A Le Bonhomme, Haut-Rhin, le diagnostic de 14 300 m2 décidé par le service régional de l'Archéologie d'Alsace a été mené sur un terrain situé en fond de vallée, en bordure de la RN 415 qui mène au col du Bonhomme (alt. 950 m) et en Lorraine.

Dernière modification
10 mai 2016

26 sondages d'une longueur moyenne de 10 m ont été réalisés. Environ 625 m2 ont été dégagés, soit près de 5 % de la surface totale. Mais le nombre et les dimensions de ces fenêtres doivent être relativisés car la majorité d'entre elles a été réalisée dans la pente, sous une faible couche d'humus, dans les moraines d'origine glaciaire affleurantes et stériles. Des blocs de granites cyclopéens affleuraient nettement surtout en bordure de la terrasse que constitue cet ensemble. Il n'était pas utile de multiplier ici les ouvertures pour atteindre les 8 à 10 % recommandés en plaine par exemple.

L'objectif principal de cette opération était de vérifier l'existence présumée de bâtiments de traitements métallurgiques des minerais argentifères provenant de Sainte-Marie-aux-Mines. Ce site avait en effet déjà été localisé lors d'une prospection thématique, réalisée de 1993 à 1996 par P. Fluck, sur les installations de surface liées aux mines et à la métallurgie des Vosges centrales. Sur plus de 55 fonderies répertoriées, quatre sont localisées en amont du village, le long de la Béchine, dont deux sur le lieu-dit Le Cerisier. La présence abondante de scories résiduelles aux typologies caractéristiques d'une métallurgie des métaux non ferreux laisse entrevoir en ce lieu la présence d'une activité proto-industrielle principalement active dans la seconde moitié du XVIe s. Malgré une prospection géophysique réalisée en 1996 par N. Florsch/Université Pierre et Marie Curie (Paris), l'organisation des différentes installations sur le site qui nous concerne reste à déterminer et les origines de plusieurs anomalies importantes restent à comprendre.

Contexte historique

Le village du Bonhomme apparaît une première fois dans les textes en 1317 comme étant la propriété de la famille de Ribeaupierre dont le fief est à Ribeauvillé. Au milieu du XVIe s., les mines d'argent de Sainte-Marie-aux-Mines, en grande partie propriété de la même famille, connaissent leurs heures de gloire et assurent une importante source de revenus. La production s'envole jusqu'à 1,9 tonne d'argent par an. Les minerais argentifères (plomb et cuivre notamment) sont traités dans un premier temps à proximité des gisements (concassage, lavage, triage) puis dans des fonderies privées ou dont la seigneurie est propriétaire. Le village du Bonhomme, pourtant en bordure de la zone minière, semble tenir une place importante si l'on en croit les sommes considérables investies par la seigneurie, par exemple dans la construction d'un bâtiment lié aux mines en 1557 ou par le choix du site pour y implanter des fonderies. Les localisations de ces dernières dépendront plus de la présence de forêt et du combustible qu'elles génèrent (charbon de bois) que des coûts de transports de la matière à fondre. Il est également essentiel de pouvoir utiliser la force hydraulique des cours d'eau pour en actionner les soufflets. Ainsi, en 1550, les seigneurs de Ribeaupierre pensent au site du Bonhomme pour y installer une importante fonderie mettant en oeuvre une technique métallurgique particulière dite de liquation, ou Saigern. Cette nouvelle méthode, inventée près d'un siècle auparavant dans la région de Nuremberg, permet, en trois opérations métallurgiques (fusion plombeuse, liquation, ressuage), de tirer l'argent du minerai de cuivre à l'aide de plomb ajouté. En 1551, une fonderie utilisant cette méthode, ou Saigerhütte, est construite à Oberried, en Forêt Noire, par l'archiduc d'Autriche qui possède des parts dans les mines de Sainte-Marie-aux-Mines. Selon certains auteurs, le seigneur de Ribeaupierre fait construire la même année « cinq nouveaux fours », répartis sur une ligne allant de la dernière scierie, au-dessus du village, jusqu'au lieu-dit Ermelspacherhoff ; mais on ne sait pas s'il s'agit déjà d'une Saigerhütte. Dès 1557, un cahier des dépenses et des recettes des mines du Bonhomme (archives départementales du Haut-Rhin, E 1492) révèle un revenu annuel de 2 350 florins à Eguenolphe de Ribeaupierre. En 1558, des experts tyroliens décident enfin de construire la « fonderie autrichienne », c'est-à-dire la fonderie archiducale, au Bonhomme en remplacement de celle construite en Forêt Noire en 1551 qui entraîne peut-être trop de frais de transport et nomment le premier directeur. Il s'agit de la première preuve tangible de l'existence d'une Saigerhütte au Bonhomme. En 1558, un règlement est édicté pour la fonderie du Bonhomme et constitue un document d'une exceptionnelle valeur informative tant sur certains détails techniques que sur un plan juridique et social. La première fonte de cuivre noir y est réalisée en 1559. En 1571, après le quasi-épuisement des forêts au-dessus du Bonhomme, des fonderies nouvelles sont installées dans d'autres bassins versants notamment du côté lorrain. En 1578, la proposition de fondre les minerais en un autre lieu est faite.

