Tell el-Iswid : vue générale de la fouille des tranchées de construction

Tell el-Iswid : la formation de l’État en Égypte

Responsable(s) :
BUCHEZ Nathalie (Inrap, UMR 5608), MIDANT-REYNES Béatrix (CNRS - UMR 5608)
Année(s) :
2006-2016
Tell el-Iswid, gouvernorat d'Ach-Charqiya, Égypte
Mis à jour le
26 janvier 2017

Tell el-Iswid est un site stratifié de 12 hectares du delta oriental du Nil. Sa fouille, financée par le Ministère des Affaires étrangères, est réalisée depuis 2007 par l’Institut français d'archéologie orientale (IFAO) en partenariat avec l’Inrap et l’UMR 5608 "TRACES" du CNRS. Occupé en continu pendant un millénaire jusqu’à la constitution d'un État, ce site offre l’opportunité d’étudier les mécanismes des évolutions techniques et sociales génératrices des grandes cultures historiques.

Pour plus d'informations : http://www.ifao.egnet.net/archeologie/tell-el-iswid/

L’uniformisation culturelle : Tell el-Iswid, au cœur de la problématique

Ce Tell est situé à 40 km au nord-est de la ville actuelle de Zagazig, dans la province de Sharqiyah. Dès sa découverte en 1987, il a été considéré comme l’un des sites majeurs du Delta oriental du fait de sa stratigraphie couvrant l’ensemble de la période de formation de la civilisation égyptienne (prédynastique), depuis les Cultures de Basse-Égypte jusqu’à la période Naqadienne.

En Égypte, entre le début du IVe millénaire avant notre ère et le début du millénaire suivant, on passe progressivement d’une société de type néolithique à une société très hiérarchisée, étatique, avec une accélération du processus en fin de période.

Dans les régions du Nord de l’Égypte relevant plutôt d’influences levantines, tandis que le Sud est tourné vers l’Afrique, émerge vers le milieu du IVe millénaire un ensemble culturel fort, la culture de « Naqada », originaire du sud, selon un processus qui fait débat depuis les années 60. Développement lent et spontané du fait des contacts prolongés entre les communautés nilotiques ? Acculturation impliquant éventuellement un phénomène migratoire ? Toujours est-il que ce temps d’« uniformisation culturelle » constitue le point de basculement au-delà duquel un ensemble de mécanismes sociaux vont conduire à la constitution d’un État.

La nature du site de Tell el-Iswid offre l’opportunité de répondre à deux questions essentielles pour comprendre le cheminement de ces sociétés vers un État :

  • Quelle est la structure socio-économique à l’époque des Cultures de Basse-Égypte ?
  • Qu'est-ce qui caractérise la transition vers les formules naqadiennes, à l'origine de la civilisation égyptienne ?

Le Delta : une zone classée prioritaire, un environnement particulier

L’expansion galopante des phénomènes agricoles et urbains dans le delta du Nil a amené le Conseil suprême des Antiquités égyptiennes (CSA) à le classer en zone prioritaire pour ce qui est de la recherche archéologique, de l’inventaire et du classement des sites et des monuments.

Dans le delta, les hommes se sont installés sur les Gezira, des buttes sableuses constituées par les dépôts du Nil au Pléistocène et qui seules émergeaient lors des crues annuelles. Au fil du temps, les limons des crues ont recouverts une partie des sites. À partir du XIXe siècle, ce paysage est totalement remodelé  ; un processus de nivellement des Gezira est amorcé avec la réalisation de travaux hydrauliques (barrages) visant à la mise en culture pérenne des terres. Restituer la topographie d’origine, déterminer l’extension des occupations anciennes, cartographier, constituent donc les prérequis nécessaires à tout projet archéologique et à une démarche préventive, dans cette région.

