un exercice d'imagination quotidien : on creuse des tunnels clandestins pour installer des tuyaux d'amenée du breuvage, on imagine envoyer le vin par les airs, via des ballons propulsés par des catapultes... tous les moyens sont bons.

Pour échapper à ces prélèvements, les cabaretiers tentent de sortir du périmètre de l'application des taxes : à partir de 1675 une multitude de cabarets et guinguettes fleurissent au-delà des limites nord de Paris (l'actuelle rue Saint-Lazare). À cette époque, un même vin servi d'un côté ou de l'autre des barrières d'octroi voit son prix multiplié par quatre ! Dans les guinguettes, où le peuple peut boire pour un prix très avantageux, le vin provenant des campagnes environnantes n'est pas trafiqué, contrairement aux vins servis intra-muros. Le succès de ces établissements populaires ne se démentira pas tout au long du siècle suivant.

En 1789, le périmètre du mur des Fermiers généraux est étendu de plusieurs kilomètres, ce qui a pour conséquence d'annexer ces havres de boisson bon marché. S'ensuivent trois jours d'insurrection à l'issue desquels une partie des barrières d'octroi sont prises d'assaut et détruites par les insurgés. Les octrois ne seront supprimés qu'en 1791.

Le saviez-vous ?

- Emmanuel Kant et l'ivresse taciturne

L'ivresse taciturne, selon le grand philosophe allemand, « C'est l'ivresse qui ne donne pas de vivacité dans les relations sociales et dans l'échange des pensées. En effet la boisson délie la langue : "in vino disertus". Mais elle ouvre aussi le coeur, servant d'instrument matériel à une qualité morale : la franchise. La boisson est une nouvelle excitation sur les nerfs : elle ne met pas mieux au jour son tempérament naturel, elle introduit un autre, c'est pourquoi tel qui s'enivre deviendra amoureux, tel autre grossier, le troisième querelleur, le quatrième (surtout après la bière) s'attendrit, se recueille ou s'enferme dans un mutisme complet, mais tous quand ils ont cuvé leur vin et qu'on leur rapporte leurs propos du soir précédent rient de cette étonnante disposition ou altération de leur sens. »

Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, Didactique anthropologique, 1798.

- Quatre pintes pour le prix de deux

« Petits bourgeois, artisans et grisettes,
Sortez tous de Paris et courez aux guinguettes,
Où vous aurez quatre pintes pour deux,
Sur deux ais de bateau, sans nappes, ni serviettes. »

Fragment de chanson en bas d'une réclame anonyme, vers 1780.

- « Qu'importe le flacon »...

« Aimer est le grand point, qu'importe la maîtresse ?
Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ? »  

Alfred de Musset, La Coupe et les lèvres, 1832.

Incarnés sous l'Antiquité par Bacchus-Dionysos, dieu aux multiples facettes, le vin et l'ivresse ambivalente qu'il provoque participent d'une thématique sans cesse réinventée par la littérature et la poésie.

1855 : la classification des grands crus de vins de Bordeaux

En 1855, la première grande Exposition universelle se tient à Paris sur les Champs-Élysées. Pour l'occasion, Napoléon III, grand amateur de vins de Bordeaux, demande aux courtiers et négociants de l'industrie vinicole qu'ils établissent un classement des vins en fonction de leur prix, ainsi que de la réputation et de l'esthétique des châteaux qui les produisent : à l'époque, ces critères sont garants de la qualité des breuvages.

Le classement qui en résulte définit cinq crus par ordre d'importance ; à l'exception d'un Graves, tous les vins rouges retenus proviennent de la région du Médoc. Les vins blancs, moins nombreux, sont constitués des liquoreux hiérarchisés en deux niveaux.

Hormis deux changements, l'introduction d'un nouveau château et la remontée d'un vin dans le tableau de 1973, cette classification a perduré depuis 1855 ! Elle compte 88 châteaux, 61 en vins rouge et 27 en vins blanc de la région de Sauternes. La première dénomination officielle de « cru bourgeois » pour les vins du Médoc date de 1932, et le classement des vins de Saint-Émilion de 1959.