En 1579, le poste de directeur de la fonderie du Bonhomme n'est plus pourvu. Est-ce la fin des fonderies du Bonhomme, ou seulement de la fonderie archiducale ? Les quatre (selon nos prospections) ou cinq fonderies (selon les archives) ont-elles fonctionné en même temps ou l'une après la désaffection de l'autre ? Le site qui nous concerne est-il l'un d'eux ? S'agit-il d'une Saigerhütte ? Au XIXe s. et durant toute l'occupation allemande, le village est appelé Diebolshausen. L'actuelle RN 415, tracée entre 1839 et 1842, eut un intérêt stratégique dès les premières heures de la Première Guerre mondiale puisque la localité fut prise par l'armée française à la mi-août 1914. Au début du mois de septembre 1914, les troupes allemandes reprenaient les lieux et le front se fixa pour les quatre années de guerre sur les hauteurs environnantes. Servant de base arrière pour le champ de bataille de la Tête des Faux, éminence dominante au sud, le village était relié à ce sommet par un important réseau de tranchées et de positions fortifiées construites à sa limite à l'ouest. À la fin du conflit, la quasi-totalité des habitations, dont beaucoup avaient été réquisitionnées pour le cantonnement des troupes et le stockage du ravitaillement, était détruite.

Le Cerisier
La-Croix-aux-Mines vers 1530 : exemple de bâtiment présentant un fourneau de fonte, à gauche, et le fourneau de coupellation, à droite. Ils sont alimentés soit en charbon de bois soit en rondins. Une roue hydraulique actionne les soufflets par l'arrière. Les scories de coulées sont visibles à la base des fours, dans l'avant-creuset. Concassées, elles étaient réintroduites dans les processus de fonte successifs. Exemple iconographique tiré des dessins d'H. Gross/archives de l'École des Beaux-Arts, Paris.

L'essentiel des données archéologiques récoltées durant cette opération de diagnostic concerne la présence d'une installation de traitement de minerai principalement active au XVIe s. Au regard des matériaux archéométallurgiques récoltés, il s'agit très probablement d'une installation liée à la métallurgie de l'argent, du cuivre et du plomb. Ces métaux provenaient des gisements de Sainte-Marie-aux-Mines et de ses environs.

Plusieurs études historiques et archéologiques documentent largement cette industrie fabuleuse. Parmi les 26 sondages effectués, quatre seulement sont positifs et permettent de délimiter une zone dans l'angle nord du terrain concerné par l'aménagement du futur lotissement, dans laquelle les niveaux archéologiques sont conservés. L'un des sondages montre clairement la présence d'une importante série de couches de scories résiduelles de l'activité métallurgique, épaisse de plus d'1,50 m. Elle se divise en une série de couches de scories de différentes granulométries visibles dans un surcreusement, probablement d'origine anthropique, dont le fond n'a pas été atteint pour des raisons de sécurité. Cependant, il laisse apparaître deux grosses pièces de bois peu travaillées qui semblent relativement récentes. Aucun élément datant n'a été mis au jour et il faut envisager de possibles traces de guerre qui relativiseraient alors toutes les couches qui les recouvrent.
La couche de scories la plus épaisse, située sous la terre végétale, présente d'innombrables scories aux dimensions et aux caractéristiques particulièrement variées. À sa base, à l'ouest du sondage, au contact du terrain naturel, certaines scories sont très oxydées et forment une couche assez uniforme. Elle résulte probablement du passage de l'eau à travers les résidus métalliques.