Les données récoltées lors des nombreux carottages effectués (près de 200) démontrent que :

  • Le Tell el-Iswid d’aujourd’hui ne représente qu'une infime partie d'un site, ou d’un ensemble de sites, établis en bordure d’une vaste Gezira aujourd'hui partiellement recouverte par les cultures.
  • La topographie actuelle du Tell est inversée. Les reconstructions successives des secteurs de l’habitat touchés par les crues ont générées d’importants exhaussements sur les points bas. Ce qui était à l’origine le sommet de la butte sableuse se trouve aujourd’hui en contrebas (B. Midant-Reynes et N. Buchez éds., Tell el-Iswid 2006-2009, FIFAO 73, 2014, http://sig.tge-adonis.fr/Gezira).

Les occupations des Geziras : des Tells stratifiés complexes, un terrain privilégié pour la formation des étudiants

Jusqu’au XIXe siècle, les occupations se sont succédées sur les Geziras créant d'impressionnantes accumulations de vestiges ou « Tells ». La topographie d’origine irrégulière, les remaniements successifs, l’action des crues et des phénomènes éoliens sur les architectures en terre crue sont autant d’éléments engendrant des stratigraphies particulièrement complexes qui ne peuvent être pleinement appréhendées, dans le cadre d’une fouille extensive, qu’à partir de procédures rigoureuses telles que celles adoptées de longue date en milieu urbain en France, mais relativement nouvelles pour l’Égypte. Avec sa stratigraphie qui se développe sur plus de 4 m, le site de Tell el-Iswid est un terrain privilégié pour le programme de formation des étudiants égyptiens mis en place par l’IFAO en partenariat avec l’Inrap.

La fouille entreprise depuis 2010 d’une aire de 600 m2 a, tout d’abord, portée sur un bâti en brique crue Naqadien qui évolue de façon continue sur 150 à 200 ans. En dépit des multiples remaniements, certaines élévations ou certaines limites perdurent au fil du temps. À terme, l’organisation de l'espace et du bâti est totalement modifiée sous l'impulsion des premiers souverains (dynastes) qui affirment leur pouvoir sur la totalité de l’Égypte. Au travers des réorganisations, on décèle une plus grande emprise de l’espace construit et un processus de privatisation des espaces sans doute révélatrice d’une évolution des rapports sociaux (Midant-Reynes et Buchez éds., Tell el-Iswid 2010-2014, FIFAO , à paraître).

Des Cultures de Basse-Égypte à la culture naqadienne : processus d’acculturation ? phénomènes de diffusions ou d’emprunts ?

Les modes de construction qui prévalent antérieurement, à l’époque des Cultures de Basse-Égypte, diffèrent  totalement. Les vestiges de bois calcifiés mis au jour évoquent des architectures légères avec des éléments verticaux - de type canisse - enduits de terre. Les parois des architectures domestiques, de plan pluricellulaire, étaient implantées dans des tranchées et stabilisées à leur base par des branchages. Les structures de combustion ne sont jamais construites, à la différence de celles de la période suivante. Les silos sont remplacés par des aménagements hors sol en brique crue ou en terre massive. L’étude des restes végétaux et des phytolithes montre que l’exploitation des céréales reste prépondérante mais révèle également une évolution dont la nature reste à préciser. De même, si les formes céramiques ne sont plus les mêmes, qu’en est-il des modes de fabrication porteurs des traditions ?

Identifier les traditions et identifier les changements sont les questions de fond qui sous-tendent les travaux à Tell el-Iswid. L’équipe, largement pluridisciplinaire (archéologues de terrain, spécialistes) , est à même d'apprécier les transformations de la société du IVe millénaire dans tous les domaines et développer des approches novatrices pour la période et pour l’Égypte : technologie céramique, tracéologie, etc. (Buchez et al., à paraître ; Elshafey Abdelatif Elshafey Attia et Marinova, à paraître).

