Implanté sur la rive droite du Rhône, le site de la Verrerie, acquis par la ville d’Arles en 1978, a connu plusieurs fouilles révélant de riches maisons urbaines (ou domus), abandonnées à la suite d’un incendie, vers 260 de notre ère. La reprise des fouilles par le Musée départemental Arles antique et l’Inrap, entre 2014 et 2017, a permis de dégager des niveaux jamais atteints dans ce quartier et de mettre au jour la maison de la Harpiste dont les luxueuses fresques font l’objet d’un vaste programme de remontage, d’étude et de restauration.

Dernière modification
30 juin 2023

La maison de la Harpiste, une riche demeure romaine

Cette demeure romaine, baptisée « la maison de la Harpiste » en référence à l’un des personnages peints sur ses murs et fouillée sur 105 m², se distingue par sa datation très précoce, son caractère luxueux et l’état de conservations exceptionnel de ses enduits peints.
Elle est bâtie dans les années 70-50 avant notre ère, avant même la création de la colonie d’Arles, par des artisans venus d’Italie qui vont ériger la maison selon des techniques de construction romaines (murs maçonnés, tuiles, sols en briquettes placées en épis – opus spicatum qui seront généralisés en Gaule bien plus tard, dans les années 30 avant notre ère). Cette datation précoce témoigne qu’Arles était un point de diffusion important des nouvelles modes et techniques à travers les provinces nouvellement acquises à Rome.

De plan traditionnel pour une domus de la fin de la République, son atrium comprend une galerie entourant un bassin recueillant les eaux pluviales (impluvium) et dessert une série de pièces dont deux ont été intégralement fouillées. Le décor de la première pièce suggère une salle à manger ou une chambre. La seconde pièce, largement ouverte sur l’atrium et aux somptueux décors peints, ne peut être qu’une salle de réception.
La maison est détruite entre 50 et 40 avant notre ère et est remblayée par ses propres décombres.

Remonter les fresques : un puzzle en 800 caisses de fragments

Dans un état de conservation remarquable, les peintures se présentaient à la fois en place sur les murs et en milliers de fragments effondrés dans les niveaux de comblement. Ils remplissent 800 caisses. Dans le cadre d’un partenariat établi dès 2014 avec l’Inrap, l’étude de ce mobilier archéologique a été confiée à  Julien Boislève, un toichographologue (spécialiste des peintures murales et des stucs) de l’Inrap, en collaboration avec les archéologues et restaurateurs du Musée. Depuis avril 2021 et pendant trois ans, ces spécialistes se consacrent à l’étude puis à la restauration des peintures exceptionnelles de la maison de la Harpiste.

La recomposition du premier décor est menée, depuis avril 2021, au cœur du musée, dans la salle d’exposition temporaire où les fragments de fresques s’étalent sur plus de 220 m². Parallèlement, l’atelier de conservation et de restauration assure le traitement préalable des parois peintes prélevées sur le site afin de les rendre à nouveau accessibles pour l’étude. Des recherches sont également engagées sur le rouge vermillon afin de prévenir son noircissement irrémédiable. Prochainement, l’étude se poursuivra en Camargue au sein du château d’Avignon (commune des Saintes-Maries-de-la-Mer).


D’exceptionnels décors peints

À ce stade de l’étude, au moins six décors ont été reconnus, témoins du luxe ostentatoire développé par le propriétaire. Ces peintures se rattachent au deuxième style pompéien. Seuls les plus riches commanditaires, pétris de culture romaine, disposaient des moyens nécessaires pour faire intervenir des ateliers italiens. Les décors de deuxième style restent rares en France et aucun autre site n’avait jusqu’alors livré un ensemble aussi conséquent, diversifié et d’une telle qualité.

La première pièce, étudiée cette année, présente un décor d’inspiration architecturale qui divise la salle en deux espaces distincts (antichambre et alcôve). Typique de ce deuxième style pompéien, l’ornementation imite une architecture de grand appareil. Elle ménage une antichambre à dominante jaune et une alcôve nettement mise en valeur par une ornementation plus élaborée et aux couleurs beaucoup plus chatoyantes.
Dans l’antichambre, la partie inférieure du mur imite un podium en marbre gris qui supporte de lourdes colonnes jaunes tandis que des rangs de blocs colorés occupent la partie supérieure. Dans l’alcôve, le décor est de même inspiration mais développé avec une polychromie plus luxueuse. Le podium aux couleurs vives est rehaussé de rosaces tracées en rouge bordeaux. De riches panneaux d’imitation de placages de marbre occupent la zone médiane, surmontée de rangs de blocs tout aussi chatoyants et une délicate frise d’Amours chasseurs s’y insère. Ce type de décor correspond au seul modèle de deuxième style jusqu’alors trouvé en Gaule : une quinzaine de sites en possède des exemples moins complets (Saint-Rémy-de-Provence, Nîmes, Narbonne…).

Les peintures de la pièce d’apparat seront étudiées en 2022. Elles comportent un autre type de décor encore inconnu en Gaule : une galerie de grand personnages, dont la harpiste, positionnés sur des piédestaux et se dégageant sur un fond rouge vermillon. La musicienne est accompagnée d’autres personnages appartenant sans doute au cortège bachique. Ce type de figuration de grande taille est appelé « mégalographie ». De rares exemples représentant des personnages sur fond rouge vermillon sont connus en Italie, notamment dans la villa des Mystères à Pompéi. En France, ce type de décor dans un tel état de conservation représente une réelle nouveauté.

Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac PACA)
Recherche archéologique : Musée départemental Arles antique (MDAA), Inrap
Responsable de l’opération archéologique : Marie-Pierre Rothé, MDAA
Responsable de l’étude des peintures : Julien Boislève, Inrap
Référent de la restauration des peintures : Aurélie Martin et Marion Rapilliard (MDAA)
Équipe d’archéologues : Julien Boislève (Inrap), Alain Genot (MDAA), Marie-Pierre Rothé (MDAA)
Équipe de restaurateurs : Ali Aliaoui, Patrick Blanc, Marie-Laure Courboulès, Patricia Jouquet, Aurélie Martin, Michel Marque, Hafed Rafai, Marion Rapilliard, Claude Sanchez.