À Bar-sur-Aube (Aube), une équipe de l'Inrap a réalisé, en 2013, la fouille archéologique préalable à l'aménagement d'une voie nouvelle et d'un lotissement, sur prescription de l'État (Drac Champagne).

Dernière modification
10 mai 2016

Bar-sur-Aube est l'antique Segessera, agglomération secondaire gallo-romaine de la cité des Lingons. L'objectif des archéologues était de vérifier la présence de la voie d'Agrippa, la branche orientale de la voie de l'Océan représentée sur la « Table de Peutinger » (une carte des routes et villes de l'Empire romain datée du IVe siècle de notre ère). À cette occasion, d'étonnantes tranchées remplies de restes de chevaux ont été découvertes. 

Des tranchées et des chevaux 

Des tranchées et des chevaux 
© Vincent Charpentier/Inrap
La fouille révèle tout d'abord 45 mètres d'une longue tranchée en zig-zag qui se prolonge au-delà des limites de la fouille. À l'intérieur de cet étroit espace apparait plus d'une quarantaine de carcasses de chevaux. Douze d'entre elles ont été finement fouillées dans deux segments, sur 12 m de long. De forte corpulence, ces chevaux de trait, disposés les uns sur les autres, ont été traînés jusqu'au bord de la tranchée avant d'être glissés avec soin dans cette fosse improvisée. La tête de chaque animal repose sur le poitrail du précédent, les membres relâchés vers le centre de l'excavation. La régularité d'une telle disposition dénote toute l'attention, voire le respect, porté à ces chevaux. Tous ont été inhumés en un laps de temps très court. Certains chevaux ont encore leurs sabots ferrés, d'autres ont été achevés ou abattus au sol par un coup porté derrière l'oreille. Les seuls artefacts recueillis dans les tranchées, sont les fers des chevaux et une boucle de harnais.

Guerres napoléoniennes ou conflits mondiaux ?

À quel événement tragique pourrait appartenir ce charnier ? 
Sur le plan historique, les archéologues pensent d'emblée aux champs de bataille des guerres napoléoniennes. La bataille de Bar-sur-Aube se déroula le 27 février 1814 et confronta les forces françaises à l'armée de Bohème (coalition autrichienne, russe et bavaroise), sur un terrain situé à seulement 1 km à l'ouest de la fouille, à Ailleville. L'essentiel des forces en présence se composait de bataillons d'artillerie à cheval et la division de cavalerie de Kellermann y perdit pas moins de 400 montures dans un seul assaut contre les défenses russes. À cette hypothèse s'oppose pourtant le plan en zig-zag de la tranchée qui ne correspond pas à une guerre de mouvement du début du XIXe siècle.
Une deuxième hypothèse repose sur la présence à Bar-sur-Aube du quartier général de futur maréchal Joffre en 1914. La ville aurait pu alors être sécurisée par des lignes de fortification dont éventuellement ces tranchées militaires établies à quelques centaines de mètres en avant d'une des principales portes de la ville (la porte Notre-Dame). Des chevaux blessés, redescendus du front situé à quelques dizaines de kilomètres au nord, auraient ainsi pu être soignés dans un hôpital vétérinaire spécialement affecté à ces malheureux compagnons d'armes (Croix Bleue).
Mais une recherche documentaire approfondie, l'étude des ossements et l'analyse des conditions d'enfouissement des carcasses privilégient une troisième hypothèse, celle de tranchées de défense civile mises en place au cours de la seconde Guerre Mondiale. La présence d'un site de réquisition de chevaux par les troupes d'occupation et celle d'un hôpital vétérinaire allemand (Pferdelazareth) à Bar-sur-Aube en 1940-41 sont par ailleurs avérées. Les traumatismes subits par les chevaux ne correspondent ni aux séquelles d'un bombardement ni à celles d'une extermination volontaire, mais vraisemblablement à celles d'un incendie. Aucun habitant témoin de cette période n'a gardé en mémoire l'incident, mais, dans les derniers jours de l'occupation allemande, la population civile de Bar-sur-Aube a dû faire face à bien d'autres vicissitudes.

La voie Agrippa 

La fouille a établi que la voie reposaient sur un solide radier mis en oeuvre dès la période augustéenne, peu après la Conquête. Si la largeur de la zone de roulement n'excédait pas quelques mètres, l'emprise de cet axe de communication stratégique atteignait une trentaine de mètres, large emprise foncière sur laquelle aucun obstacle, aucune installation ne devait constituer un risque pour la circulation des attelages et des montures. L'usage de la voie durant tout le Moyen Âge est confirmé par la présence de nombreux fers à chevaux arrachés et abandonnés dans de profondes ornières. Au cours de cette période, une importante fréquentation et un mauvais entretien de la chaussée ont entrainé la détérioration et l'arasement du radier antique. L'étude des fers et tessons de céramique retrouvés dans les sillons creusés par les roues des derniers attelages confirme une utilisation pérenne de ce tracé.
La fouille des Varennes aura ainsi permis de dissiper une controverse archéologique sur le tracé de la voie de l'Océan dans l'Aube et d'écrire une nouvelle page de l'histoire moderne de Bar-sur-Aube. Elle témoigne, par ailleurs,  des difficultés d'interprétation, par l'archéologie seule, de certains vestiges et des évènements qui leurs sont liés. Des fers perdus sur la voie médiévale à ceux laissés aux sabots des chevaux « morts pour la France », le site des Varennes à Bar-sur-Aube illustre une nouvelle fois cette relation particulière qui lie l'homme au cheval depuis sa domestication.
Aménagement : Mon Logis
Contrôle scientifique : Service régional de l'Archéologie (Drac Champagne)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Gilles Deborde, Inrap
Contact(s) :

Mahaut Tyrrell
chargée de communication médias
Inrap, service partenariats et relations avec les médias
01 40 08 80 24
mahaut.tyrrell [at] inrap.fr

Estelle Bénistant
chargée du développement culturel et de la communication
Inrap, direction interrégionale Grand Est nord
03 87 16 41 54 - estelle.benistant [at] inrap.fr