Dans un sondage, plusieurs coupes présentent une stratification complexe qui laisse apparaître deux zones distinctes, séparées par une sorte de rigole comblée de sables et de graviers fins. À l'ouest de ce fossé, on peut observer une série de couches de scories aux caractéristiques variées qui recouvrent, pour la plupart, un niveau de circulation très visible. Sous les 15 cm de terre végétale apparaît une épaisse couche de scories résiduelles grossières, reposant sur une autre couche de scories beaucoup plus fines constituée de microscories, soit entières en forme de microscopiques gouttes solidifiées (de 10 à 20 % env.), soit concassées (de 50 à 60 % environ) dont le gabarit ne dépasse pas 10 mm. Il y a également des fragments de quartz de même taille mais en proportion inférieure (30 %). Ce niveau recouvre un niveau de circulation bien définissable du fait de son aspect damé et de sa couleur noire. La matrice est constituée d'un limon argilo-sableux comportant de nombreuses scories de tailles variées (de quelques millimètres à 5 cm), beaucoup de fragments et de poussières de charbon de bois. Cette couche quasi horizontale s'étend du fossé situé au-delà de la fin de la tranchée de sondage vers l'ouest. Il s'agit probablement du niveau d'occupation d'un atelier de traitement métallurgique dont les limites restent à définir. Aucune structure construite n'est visible même si, parmi le mobilier de la couche proche, des éléments de fourneaux ont été retrouvés. Ce niveau de sol repose sur une autre couche de microscories, constituée des mêmes matières, dans les mêmes proportions, mais plus grossières. En effet, le gabarit passe à 15 mm maximum. Cette couche semble avoir été mise en place afin de préparer et d'aplanir le niveau de sol qu'elle supporte. Elle est en contact avec le terrain naturel juste en dessous.

À l'est du fossé, la stratigraphie est paradoxalement très différente. Sous la terre végétale se trouve une épaisse couche de remblais constituée essentiellement de blocs de granites et de gravier grossier. Elle contient aussi de nombreuses scories, des fragments de parois de four en granite vitrifié et en briques à pâte rouge, également déformées par la chaleur. Certaines pierres présentent des formations plombifères en surface ayant l'aspect de croûtes de couleur jaune. On note la présence de quelques fragments de briques, de fragments informes de grès rose (forcément importés) et d'un seul fragment de verre plat avec de nombreuses petites bulles. Cette couche de remblais repose sur une série de couches sableuses et argileuses dont l'origine reste à déterminer. En effet, la présence de niveaux d'argile organique à leur base laisse penser qu'elles résulteraient d'activités anthropiques. S'agit-il de lavage ou d'accident climatique ? De par leur voisinage, elles doivent être associées à une étape au moins de la vie de l'atelier métallurgique. Parmi tous ces niveaux, aucun élément datant n'a été retrouvé, ni céramique culinaire ou de poêle, ni ossements faunique ou humain ni restes alimentaires. Cette pauvreté en matériel est caractéristique des bâtiments de traitement. On retrouve généralement plus de traces de la vie quotidienne dans les habitations ou dans les bâtiments annexes (maison de poêle, petite cabane fréquemment rencontrée à proximité de l'entrée des mines) que dans les ateliers de métallurgie, lieu de travail où les scories dominent. Un atelier de métallurgie est donc localisé dans l'emprise et semble s'étendre sur une surface estimée à 1 500 m2, dans l'angle nord-est de la zone diagnostiquée. Le terme d'atelier est volontairement laissé non défini car il est encore délicat de déterminer clairement la présence d'un bâtiment de fonderie, au sens technique, avec ses fours en place. En ce qui concerne l'organisation d'ensemble du site, mis à part le niveau d'occupation visible dans un sondage et les niveaux d'épandage de scories, aucune autre infrastructure n'a été identifiée pour le moment. Pourtant, il y avait forcément une arrivée d'eau pour alimenter la fonderie et mouvoir les soufflets par le biais d'une roue hydraulique arrosée par les eaux d'un canal. Était-ce la Béchine détournée en amont ou plutôt les eaux issues du petit talweg au pied de la Tête des Faux ? Les aires de grillage de minerais, de charbonnage, ou d'autres structures annexes (stockage de combustibles ou de matières premières, etc.) n'ont pas été reconnues. Mais l'utilité de la prospection et de l'inventaire des sites de surface liés aux mines et à la métallurgie dans le massif vosgien est, une nouvelle fois, démontrée.

