La tracéologie

Le tracéologue étudie les traces d’usure sur les objets archéologiques : outils, armatures, parures, récipients… Pour les interpréter, il les compare à des traces dont l’origine est connue grâce à l’expérimentation. Il fabrique des objets identiques aux objets d’étude, les utilise, à main nue ou emmanchés, sur divers matériaux, selon divers modes d’actions et recherche le geste le plus efficace. Il observe, examine et enregistre les traces expérimentales obtenues et construit ainsi un référentiel de comparaison.

Grâce à ce référentiel, il détermine, dans le cas d’un outil tranchant par exemple, quel était le mouvement effectué (racler, couper, percuter…), la matière travaillée (peau, bois, os, pierre…) et parfois comment l’outil était tenu (à main nue, avec une gaine ou un manche).

Dépôt de haches taillées. Vinneuf (Yonne). © Loic de Cargouët, Inrap

Les traces

Les outils découverts lors des fouilles ont tous une histoire : ils ont été fabriqués, la plupart du temps utilisés, parfois transformés, puis, oubliés ou abandonnés. Chaque intervention est susceptible de laisser des traces : une hache de pierre a été taillée, bouchardée (écrasement et éclatement progressif des cristaux par percussion répétée), puis polie avant d’être utilisée, un récipient a conservé des résidus du contenu qu’il a renfermé, un éclat de silex livre des marques d’utilisation sur son tranchant.

Ces traces, témoignages des matières travaillées et des gestes des artisans au cours du temps, sont difficiles à déchiffrer en raison de leur taille souvent microscopique, de leur superposition, et des altérations naturelles subies par les vestiges.

Dépôt de haches taillées. Vinneuf (Yonne).

Dépôt de haches taillées. Vinneuf (Yonne).

Les différentes échelles d’observations

Les analyses tracéologiques sont longues et minutieuses et les vestiges nombreux. Les pièces sont d’abord sélectionnées en fonction de leur état de conservation et de leur intérêt pour la compréhension du site archéologique. 

Généralement la loupe binoculaire permet d’examiner des fractures, des esquillements et des émoussés, tandis que le microscope est utilisé pour rechercher les polis, les stries, voire les résidus. 

Ensuite les traces sont recherchées à l’oeil nu, puis à plusieurs niveaux de grossissement : loupe binoculaire (10 à 40 fois), microscope métallographique (50 à 500 fois), voire microscope électronique à balayage (jusqu’à 10 000 fois).

Examen au microscope métallographique

Examen au microscope métallographique.

Les traces d’utilisation sur les outils en pierre taillée

Les esquillements sont les négatifs ou les empreintes des petits éclats (esquilles) qui se sont détachés lors du contact du tranchant avec la matière travaillée. Ils sont d’autant plus nombreux et de grande taille que la matière est dure et l’utilisation de l’outil intense. Les émoussés sont des arrondis qui se forment par contact avec des matières abrasives (peau, terre).

Les polis correspondent à des surfaces rendues luisantes par l’usure, leurs caractéristiques varient notamment en fonction de la matière travaillée. Les stries révèlent la présence de particules abrasives provenant de la pièce façonnée, de l’outil ou de l’environnement de travail (poussière, etc.). Les résidus sont des particules de la matière travaillée, arrachées et retenues par les irrégularités de surface de l’outil.

1 - Tranchant intact (grossissement x10, loupe binoculaire)

1 - Tranchant intact (grossissement x10, loupe binoculaire)

2 - Esquillements dus au raclage d’os (grossissement x10, loupe binoculaire)

2 - Esquillements dus au raclage d’os (grossissement x10, loupe binoculaire)

3 - Emoussés dus au raclage de peau (grossissement x20, loupe binoculaire)

3 - Emoussés dus au raclage de peau (grossissement x20, loupe binoculaire)

4 - Stries dues au rainurage d’os (grossissement x200, microscope)

4 - Stries dues au rainurage d’os (grossissement x200, microscope)

Au-delà des traces… les hommes

Les conclusions du tracéologue viennent compléter les connaissances des archéologues sur la façon dont les occupants d’un site ont produit, entretenu, utilisé puis rejeté leur outillage. Elles contribuent à documenter la structuration dans l’espace d’un site et sa fonction (camp de chasse, forge, tannerie, habitat, etc.). Elles permettent d’appréhender, en caractérisant les matières travaillées par les outils, des aspects de la vie quotidienne tels que l’alimentation ou l’artisanat.

La tracéologie est mise à contribution par l’archéologie expérimentale, car l’étude des traces d’utilisation peut permettre de valider ou non une hypothèse concernant des opérations techniques complexes, comme le dépeçage d’un bison ou la construction d’une pirogue par exemple.

Archéologie expérimentale : raclage de peau

Archéologie expérimentale : raclage de peau

Histoire d’un puits à silex

La tracéologie dévoile ou confirme des relations entre objets et structures d’un site. La mine de silex néolithique de Jablines (Seineet- Marne) a livré plusieurs outils : haches en silex, pics en bois de cerf et omoplates d’aurochs. En se servant de répliques de ces outils, et d’autres dont nous n’avons pas de témoignages directs à Jablines (pics ou pieux en bois végétal utilisés en levier), les archéologues ont creusé un puits expérimental à Flins-sur-Seine (Yvelines), dans un substrat géologique semblable à celui de Jablines.

L’étude des traces sur les parois du puits expérimental a révélé que l’herminette en silex était moins souvent utilisée que les pics en bois de cerf pour creuser le puits. Elle a ainsi validé l’usage de certains outils et précisé leur ordre d’utilisation.

Traces observées sur un puits expérimental. Flins-sur-Seine (Yvelines)

Traces observées sur un puits expérimental. Flins-sur-Seine (Yvelines).

Vidéos

Les sciences de l'archéologie : Emilie Claud, tracéologue

Le tracéologue étudie les outils en pierre taillée pré-historiques, plus précisément les traces d’utilisation qu’ils sont susceptibles de porter. Celles-ci constituent des indices du mode de fonctionnement de l’outil, de la matière qu’il a travaillée, du mouvement effectué et de son mode de préhension. Leur interprétation est possible grâce à l’expérimentation, qui permet de comparer les traces portées par les outils préhistoriques avec des traces d’utilisation dont l’origine est connue. L’étude tracéologique permet de compléter les connaissances des archéologues sur la manière dont les hommes préhistoriques ont produit, entretenu, utilisé et rejeté leur outillage. Elle contribue également à préciser la fonction d’un site (atelier, habitat, camp de chasse…), ainsi que sa structuration spatiale, lorsque différentes aires d’activités ont été identifiées. Emilie Claud nous raconte sa vocation d’archéologue, sa démarche d’analyse et ses résultats scientifiques.

Inrap - Schuch Conseils et Productions - 2010

Les experts de l'archéologie : le tracéologue

© Inrap - Arte - Petite ceinture - 2010