Histoire du vin : Protohistoire Échange et commerce

Le développement et l'expansion de la vigne vers l'ouest...

Domestiquée au Proche-Orient, la vigne cultivée, Vitis vinifera, s'étend d'abord vers le sud, gagne la Mésopotamie puis la région du Nil, et file ensuite vers l'ouest, le long des rives de la Méditerranée. L'histoire de son expansion est liée à celle du commerce et des échanges entre les agriculteurs sédentaires, d'une part, qui travaillent la plante et produisent du vin, et les nomades et marchands, d'autre part, qui transportent boissons et boutures.  

Avec le développement des échanges maritimes, en quelques siècles, la culture de la vigne et du vin dépasse le cadre du Proche-Orient pour s'implanter en Europe : les Phéniciens puis les Grecs font transiter les marchandises de part et d'autre de la Méditerranée, traversant la mer et remontant les fleuves.  

À l'extrémité orientale de la Méditerranée, la présence de vigne associée à la production de vin est attestée sur l'île de Chypre, dès le Chalcolithique (IVe-IIIe millénaire). Elle apparaît en Grèce vers -2000, puis se développe sur le pourtour occidental de la Méditerranée : en Italie et en Afrique du Nord vers -1000 ; dans l'actuelle Bulgarie, en Sicile et en Espagne du Sud entre -1000 et -500.  

En Gaule, la culture de la vigne s'implante autour de Massalia, colonie fondée par les Grecs de Phocée au milieu du VIe siècle avant notre ère. Les fouilles ont révélé des fosses de plantation datées du Ve siècle sur le site de Saint-Jean-du-Désert à Marseille (Bouches-du-Rhône). L'activité viticole se diffuse dans toute la région littorale au cours des siècles suivants, en Provence et en Languedoc-Roussillon, comme en témoignent les vestiges de plantations mis au jour sur les sites de Martigues (étang de Berre) , Lattes - Port Ariane (Hérault) et aux alentours de Nîmes.  

Au premier siècle avant notre ère, la mise en place de grands domaines viticoles liés à la romanisation favorisent l'extension du vignoble dans toute la région méridionale. La viticulture s'étendra ensuite au premier siècle de notre ère aux régions du Bordelais et de la Bourgogne et remontera le long la Loire, de la Seine et de la Moselle.

Lorsque les Celtes importaient leur vin

Lorsque les Celtes importaient leur vin

Col d'une hydrie en bronze importée du sud de l'Italie, vers 570 av. notre ère, avec représentation de la Maîtresse des animaux.
Bernisches Historisches Museum, Berne.

L'existence de fragments d'amphores de transport et de tessons de vases destinés à la consommation découverts dans des habitats dispersés à travers le monde celtique (du Berry au Wurtemberg) permet d'attester l'importation de boisson fermentée ou de vin dès le dernier tiers du VIe siècle, et surtout au cours du Ve siècle avant notre ère. À Lyon, des tessons provenant d'un contenant fabriqué en Étrurie, enfouis à côté d'une palissade de bois datée de -537, témoignent de l'acheminement de vin dans la région. Ces amphores étaient importées d'Italie, du sud de la Gaule, de Massali, et parfois de Grèce. Toutefois leur nombre est restreint et, découvertes dans des habitats aristocratiques, elles ne permettent pas d'affirmer qu'un véritable commerce du vin ait existé dès cette époque. Tout au plus ces vestiges semblent-ils témoigner de l'adoption d'usages conviviaux empruntés au monde méditerranéen par les aristocraties celtes des territoires de l'Europe nord-alpine.  

Ce n'est qu'à partir du IIe siècle avant notre ère que les Gaulois importent et consomment en grandes quantités du vin produit en Italie, avant le développement de la viticulture qui suivra la conquête romaine.

Les Dressel, amphores de vin d'Italie

Aux IIe et Ier siècles avant notre ère, la Gaule importe massivement du vin d'Italie, expédié depuis la côte tyrrhénienne, au sud-est de la péninsule. Les ateliers de potiers font fortune et des millions d'amphores sont acheminées vers les contrées les plus reculées ; on en retrouve jusqu'en Grande-Bretagne !

