Paléoanthropologie
Toumaï or not Toumaï
La science des origines et de l’évolution de la lignée humaine, appelée paléoanthropologie, ne se résume pas à de calmes discussions entre spécialistes. Il faut dire que les restes fossiles de nos lointains ancêtres sont tellement rares et souvent si fragmentaires qu’ils suscitent une forte compétition entre paléoanthropologues, entraînant parfois des épisodes houleux. L’un des plus récents concerne un morceau d’os long d’une trentaine de centimètres, un fragment de fémur si vieux qu’il s’est depuis longtemps entièrement pétrifié.
Et pourquoi déchaîne-t-il les passions ? Parce qu’il pourrait avoir appartenu à un individu surnommé Toumaï, dont le crâne a été découvert au Tchad en 2001 par la Mission paléoanthropologique franco-tchadienne dirigée par Michel Brunet. Daté d’environ 7 millions d’années, ce crâne présenterait des caractéristiques morphologiques (position du trou où s’insère la colonne vertébrale) indiquant que son possesseur était déjà bipède. Or, s’il marchait debout, il paraît probable que Toumaï soit l’un des plus anciens représentants de la lignée humaine plutôt qu’un ancêtre des gorilles ou des chimpanzés actuels.
Seulement voilà, l’existence du fragment de fémur qui gisait à proximité du crâne de Toumaï lors de sa découverte a été passée sous silence pendant plus de quinze ans. Confié, avec d’autres ossements animaux, à une étudiante dans le cadre de son mémoire de master à l’université de Poitiers, il a pourtant été étudié et identifié en 2004 par cette dernière et son professeur de paléoanthropologie. En 2017, ces deux chercheurs ont souhaité rendre publiques leurs observations préliminaires, au risque de remettre en question la bipédie attribuée à Toumaï si cet os s’avérait être le sien. Refus catégorique, noms d’oiseaux échangés sur les ondes au nom de l’éthique ou du respect de la démarche scientifique. Au-delà des querelles déontologiques, l’enjeu de la tourmente tient dans une interrogation : Toumaï se déplaçait-il ou non sur ses deux pieds ?