Ces classements alimentent bien des polémiques au sein de la profession.

Les Appellations d'origine contrôlée, ou AOC

C'est en 1935, suite à la remise d'un rapport de synthèse de l'INAO (Institut national des appellations d'origine) sur la qualité des vins, que le gouvernement légifère en instituant un décret-loi portant la création des AOC pour les vins fins. Elle se démarque de l'Appellation d'origine, instituée par la loi de 1905.

L'AOC établit les liens entre un produit et son territoire - région, localité - ou des caractéristiques géographiques de milieu et d'environnement naturel et humain. Elle recouvre donc les notions de terroirs et relève d'un domaine culturel au sens large, qui constitue un patrimoine collectif et inaliénable. Elle a également une vocation de protection ; d'ailleurs, dans le cadre de l'harmonisation des lois au niveau européen, l'appellation AOP (appellation d'origine protégée), apparue en 2002, est l'équivalent de la française AOC.

Les vins classés en AOC sont soumis à des procédures d'agrément et à divers contrôles au niveau de leur production, qui doit se plier à un cahier des charges précis. En 2009, 49 % de la production française de vin était classée en AOC, représentant 349 appellations (tous vins et autres alcools confondus).

1907, la révolte de la surproduction en Languedoc

L'épidémie de phylloxéra qui a ravagé les vignes du Languedoc à la fin du XIXe siècle a eu pour conséquence une restructuration du vignoble et une amélioration de la qualité du vin. Une surproduction s'en est suivie, qui a entraîné une chute brutale des cours et une paupérisation de la population des vignerons. Curieusement, l'origine de la crise n'est pas alors attribuée à la surproduction, mais aux fraudeurs, aux sucriers et betteraviers, qui sont accusés de fabriquer du vin avec de l'eau, du sucre et des poudres colorantes !

En 1904 éclatent les premières grèves de vignerons. Trois ans plus tard, les villes du Midi viticole s'enflamment et les revendications s'expriment dans la rue : le 19 juin 1907, à Narbonne, des barricades sont dressées et la répression de la manifestation par l'armée fait six morts. Le lendemain, les soldats du 17e régiment d'infanterie basé à Béziers se mutinent et fraternisent avec les manifestants. L'image de ce ralliement devient un symbole dans la région, et le chansonnier Montéhus écrit même un hymne à la gloire des « braves pioupious du 17e ». Le 23 juin, le Parlement vote une loi qui instaure la déclaration de récolte, rétablit la taxe sur le sucre et autorise les syndicats viticoles à porter plainte contre les fraudeurs. La crise structurelle de la surproduction et de la mévente dans la région du Languedoc n'est pas la dernière : d'autres crises se produiront, après la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1970 et au tournant de l'an 2000, entraînant des modifications profondes de la quantité et du vignoble cultivé.

Le saviez-vous

La Marseillaise des viticulteurs

« Pour affirmer nos droits de vivre,
Fils du Midi, assemblons-nous ;
Les fraudeurs à la mort nous livrent,
Qu'ils redoutent notre courroux ! (bis)
Entendez-vous dans nos campagnes,
Retentir nos cris et nos pleurs ?
Depuis trop longtemps les fraudeurs
Affament nos fils, nos compagnes,  

Debout ! Viticulteurs !
C'est trop, trop de malheurs !
Luttons ! Luttons ! Pour que la faim déserte nos maisons ! »  
[...]  

Premier couplet et refrain de la Marseillaise des viticulteurs, d'Auguste Rouquet (1907).

Vin, ivresse et alcoolisme

L'attitude des médecins envers le vin et ses vertus a beaucoup évolué au cours de l'histoire, passant des louanges à la condamnation sans appel.

Jusqu'au milieu du XXe siècle, il était encore d'usage de faire boire certains alcools aux enfants. Rappelons que le vin, qui fut longtemps une boisson destinée à désaltérer, avait généralement un taux d'alcool moins élevé qu'aujourd'hui. Le mout initial présentait entre 5 et 8,5 degrés d'alcool, et le vin titrait au final entre 8,5 et 15 degrés. Bu pendant et entre les repas, il était coupé d'eau, d'où l'expression « tremper son vin ». Cette tradition a disparu avec les vins titrant moins de 10° d'alcool, dans l'entre-deux guerres (aujourd'hui la loi détermine en Europe, 9° pour les vins de table 10° pour les vins de pays).

