Du 3 octobre 2020 au 7 mars 2021, au musée des Beaux-Arts de Chartres, l'exposition « Ô Moyen Âge ! Les Mérovingiens en pays chartrain », présente un aperçu de Chartres et de son agglomération au Moyen Âge, en particulier à l’époque mérovingienne (Ve au VIIIe siècle). Le site de la Mare des Saules (Allonnes) fouillé par l'Inrap  a livré une abondante information et d'exceptionnels accessoires à décor damasquiné.

Dernière modification
05 avril 2022

La Ville de Chartres et la direction de l'archéologie se sont associées avec l'Inrap pour proposer au musée des Beaux-Arts un nouvel aperçu de Chartres et de son agglomération au cours du haut Moyen Âge (Ve-XIe siècle), grâce au développement de l'archéologie préventive. Une part importante de l'exposition est consacrée à l'époque mérovingienne, du Ve au VIIIe siècle.  Souvent qualifiée de « temps barbares », cette période voit pourtant le couronnement de Clovis, le premier roi de tous les Francs, et l'avènement d'un système politique original, aux origines de la « France actuelle », grâce à l'association des influences antique, germanique et chrétienne.

Chartres aux temps mérovingiens

À la fin du Ve siècle, la Gaule est encore romaine et en grande partie christianisée. Les Germains, constitués de Francs, de Wisigoths et de Burgondes ont largement contribué aux victoires romaines et sont devenus plus puissants que les Romains. En 486, lors de la bataille de Soissons, Clovis bat l'armée du général romain Syagrius et parvient à dominer le nord de la Gaule. À cette époque, Chartres est une cité de province nommée la Lyonnaise Quatrième qui a déjà pris quelques distances avec le pouvoir central de Rome. Autricum laisse place à Carnotensis urbs (la cité des Carnutes, nom celtique) qui donnera plus tard « Chartres ». À la mort de Clovis, en 511, la ville intègre le royaume de Neustrie, créé lors du partage des terres.

Le royaume mérovingien en 584

Le royaume mérovingien en 584

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Vincent Acheré, Chartres métropole

Alors que la capitale de la cité gallo-romaine des Carnutes-Autricum, avec ses rues, son théâtre, son forum, son grand sanctuaire et ses domus, est assez bien connue, tout comme la ville du Moyen Âge classique (XIe-XIIIe siècles), celle du haut Moyen Âge est plus obscure. Comme partout en France, l’espace urbanisé se rétracte fortement à la fin de la période gallo-romaine. Il faut attendre le VIe siècle pour attester la présence d’évêques à Chartres qui n’est alors qu’un ensemble de bourgs entourant des lieux de culte dont le plus important est localisé à l’emplacement de l’actuelle cathédrale. Dans le cadre architectural hérité de la romanité, de nouvelles constructions mérovingiennes s’implantent, comme des édifices religieux ou de prestige installés dans les ruines gallo-romaines et utilisant des matériaux récupérés. L’église Saint-Martin-au-Val, qui succède à un grand sanctuaire antique, illustre notamment ce réemploi dans le domaine de la pierre.

Sondage au milieu de la nef de l’église de Saint-Martin-au-Val, sarcophages mérovingiens en cours de fouille.

Sondage au milieu de la nef de l’église de Saint-Martin-au-Val, sarcophages mérovingiens en cours de fouille.



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Thomas Lacombe, droniste

 

Les fours à chaux du boulevard Chasles

La fabrication de la chaux utilisée pour la confection de mortier dans la construction est illustrée par une fouille de l'Inrap réalisée boulevard Chasles. Huit fours à chaux construits sur un même mode et en usage entre le début du VIIIe et le IXe siècles ont été mis au jour. Ces fours à tirage vertical sont constitués d’une chambre de cuisson à base enterrée et à sole (partie réfractaire horizontale sur laquelle on place les pièces à réchauffer) semi suspendue. 