Les Cultures de Basse-Égypte connues au travers d’une poignée de sites dont Tell el-Iswid

Pour la période des Cultures de Basse-Égypte, ces études renvoient l'image de communautés villageoises économiquement peu investies. Dans ce contexte, la découverte en 2016, d’une vaste architecture en briques crues moulées - forme d’enceinte avec une pièce adossée à l’un de ses angles - ne va pas sans poser de questions et relance la controverse sur l’apparition en Égypte, d’un mode architectural qui prend son essor avec les premières dynasties et n’est pas sans lien avec le fait urbain. Processus automne ou diffusion à partir du Proche-Orient ? S’il est tentant d’y voir un phénomène en lien avec les mutations socio-économiques du milieu du IVe millénaire, il faut attendre d’en connaître plus sur ces habitats des Cultures de Basses-Egypte pour conclure en ce sens. Jusqu’ici, seule une poignée de sites a fait l’objet de fouilles, les tout débuts de la période étant, en outre, quasiment terra incognita. Les principaux objectifs des missions à venir sont :

  • comprendre comment s’insère dans l’habitat cette vaste architecture en briques crues ;
  • documenter les périodes les plus anciennes des Cultures de Basse-Égypte.
 visite du chantier

Tell el-Iswid : visite du chantier par les participants au colloque Origins 5 en avril 2014.

© R. El Hajaoui, Ifao

Bibliographie citée

MIDANT-REYNES (Béatrix) éd., BUCHEZ (Nathalie) éd. ― Tell el-Iswid 2006-2009. Le Caire : Institut français d'archéologie orientale, 2014, 320 p. (FIFAO ; 73)

MIDANT-REYNES (Béatrix). ― Une nouvelle attestation d'Iry-Hor dans le Delta. À paraître dans les Mélanges offerts à Michel Valloggia.

ATTIA (Elshafey Abdelatif Elshafey), MARINOVA (E.). ― Predynastic Plant Economy in the Nile Delta Archaeological Evidence from Tell el-Iswid. À paraître dans les actes du 8th International Workshop for African Archaeobotany, Modena and Reggio Emilia, Italy, 23-26th June 2015.

BUCHEZ (N.), MIDANT-REYNES (B.), BRÉAND (G.), BRIOIS (F.), EL-HAJAOUI (R.), GUÉRIN (S.), GUYOT (F.), HOCHSTRASSER-PETIT (C.), MINOTTI (M.), ROBITAILLE (J.). ― Lower Egyptian Culture settlement at Tell el-Iswid in the Nile Delta. À paraître dans les actes du 5e colloque Origins, Le Caire, Egypt, 13-17th April 2014.

Collaborateurs
ATTIA Elshafaey Abdellatif Elshafaey : doctorant, Université du Caire, Égypte
BAJOT Jade : chercheur postdoctoral, Université de la Sapienza de Rome, Italie
BREAND Gaëlle : doctorante, CNRS - UMR 5608, France
BRIOIS François : maître de conférences, EHESS, France
CAVERO Julien : CDD ANR, Archeorient - UMR 5133, France
EL HAJAOUI Rachid : auto-entrepreneur
EMERY-BARBIER Aline : CNRS - UMR 7041, Maison Archéologie & Ethnologie René-Ginouvès, France
FABRY Bruno : Inrap, France
GABER Mohammed : technicien, IFAO, Egypt
GUERIN Samuel : Inrap, UMR 8164, France
GUYOT Frédéric : membre scientifique, IFAO, Égypte
HOCHSTRASSER-PETIT Christiane : indépendant
LESUR Joséphine : maître de conférences, Muséum d'histoire naturelle, France
MARINOVA Elena : chercheur postdoctoral, Université de Leuven, Belgique
MINOTTI Mathilde : chercheur postdoctoral, CNRS - UMR 5608
ROBITAILLE Jérôme : doctorant, EHESS, France
VINOLAS Frédéric : CDD, Inrap, France
Tell el-Iswid, gouvernorat d'Ach-Charqiya, Égypte
Contact(s)

Nathalie Buchez
Inrap, Centre archéologique de Glisy
32 avenue de l'Étoile
80440 Glisy
​Tél. 06 62 26 80 10
nathalie.buchez [at] inrap.fr

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