Quel que soit l'usage qu'on fait du vin, le breuvage est consommé par toutes les classes de la société. Mais au-delà de l'ivresse conviviale des uns, de l'ivresse créatrice des autres et de l'âme du vin chantée par les poètes, le constat de la toxicité de l'alcool liée à sa consommation excessive, la figure de l'alcoolique, voire de l'ivrogne, imposent l'idée d'un fléau à combattre. La morale sociale et hygiéniste de la fin du XIXe siècle n'aura de cesse de séparer le bon vin de l'ivresse...

La lutte contre l'alcoolisme devient le centre du discours médical : surmortalité, dégénérescence physique, aliénation mentale, violence, délinquance... sont dénoncés lors de campagnes de sensibilisation. Dès 1897, les leçons d'antialcoolisme sont rendues obligatoires dans les écoles primaires.

La législation suit le mouvement. Elle s'attaque à l'ivresse publique « manifeste », qu'elle punit de sanctions progressives. La loi du 23 janvier 1873 est désormais affichée dans les débits de boissons sous le terme de « surveillance et réglementation » et expose les débitants aux mêmes sanctions que les clients.

Une ivresse de Charles Baudelaire

« Profondes joies du vin, qui ne vous a connues ? Quiconque a eu un remords à apaiser, un souvenir à évoquer, une douleur à noyer, un château en Espagne à bâtir, tous enfin vous ont invoqué, dieu mystérieux caché dans les fibres de la vigne. Qu’ils sont grands les spectacles du vin, illuminés par le soleil intérieur ! »  

Charles Baudelaire, Les Paradis artificiels (1860).

Vin et sociabilité : du négoce au bistrot

Bar, café, buvette, bistrot, zinc, estaminet, troquet, bouiboui, rade... débit de boissons. La langue française n'est pas à court de termes pour désigner ces endroits où l'on se rend et consomme plus ou moins quotidiennement, ces lieux où les trajectoires de chaque individu se rejoignent le temps d'un verre. Devant l'ampleur, le mot se spécialise, selon les régions, selon les usages et les modes : café littéraire, bar à cocktails, vidéo, Internet, café-concert, bar ou bistrot à vin.

Ces lieux revendiquent plusieurs ancêtres : les cafés, éponymes de la boisson qu'on y déguste, venus de Perse avec le commerce du moka et introduits au XVIe siècle en France ; les tavernes, dont le nom hérité du latin indique qu'on y consommait des boissons alcoolisées ; les charbougnats ou bougnats, très en vogue jusqu'à l'après-guerre, où l'on servait la boisson et vendait le charbon. À cette époque, il n'était pas rare que les négociants en vins proposent également quelques verres à un comptoir de dégustation improvisé.

Les cafés ou bistrots sont des lieux de sociabilité : on s'y reconnaît entre habitués, sans forcément approfondir les liens. On peut même y festoyer, y plaisanter, y jouer un rôle... à condition de payer sa tournée, véritable rite social toujours en cours. Mais le brassage de population des cafés d'hier n'est plus vraiment celui d'aujourd'hui ; on s'y fréquente entre gens de même appartenance sociale, professionnelle, culturelle... Et il faut parfois « montrer patte blanche » avant de pouvoir commander : « Garçon !... ».

Le saviez-vous ?

Le mot « bar »

Le mot « bar », adopté en France au début du XIXe siècle, est une abréviation de l'anglo-américain bar-room, débit de boisson où l'on consomme au comptoir. Bar-room vient du moyen anglais barre, lui-même emprunté au terme de l'ancien français signifiant « comptoir ».