Vue d'une chambre de cuisson constituée d'un assemblage de blocs et de traverses qui occultent partiellement le canal de chauffe de façon à laisser passer la chaleur tout en supportant la charge à calciner. Les pierres sont issues d'un édifice antique monumental démantelé.
Vue d'une chambre de cuisson constituée d'un assemblage de blocs et de traverses qui occultent partiellement le canal de chauffe de façon à laisser passer la chaleur tout en supportant la charge à calciner. Les pierres sont issues d'un édifice antique monumental démantelé.
© Inrap/Coeur de ville 2003-2004

L’ensemble du calcaire calciné, constitué de moellons, est issu du démantèlement d’édifices antiques. Le nombre de fours implique de grands volumes de production. Leurs aires de travail débouchent systématiquement dans l’un ou l’autre de deux grands fossés d’enceinte, le premier ayant été assurément creusé entre la fin de l’Antiquité et la période mérovingienne. Ainsi, la chaux produite aurait pu servir dans l’édification ou la réfection d’une clôture de la ville. Ce mur semble attesté aux IXe - Xe siècle par les sources littéraires, tandis que l’enceinte du XIIe siècle en reprend localement le tracé.

La « Mare des saules » à Allonnes

Au sud du bourg d'Allonnes, une fouille en lien avec le contournement routier a permis de révéler divers aspects de la vie quotidiennes du VIe au XIe siècle. Ce secteur en périphérie est très dynamique au cours du haut Moyen Âge. D'une simple zone cultivée à l'époque antique, il devient dès le Ve siècle, un vaste lieu d'inhumation de plus de 2,5 ha. Les archéologues de l'Inrap ont étudié la limite sud de cet espace. Les morts sont regroupés en différents ensembles enclos, organisés en rangées séparées par des allées. En périphérie immédiate, des habitations sont implantées.


Dans le courant du VIIIe siècle, le site funéraire est désaffecté. Dès le début du IXe siècle, il devient disponible pour des activités profanes : implantation d'un habitat, extraction de calcaire, etc.  Aux destructions de sépulture succède le respect des lieux, avec la construction d'un édifice religieux doté d'une crypte dans le courant des IXe-Xe siècles. La crypte étant un espace dévolu au culte des reliques, cette première église d'Allonnes mentionnée en 949 permettait-elle d'honorer un saint local ?

Damasquinures

Le site de la « Mare des saules » a délivré un riche mobilier dont d'exceptionnelles plaques-boucles damasquinées. Le damasquinage (de damaschino, mot italien dérivé de Damas) est une technique de décoration, qui consiste à enchâsser dans des entailles préalablement pratiquées sur une surface métallique, généralement en fer ou en acier, et plus anciennement en bronze, un fil de cuivre, d'or ou d'argent, afin de créer différents motifs décoratifs et ornementaux. La damasquinure s'appuie sur deux procédés, le placage (feuilles de métal) et l'incrustation (fils), généralement combinés.

 ici d'argent dans des sillons creusés sur l'objet de fer). Du tissu est conservé par minéralisation grâce à la rouille (partie non dégagées à la restauration). Le scramasaxe (4) présente des restes de fourreau (cuir) minéralisés sur la lame et du bois minéralisé à l’emplacement du manche.

Mobilier après restauration : les éléments de ceintures (1 à 3) sont damasquinés (La damasquinure est une technique de décor par incrustation de fils métalliques : ici d'argent dans des sillons creusés sur l'objet de fer). Du tissu est conservé par minéralisation grâce à la rouille (partie non dégagées à la restauration). Le scramasaxe (4) présente des restes de fourreau (cuir) minéralisés sur la lame et du bois minéralisé à l’emplacement du manche. 

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Frédéric Périllaud (Inrap).

L'ouvrier damasquineur donnait à l'objet de fer une forme qui était parachevée à la meule et à la main, qu'il restait à plaquer ou à incruster.  L'art oriental de la damasquinure a été pratiqué dans la Gaule mérovingienne par des artisans héritiers des barbaricarii d'origine syrienne, désignés ensuite par le terme d'argentarii. Cet art, qui s'est appliqué essentiellement aux garnitures de ceinture (plaques-boucles, contreplaques, plaques dorsales, appliques), s'est épanoui à l'extrême à l'époque mérovingienne (cf. Edouard Salin, « Les techniques de la damasquinure en Gaule mérovingienne », Gallia,1951).

Éléments de ceintures (plaque-boucle et contreplaque) damasquinés avec du tissu minéralisé.

Éléments de ceintures (plaque-boucle et contreplaque) damasquinés avec du tissu minéralisé. 

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Frédéric Périllaud (Inrap)