Le principal modèle d'amphores produites à cette époque en Italie est identifié sous l'appellation de Dressel 1 (du nom du savant qui a établi leur classification par type et par période) : ce sont des contenants hauts, pouvant dépasser un mètre, au fond plein et pointu, et dont la paroi très épaisse est particulièrement solide. Ces amphores pèsent une trentaine de kilos pour une contenance maximum de trente litres. Elles sont dotées d'anses robustes pour le transport, et la forme de leur pied, facile à tenir en mains, facilite le transvasement de leur contenu. La résine de poix, dont l'intérieur est enduit afin de l'étanchéifier, favorise la conservation du vin. Un disque de liège cacheté par une sorte de ciment fait office de bouchon.

À partir de la fin du Ier siècle avant notre ère, les amphores de ce type se raréfie. Elles sont remplacées par un modèle plus léger, doté d'anses coudées plus petites et plus fermées (modèle Dressel 2/4), qui sera utilisé jusque sous le Haut-Empire. Parallèlement, avec la mise au point d'énormes dolia pouvant contenir jusqu'à 2 000 litres, la conservation et le transport du vin en vrac seront assurés.

Petite chronique de l'extension de la vigne cultivée vers l'est... jusqu'au Japon

Domestiquée au Proche-Orient, la vigne cultivée Vitis vinifera se développe vers le sud et l'ouest et se propage également vers l'est, sans doute par les routes caravanières qui traversent l'Asie centrale. La viticulture est attestée en Inde dès le VIe siècle avant notre ère.

En Chine, les boissons fermentées (vins issus de céréales ou de fruits) jouent depuis l'âge du Bronze un rôle important dans les rituels religieux. Dans le pays, il existe déjà des vignes indigènes. Selon la tradition, Vitis vinifera fut introduite par le général Zhang Qian qui, de retour de son expédition en Bactriane, rapporta en -126 à l'Empereur Wudi à Chang'an (aujourd'hui Xian, province du Shaanxi) des pépins de raisins et du vin de la vallée de Ferghana (dans l'actuel Ouzbékistan). Des interprétations plus récentes tendent à démontrer que la vigne était présente bien avant cet épisode, et qu'elle se serait développée au fil de son acclimatation par le biais des échanges entre peuples voisins ; des vignes auraient été plantées à partir des IVe et IIIe siècles avant notre ère dans la province du Xinjiang, comme en témoigne un sarment de bois d'une vigne âgée de six ans découvert lors de la mise au jour d'une tombe de Yanghai (royaume de Shanshan, province du Xinjiang) datée de 390-200 avant notre ère.

Il semble qu'au VIIe siècle (sous la dynastie des Tang), les Chinois utilisaient un procédé de distillation par le froid en congelant du vin, ce qui avait pour effet de séparer l'alcool de l'eau ; mais ils distillaient également en chauffant l'alcool. Les écrits de cette époque font référence à deux sortes de vin de raisin : l'un, délicat, obtenu par fermentation, l'autre plus fort, résultant de la distillation par le feu. Cette dernière technique, qui produit de l'alcool de vin, semble avoir été pratiquée dans les régions situées à l'ouest et au sud.

Dans cette partie de l'Asie, la consommation de vin atteint son apogée sous la dynastie mongole des Yuan, fondée à la fin du XIIIe siècle, pour tomber ensuite en désuétude sous la dynastie des Ming. Elle ne réapparaîtra qu'au XVIIe siècle, à la fin de la dynastie des Qing.

Depuis la Chine, la vigne gagne le Japon, où son exploitation commence vers 1200. Elle y connaîtra un bel essor au XVIIe siècle. À partir du dernier tiers du XIXe siècle, les souches d'origine chinoise seront peu à peu remplacées par des cépages américains.

Le saviez-vous ?

Budo

Le terme japonais budo, tout comme le mot chinois pudao dont il est issu, signifie « raisin ». Son origine remonterait à l'expédition en Bactriane du général Zhang Qian en -128, et il semble qu'il serait lui-même dérivé d'une racine persane antique ; en effet, budâwa est repéré dans le vocabulaire de la vallée de Ferghana, avec le sens supposé de « vin ».

Budo kuu
ichi-go ichi-go
no gotoku nite

Manger du raisin
Une grappe après l'autre
Comme une grappe de mots