L'habitat vigneron traditionnel jusqu'au milieu du XXe siècle

Dans la tradition vigneronne, l'habitat est fortement intégré au terroir sur lequel est cultivée la vigne. De formes différentes selon les régions, les châteaux et métairies sont disséminés au milieu du vignoble, comme dans le Beaujolais ou le Bordelais. Les ouvriers agricoles ont leurs habitations dans les villages, comme en Alsace ou dans le Languedoc. Les maisons des vignerons sont parfois regroupées, serrées les unes contre les autres, dans des quartiers dédiés, comme dans l'est de la France. La dimension des champs plantés en vignes, la nature de leur propriété et l'aspect du paysage agricole jouent un grand rôle dans la structure de cet habitat.

Il existe une typologie des maisons vigneronnes, établie à partir des usages des espaces fonctionnels de cet habitat particulier, qui remplit traditionnellement une double fonction : fournir un logement pour la famille et servir à la production du vin. La maison possède donc deux types d'espaces spécialisés : la pièce où sont entreposés les cuves et les pressoirs et où l'on fabrique le vin, et celle où il est conservé, le cellier. Ce dernier était autrefois situé au rez-de-chaussée, parfois creusé dans le roc comme en Touraine, par exemple. La construction de caves souterraines pour conserver le vin, plus complexe et plus coûteuse, est d'apparition plus récente.

Confronté aux problématiques de son adaptation face à l'évolution de l'agriculture et des normes agricoles, cet habitat mixte est aujourd'hui fréquemment délaissé au profit de nouvelles constructions destinées à la production.

Le saviez-vous ?

Faire chabrot

Le mot « chabrot » désigne le mélange d'un reste de bouillon et de vin que l'on fait dans l'assiette une fois que la soupe est mangée, et que l'on boit sans en perdre une goutte. On parle aussi de « chabrol ». Cette ancienne pratique paysanne perdure encore dans certaines régions.

De la naissance du goût au goût du vin

Au XVIe siècle, le célèbre médecin Ambroise Paré qualifiait le goût et l'odorat de sens mineurs... En 1825, Brillat-Savarin publie Physiologie du goût. Aujourd'hui dans les écoles, les enfants apprennent à goûter et à sentir, et des chercheurs font de ces perceptions sensorielles le thème de leur travail. Si le goût est indissociable de l'odorat, la connaissance physiologique de leur mécanisme ne suffit pas, il faut tenir compte des aspects culturels et psychologiques dont ils dépendent.

Quant à la composition chimique de l'arôme et du bouquet des vins, elle est objet d'investigations dès le milieu du XIXe siècle. Mais c'est dans les années 1950-1970 que les analyses spectrographique et chromatographique rendent possible l'identification moléculaire des parfums des vins : quelques 700 substances chimiques fixes et volatiles composent l'arôme et le bouquet des vins !

Quelle que soit sa précision, cette approche scientifique ne remplace en rien l'analyse sensorielle qui s'opère par la dégustation et permet d'approcher la qualité d'un vin. C'est en analysant les sensations provoquées par le vin que le dégustateur exprime les harmonies de bouquet et d'arômes, et en apprécie l'architecture. Dans ce processus de reconnaissance, la mémoire olfactive joue un rôle primordial.

Les confréries du vin

Les anciennes assemblées bachiques issues du système féodal, souvent établies depuis le Moyen Âge, ont été abolies sous la Révolution. Bachiques, oenologiques, vineuses, les confréries du vin sont apparues au XXe siècle, dans les années 30, inspirées par la nécessité de promouvoir sur leur territoire les vins qui y étaient produits. Ces confréries gastronomiques mettent en scène des traditions dans un but de valorisation économique et commerciale de la filière.

Les confréries revendiquent bien souvent des origines plus anciennes et font appel, dans leur symbolique et leur folklore, à des éléments empruntés à l'histoire (blasons, médailles, décors, calligraphie, rituels, costumes, chants...), et à un vocabulaire choisi dans le répertoire de l'ancien français.

Amateurs et professionnels composent ces confréries : producteurs, vignerons, négociants, notables et politiques locaux, mais aussi chroniqueurs gastronomiques et personnalités du monde médiatique. Actuellement, on compte en France un peu plus de 200 de ces confréries du vin.