Histoire du vin : Protohistoire Pratiques funéraires

Les vins des pharaons

Au pays des pharaons, nul ne pouvait accéder au royaume des morts sans être muni d'une réserve de nectar.

Lors de la découverte du tombeau de Toutankhamon, mort en 1352 avant notre ère, les archéologues découvrirent vingt-six amphores vinaires parmi le mobilier funéraire qui entourait la momie. Les étiquettes et les sceaux portés par ces jarres indiquaient la date de leur fermeture, leur lieu d'origine, et la nature du produit qu'elles renfermaient. On apprend notamment que sept d'entre elles provenaient de propriétés du pharaon dans le delta du Nil, et seize autres du domaine royal de la maison d'Aton (le nom de ce dieu solaire est utilisé pour désigner les vignobles des rois Amenhotep III et Akhenaton, qui ont précédé Toutankhamon). Les millésimes des vins y figuraient également, ainsi que le nom des responsables et des chefs de la vinification, parmi lesquels un certain Kha, responsable de la production du domaine d'Aton et du domaine de Toutankhamon et qualifié de « gardien des secrets de la chambre des vins », ce qui tend à montrer que ce poste était très important et faisait l'objet de considération. Pour preuve cette inscription déchiffrée sur une des amphores : « An 4, Vin doux du Domaine d'Aton, vie, prospérité, santé, du fleuve de l'Ouest - Vigneron : Kha ». Les mentions portées sur les amphores font également référence à la qualité du vin : certaines signalent une « très bonne qualité ».

D'autres tombeaux correspondant à cette même période dite « du Nouvel Empire » (du XVIe au XIe siècle avant notre ère) sont ornés de décors représentant les différentes étapes de la fabrication du vin, de la conduite de la vigne en treille à la fermentation du jus, en passant par les vendanges et le pressage des raisins. Il s'agit de celui de Nakht (TT52), scribe et astronome d'Amon, situé à Gourna, et de celui de Sennefer (TT96), également appelée « tombe aux vignes » (XVIIIe dynastie, c'est-à-dire de -1550 à -1292).

Le vin des dignitaires défunts dans la Gaule de l'âge du Fer

La coutume d'enterrer les personnes éminentes accompagnées de vaisselle et de services à boire se répand en France du nord-est au cours des VIIIe-VIIe siècles avant notre ère. Elle correspond à la mise en place d'une nouvelle pratique funéraire chez les Celtes, l'inhumation sous tumulus, et concerne les personnages de haut rang social, combattant à cheval ou possédant des chars cérémoniels à quatre roues.

Avec les objets, mobiliers et biens funéraires luxueux rassemblés autour d'eux, les offrandes de boissons constituent une marque de distinction sociale des défunts. En un siècle, la quantité de boissons déversées dans ces tombes prestigieuses passe de quelques dizaines à quelques centaines de litres voire plus, témoignant de l'évolution du rôle symbolique du précieux liquide. Initialement réservée aux hommes, cette pratique concernera aussi les femmes à partir du VIe siècle avant notre ère.

La part attribuée au défunt aurait été destinée à être partagée, comme semble l'indiquer la coupe à boire déposée non pas à ses côtés mais près du récipient à boisson destiné à la consommation collective. Quant au sacrifice consenti en enterrant de tels objets luxueux, il n'a pas uniquement pour but de signifier la puissance du défunt, mais renvoie aussi à la richesse que les vivants sont capables d'investir dans l'offrande et les banquets qui accompagnent le rituel funéraire.

Le sang versé des amphores

Le sang versé des amphores

Cuves libatoires avec amphores sabrées lors d'un banquet, IIe-Ier siècle av. notre ère, Corent (Puy-de-Dôme).
Fouille Université de Lyon/Matthieu Poux.

Les amphores ne sont pas les simples contenants des vins utilisés dans les libations des peuples celtes : on les retrouve par milliers, entières ou brisées en tessons, jetées au fond de puits à offrandes et à libations, associées à d'autres objets comme des armes, de la vaisselle, des meules, des dépouilles animales ou humaines. Leur état témoigne de leur traitement comme objet de sacrifice : les cols sont sabrés à coup de lame et le vin est déversé dans les puits avec les tessons qui sont parfois brûlés.  

Sur le site de Corent (Puy-de-Dôme), on ne compte plus les milliers d'ossements animaux et les fragments d'amphores vinaires découverts aux côtés d'autres objets (jetons, fibules, vaisselle, monnaies). Certains tessons semblent avoir été brisés intentionnellement à coups de lames, comme cela a déjà été observé sur de nombreux autres sites. La présence de ces débris est caractéristique des rites sacrificiels et des festins libatoires.  

Chez les Gaulois, le sacrifice des amphores accompagnait une liturgie associant le vin au sang. De plus, la forme de l'amphore rappelle la silhouette humaine. Dans ce contexte, elle devient un substitut au sacrifice d'êtres vivants. Tout comme le sang coulant de la poitrine lacérée d'un homme, le vin s'échappant d'une amphore brisée pouvait faire l'objet d'une lecture divinatoire, comme cela est attesté sur le site du Brézet, situé près de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) par la mise au jour de deux dispositifs :

•  un dépôt de tessons d'amphores associé à des osselets de chèvre (astragale), dont on sait qu'ils étaient utilisés pour le jeu et la divination ;
•  un dépôt de tessons d'amphores disposés en couronne autour d'un col planté à la verticale dans le sol ; au centre se trouvait un dé en os, dont la forme allongée interdit de penser qu'il était destiné au jeu.

Ces objets découverts sur le site de ce sanctuaire où le vin était employé rituellement laissent penser que la divination pouvait recourir aux propriétés hallucinogènes du vin. 

Certains sanctuaires comportent des puits très profonds - celui de Toulouse atteint 17 m - ou des dispositifs plus complexes comme celui mis au jour sur le site de la caserne Rauch à Rodez, daté de la fin du IIe siècle avant notre ère.