La tombe des deux guerriers
Deux hommes, l’un âgé d’une trentaine d’années (sép. 11) et l’autre d’une cinquantaine (sép. 13), ont été découverts à côté de la jeune femme, à quelques dizaines de centimètres à peine.
L’architecture funéraire des sépultures masculines est beaucoup plus ostentatoire que celle de la femme. Alors que le cercueil de cette dernière a été déposé dans une simple fosse, chaque homme a eu droit à une véritable chambre souterraine : deux fosses rectangulaires, mesurant environ 2,70 x 1,50 m, profondes d’au moins 80 cm, aux parois et au sol tapissés de planches de chêne ; un couvercle de même matière en scellait l’ouverture. Les défunts ont été placés habillés, avec épée et scramasaxe, dans un cercueil en chêne déposé dans la moitié nord de la chambre. Chacun portait une ceinture dont la boucle est en matière précieuse : cristal de roche pour le jeune homme, argent massif pour l’autre. Le plus jeune portait également une bague en or à la main gauche. Une aumônière était attachée à leur ceinture dans leur dos. Les boucliers et les haches étaient posés contre le cercueil. La vaisselle de bronze et de verre reposait sur le cercueil ainsi que dans le reste de la chambre funéraire, aux côtés de dépôts périssables (étoffes, lanières de cuir, coffre en bois ?) qui n’ont laissé que des traces fugaces dans le sol. Enfin, sur le couvercle de la chambre funéraire avaient été placés un angon et une lance.
Dans les tombes mérovingiennes masculines, la découverte d’armes telles que hache, scramasaxe et bouclier est courante. Mais la présence complémentaire d’une épée, d’une lance et d’un angon est toujours révélatrice d’une élite. Ainsi, les deux hommes de Saint-Dizier ont été inhumés avec une panoplie d’armes très complète, qui révèle à la fois leur statut de guerrier et un rang social élevé.
Album photo
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La chambre funéraire du jeune homme (sép. 11)
© M.-C. Truc, Inrap
À droite, le squelette est déposé avec armes et accessoires dans un cercueil dont ne subsistent que les ferrures et de rares fragments. À gauche, on distingue l’angon, qui, placé à l’origine sur le couvercle, s’est affaissé, ainsi qu’une verrerie, le mors et diverses boucles. -
La chambre funéraire de l’homme âgé (sép. 13)
© M.-C. Truc, Inrap
La hache, déposée contre le cercueil, s’est effondrée contre le tibias droit du défunt lors de la décomposition du contenant. L’épée avait été placée dans le cercueil, sur l’épaule droite. Contre elle, on distingue l’umbo en fer, dernier vestige du bouclier en bois de peuplier, qui s’appuyait à l’origine contre le cercueil.
À gauche le bassin et le seau sont disposés sur le plancher de la chambre funéraire. -
Traces de plancher (sép. 13)
© M.-C. Truc, Inrap
Au contact de la vaisselle métallique, le bois du plancher de la chambre funéraire s’est trouvé conservé sur près d’1m2. Les analyses ont révélé qu’il s’agissait de chêne, essence utilisée assez fréquemment en architecture funéraire. -
Mobilier de la sépulture 11
© C. Phillipot, musée de Saint-Dizier
Au premier plan, de gauche à droite : boucles diverses, bague, fermoir d’aumônière, pointe de flèche, couteau et verreries. Au centre : scramasaxe, lance, épée et angon. Au fond, de gauche à droite : umbo et manipule de bouclier, mors de cheval, hache, chaudron et bassin en bronze.
L’angon est une sorte de javelot constitué d’une longue tige en fer à pointe en harpon. La tige s’emmanche sur une hampe en bois et l’ensemble peut atteindre deux mètres de longueur. Arme typique des Francs, l’angon est utilisé en arme de jet comme pour le combat au corps à corps. On n’en trouve que dans les tombes riches. -
Mobilier de la sépulture 13
© C. Phillipot, musée de Saint-Dizier
Au premier plan, de gauche à droite : boucles de ceintures et de chaussure en argent, fermoir d’aumônière, pointes de flèche et verreries. Au centre de gauche à droite, devant l’épée : perle, couteau, hache, scramasaxe. Au fond, de gauche à droite : umbo et manipule de bouclier, bassin en bronze et seau.
L’umbo est la partie centrale du bouclier : en fer, il assure la cohésion du bouclier en bois auquel il est fixé par des rivets et protège la main du guerrier qui tient son arme par un manipule en fer. -
Scramasaxe de la sépulture 11
© L. de Cargouët, Inrap
Ce scramasaxe à fourreau en bois d’aulne et bouterolle en argent, a été découvert à hauteur de la taille du jeune homme. Un objet semblable se trouvait dans l’autre tombe masculine. Dans une poche du fourreau, était glissé un petit couteau à poignée en or.
Signifiant littéralement « lame qui entaille », le scramasaxe est un coutelas à un seul tranchant retrouvé très fréquemment dans les tombes mérovingiennes. Ce grand couteau est à la fois une arme et un objet de la vie quotidienne. Les hommes le portent à la ceinture, glissé dans un fourreau de bois recouvert de cuir. -
Hache de la sépulture 13
© L. de Cargouët, Inrap
Cette hache profilée est une arme de jet, la fameuse francisque que l’on lance en tournoyant. Le manche en bois s’est conservé partiellement dans la douille du fer de hache. Il s’agit de frêne, essence généralement utilisée pour les armes de jet. -
Chaudron de la sépulture 11
© L. de Cargouët, Inrap
Ce récipient en bronze contenait une écuelle en bois d’érable, conservée de manière exceptionnelle grâce à l’humidité ambiante, ainsi qu’un gobelet en verre. -
Gobelet de la sépulture 13
© L. de Cargouët, Inrap
Ce gobelet campaniforme (du latin campana : cloche) comporte un bouton terminal empêchant de le poser de manière classique. Après avoir bu, le propriétaire le reposait sans doute à l’envers sur la table, ou bien le plaçait à l’endroit sur un support en bois ou métal. -
Proposition de reconstitution de la chambre funéraire (sép. 11)
© dessin Laurent Juhel, Inrap
Excepté de menues disparités, les deux tombes masculines sont fort semblables dans le mobilier et l’aménagement. Toutes deux rentrent dans la classification des inhumations dites de Morken. Ce sont des chambres excavées, large de 1,10 à 3 m et longue 2,20 à 3 m en moyenne, tapissées de planches et dont espace intérieur est divisé en deux zones : dans la moitié nord, se trouve le lit funéraire ou le cercueil, à l’intérieur duquel repose le défunt ou la défunte, avec ses vêtements, armes et bijoux. La partie sud de la chambre est réservée aux offrandes alimentaires et au dépôt d’armes et d’objets divers.
L’origine de ces chambres serait à chercher dans l’Antiquité Tardive et des cas sont attestés dans les régions alémaniques dès le IVe siècle. Encore rares aux Ve et au début du VIe siècle chez les Francs, elles se multiplient dans le courant du VIe siècle. Au VIIe siècle, elles ne sont plus réservées à une élite.