A Paris, l'opération avait été provoquée par la mise au jour fortuite d'un imposant fragment de muraille au cours des travaux de réaménagement du Musée de l'Orangerie.

Dernière modification
19 février 2016

Il s'agissait d'un tronçon de l'enceinte dite des « fossés jaunes » correspondant au cinquième ouvrage défensif de la ville, après celui du Bas-Empire, du haut Moyen Âge, de Philippe Auguste et de Charles V. Ce rempart bastionné reliait, au XVIIe siècle, l'extrémité occidentale des Tuileries à l'ancienne fortification de Charles V.


L'intervention a permis d'étudier sur près de 60 m de long, et sur une hauteur moyenne de 2,50 m, un tronçon de la face méridionale du plus ancien bastion de cette enceinte assez mal connue, aussi bien dans sa chronologie que dans sa mise en oeuvre. Même si la base du rempart n'a pu être atteinte, il s'agit du premier segment dégagé de cette importance. L'étude archéologique s'est appuyée sur une étude historique entreprise en collaboration avec Élisabeth Pillet de la Direction des Affaires Culturelles de Paris qui s'est principalement intéressée aux documents d'archives.

La construction de l'enceinte « des fossés jaunes » débuta sous le règne de Charles IX par la réalisation du bastion des Tuileries. Cet ouvrage était destiné à protéger le palais de Catherine de Médicis. Les travaux débutèrent en 1565, mais ils étaient encore attestés en 1579 et 1581, date à laquelle le premier bastion fut achevé selon l'historien du XVIIe siècle Du Breul. À partir de 1585, le chantier de l'enceinte fut définitivement interrompu. C'est dans le contexte de la guerre de Trente Ans que Louis XIII, en 1631, prit la décision de relancer la construction. Elle cessa vers 1647 et le sixième et dernier bastion, ne fut jamais terminé. Une trentaine d'années plus tard, les enceintes de Paris furent jugées inutiles et remplacées par des cours plantés qui donnèrent naissance aux actuels « grands boulevards ».

L'enceinte est constituée d'une imposante levée de terre d'au moins 16 m de large formant l'élément défensif principal. La muraille en pierre, de 2,7 m de large à son niveau d'arasement, est essentiellement destinée à empêcher que la terre ne se déverse dans le fossé. Elle est chaînée à d'épais contreforts trapézoïdaux de 2 m de large et de 4,80 de long séparés de la même distance.

Le blocage de la muraille, le parement oriental recouvert par la levée de terre et les contreforts sont constitués de moellons de calcaire liés au mortier. Le parement surplombant le fossé a reçu un traitement bien différent. Il est construit en grand appareil régulier de blocs de calcaire de Saint-Leu-d'Esserent. La partie observée est comprise entre 2,40 m et 3,90 m, elle comporte huit assises principales dont trois comprenant par endroits deux rangées de blocs superposées. Les hauteurs d'assises s'échelonnent de 25 à 64 cm, mais mesurent en général une quarantaine de centimètres. Le fruit du mur est très marqué, de l'ordre de 20 cm par mètre. Près de quatre-vingts marques lapidaires ont été relevées sur les faces visibles des blocs du parement en grand appareil.

Des décrochements inhabituels sont visibles dans les joints horizontaux. Ces ruptures sont dues à la présence de quelques blocs « à crochet » en forme de T ou de U, irrégulièrement disposées le long du rempart mais placées à la même altitude. La raison d'être de ce dispositif pourrait résulter de la reprise de blocs endommagés car laissés à l'air libre entre deux phases de construction. Déjà signalée dans les sources historiques, cette hypothèse d'une interruption de chantier est aussi corroborée par des disparités constatées dans la mise en oeuvre de la muraille. En effet, des différences dans l'épaisseur des joints des parements, la taille des pierres du blocage... ont été observées entre les parties situées au-dessus et au-dessous de la ligne des blocs à encoches.

Reposant sur une campagne de forages, une étude géomorphologique a été effectuée pour recueillir des informations sur les parties non observées (fossé, base du rempart, base de la levée de terre). Le fossé était plat avec un surcreusement étroit, en eau, de 4 m de large et autant de profondeur, situé au pied du rempart. L'altitude de la base de la maçonnerie, qui atteint probablement le substrat calcaire, a été déterminée en fonction du point le plus bas du fossé. Ainsi, la hauteur initiale du rempart peut être estimée à 9,30 m (sans le parapet) et sa largeur à la base à 4,10 m. La muraille et la partie du fossé la plus profonde sont creusées dans le substrat sur 4,30 m de profondeur.

L'opération a aussi mis au jour les fondations de deux constructions adossées au rempart. Si la première, très mal conservée, reste difficile à interpréter, la seconde pourrait correspondre à la demeure de Gilles Renard, commissaire du roi, qui transforma le bastion en jardin d'agrément au XVIIe siècle. D'après les sources historiques, cette maison a été construite entre 1630 et 1633 et détruite après 1670. Mesurant dans son dernier état plus de 22 m de long et 5 m de large, elle comprend deux pièces excavées attenantes et construites successivement. Leur installation a entraîné une notable réduction du rempart de plus d'un mètre. L'habitation est pourvue d'un puits, de latrines avec un déversoir et de deux évacuations d'eau usée débouchant dans le fossé. L'ensemble de ces structures a été creusé dans la maçonnerie. Ces travaux, qui ont forcément conduit à fragiliser la muraille, montrent à l'évidence qu'elle n'avait plus aucun rôle militaire au moment où ils ont été effectués.

Même si la fouille n'a pas apporté d'éléments décisifs concernant la datation du rempart, il est possible d'affirmer que le bastion est bien antérieur à 1631. En effet, l'agencement de la muraille diffère en de nombreux points du traité de Pidou qui détermine, à cette date, les modalités de son prolongement. Le mode de construction observé est par ailleurs assez éloigné du vestige découvert rue Cambon, seul témoin à ce jour du tronçon de l'enceinte construite sous Louis XIII.

Cette intervention a permis de comprendre - ou de confirmer - qu'une grande partie de la façade de la terrasse occidentale des Tuileries, avec son cordon de pierre et son escarpe talutée, correspondait à la face nord du premier bastion. Peu de temps après la découverte de la face méridionale, la présence d'une rupture verticale a été remarquée dans le mur de terrasse occidentale du jardin des Tuileries. Le relevé topographique a permis de vérifier qu'elle se trouvait dans l'alignement du tronçon dégagé lors des travaux et qu'elle correspondait à la pointe du bastion.