La très grande majorité de ces sites n'a été qu'inventoriée ; quelques-uns ont été sondés. Aucune fouille n'a été menée de manière exhaustive. Seul le site voisin de la fonderie, sur la même commune, a fait l'objet de recherches plus étendues menées par P. Fluck, seule référence pour considérer à sa juste valeur le site du Cerisier, aujourd'hui menacé par l'aménagement d'un lotissement.
Les problématiques dégagées sont donc nombreuses. Il y a aussi urgence car le site semble déjà lourdement affecté par l'urbanisme de la vallée. La zone dans laquelle les niveaux archéologiques ont été conservés et reconnus par ce diagnostic reste en périphérie du centre de l'implantation proto-industrielle qui devrait se situer sous les bâtiments voisins existants et récemment construits. Le choix du tracé de la route qui mène au col du Bonhomme a lui aussi des conséquences non négligeables sur la conservation du site. La Grande Guerre a laissé des traces qui seront visibles encore longtemps. Le site est, dès les premières prospections, considéré comme étant largement marqué par les aménagements voisins. La RN 415, tracée vers 1840 et élargie en 1989, et la dernière maison du village, semblent effectivement avoir gravement entamé l'accumulation de scories résiduelles, peut-être même les bâtiments de traitement dont elles sont issues. Une rapide prospection pédestre menée sur les parcelles voisines, du côté est, en aval, révèle en effet de nombreuses scories dans les remblais de terrassement des maisons construites en 2001. L'impact du projet d'aménagement sur le potentiel archéologique semble majeur. L'implantation du lotissement projeté effacera définitivement toute trace du site. Plusieurs sondages présentent des restes important de la Grande Guerre. Plusieurs tranchées ainsi que deux casemates en béton armé sont comblées de toutes sortes de matériaux dont de gros blocs de granite et de nombreuses scories mêlées à des fils barbelés. Ces nombreux restes perturbent toute la zone. Cependant, ils n'ont pas détruit la totalité des niveaux archéologiques et semblent n'avoir que ponctuellement traversé ou recouvert des structures anciennes. Il est malgré tout encore difficile de prouver que tout ou partie des accumulations de scories du xvie s. a été repris ou remanié pour combler les ouvrages de guerre au début du XXe s.

Le site présente également un fort intérêt paléoenvironnemental aussi bien au niveau local (haut du bassin-versant de la Béchine) qu'à l'échelle régionale où les découvertes de ce genre sont rares. L'étude de formations tourbeuses, pressenties d'âge subatlantique, découvertes au sein de formations fluvioglaciaires remaniées, et de niveaux organiques enfouis sous les structures archéologiques doit nous éclairer sur l'état du boisement local précédant l'occupation du XVIe s. et nous aider à mieux comprendre les raisons de l'implantation des ateliers de traitement du minerai dans une vallée autre que celle de la zone d'extraction. L'étude sédimentaire des formations sablo-graveleuses permettrait de mieux comprendre la part anthropique dans l'organisation du site ainsi que l'origine et le mode de mise en place des dépôts. Ce travail sédimentaire et archéobotanique (palynologie, macrorestes) doit se faire dans un cadre chronologique qu'il serait aisé de définir par des datations de matières organiques sur tourbe et argiles organiques (14C).