Usage et fonctionnement

Même si elles paraissent évidentes, ces considérations matérielles doivent impérativement être prises en compte dans toute étude de vestiges archéologiques. C’est notamment le cas pour les études comparatives, au cours desquelles il s’agit de constater puis d’interpréter la ressemblance entre deux formes d’objets (vases, éléments d’architecture, têtes de flèche, etc.) découverts éloignés l’un de l’autre. S’agit-il d’une ressemblance de style, qui indiquerait que des contacts existaient entre deux populations distinctes, ou tout du moins que les idées et les objets circulaient sur de grandes distances ? Ou bien cette ressemblance est-elle simplement due à l’adéquation, partout similaire, entre les contraintes fonctionnelles, les propriétés de la matière et les moyens d’agir sur elle ?

Pour tenter de répondre à ces questions, les archéologues entreprennent expérimentations et analyses. Leurs enquêtes sur les modes de fabrication des objets génèrent des hypothèses sur leurs usages, plus spécifiquement sur leur principe d’action et leur mode d’utilisation. Au XIXe siècle déjà, afin d’évaluer l’efficacité de différents tranchants et emmanchements attestés archéologiquement, des expériences de boucherie et de découpe sont menées avec des silex taillés. S’inspirant de l’ethnologie comme de l’étude de l’artisanat, Leroi-Gourhan développe dès la fin des années 1930 une approche plus systématique encore. Il identifie des « moyens élémentaires d’action sur la matière » (percussions, posées ou lancées), qu’il met en adéquation avec les propriétés des matériaux travaillés (des solides stables, semi-plastiques, souples, etc.).

Technologie et « chaîne opératoire »

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Dans un de ses derniers ouvrages, Boucher de Perthes s’intéresse au mode d’emmanchement et de maniement des outils en silex. La légende originale de cette planche dit : « Diluvium. Outil et hache en silex. Manière de placer la main pour s’en servir. »
In Des outils de pierre, Jacques Boucher de Perthes, 1865.

En étudiant avec tant d’attention les modalités de fabrication et d’utilisation des outils anciens, les archéologues cherchent certes à en faire des marqueurs chronologiques et culturels plus fiables encore. Mais, de manière générale, ils s’intéressent de plus en plus aux comportements et à l’histoire des moyens que les hommes ont utilisés à travers le temps dans leur interaction avec la nature.

Les premiers instruments en pierre, puis ceux en bronze et en fer, servent à illustrer les étapes initiales de ce qu’on appelait alors le « progrès industriel » de l’humanité, jusqu’à son triomphe actuel. C’est à ce titre, comme témoins de progrès, qu’ils sont présentés dans les grandes expositions universelles du XIXe siècle.

Au cours du XXe siècle, cette approche technologique s’enrichit de considérations sociologiques, anthropologiques et économiques plus larges. Les objets vont être étudiés non plus simplement en considérant leur rendement, leur perfectionnement ou leur efficacité matérielle, mais aussi au regard de l’organisation du travail qu’ils impliquent, des connaissances qu’ils nécessitent et mettent en jeu, et plus généralement des conditions historiques, sociales et idéologiques qui entourent la production humaine.

L’anthropologue Marcel Mauss jouera un rôle important dans l’essor de la technologie dans l’entre-deux-guerres, à la fois à l’Institut d’ethnologie et au musée de l’Homme. Dans la foulée, Leroi-Gourhan suggère le concept de « chaîne opératoire », portant sur l’ensemble des étapes du processus qui mène de la matière première brute au produit fini et utilisé, y compris les matériaux, les moyens d’action et les savoir-faire mobilisés. Étoffé par des anthropologues puis des préhistoriens (notamment ceux qui travaillent sur des gisements paléolithiques du Bassin parisien et du nord de la France), cette démarche a désormais acquis une place de premier plan dans l’analyse et l’interprétation des vestiges archéologiques.