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20 ans de recherche sur l'âge du Bronze
Les vingt dernières années ont permis de lever le voile sur l’âge du Bronze, une longue période chronologique, couvrant la période comprise entre 2300 et 800 avant J.-C. Cette séquence de notre histoire était encore à la fin du XXe siècle dans l’ombre du Néolithique et de l’âge du Fer, phases prétendument à l’initiative d’un grand nombre d’innovations. C’est l’archéologie préventive qui a modifié ces poncifs, en offrant de nouvelles données et en permettant l’émergence de thématiques de recherche novatrices.
Une croissance exponentielle
Période charnière dans l’évolution des sociétés agropastorales en Europe occidentale, l’âge du Bronze n’a longtemps été considéré en France qu’à travers l’examen de spectaculaires dépôts d’objets métalliques (issus de découvertes anciennes et en partie sans contexte) ou de sites singuliers (comme les habitats en grottes ou les sites lacustres). Et pour cause, les vestiges de cette période sont, pour la plupart, ténus, peu structurés et difficiles à détecter. Là où étaient privilégiées les analyses typochronologiques du mobilier (le métal, en particulier) ou l’étude des monuments mégalithiques, se sont progressivement mises en place des approches spatiales permettant d’analyser le territoire et les terroirs, l’habitat et l’occupation du sol, les pratiques funéraires, l’économie agropastorale, l’artisanat et la production domestique.
Rien de spectaculaire, et pourtant, la fréquence des découvertes, la qualité et la quantité de mobilier de l’âge du Bronze a connu une croissance exponentielle en 20 ans. Les travaux et les pratiques de l’archéologie préventive corrélés à l’aménagement du territoire et aux prescriptions des services régionaux de l’archéologie (SRA), avec des fouilles extensives et des diagnostics sur de grands linéaires, ont largement participé à ce phénomène, renouvelant ainsi en profondeur la perception des modes vie, de production et les gestes funéraires de cette période.
Ces vingt dernières années ont également vu de nouvelles approches méthodologiques se développer – ADN et isotopes, modélisation bayésienne, métallographie, morphométrie, tomodensitométrie, restitution 3D... –, qui sans être propres à l’âge du Bronze, ont permis d’enrichir très largement la documentation et les problématiques comme la question des mobilités, des paysages, des technologies.
Bracelets en bronze provenant de la nécropole de Migennes (Yonne) datée du Bronze final, mise au jour en 2004.
© Loïc de Cargouët, Inrap
Dalle de Saint-Bélec (Finistère)
© Denis Gliksman, Inrap
Dépot de Haches à douille de St Lô (Manche).
© Hervé Paitier, Inrap
Typochronologie et chronométrie
En matière de typochronologie et de chronométrie, les travaux ont été nombreux et sont à mettre au crédit des quantités de mobilier découvertes sur les sites d’habitat ou dans les tombes. La robustesse des analyses typologiques actuelles associée au nombre très important de datations isotopiques ou dendrologiques (modélisées grâce aux approches bayésiennes entre autres) permettent désormais d’approcher une chronométrie plus fine et ouvre sur des comparaisons culturelles à large échelle géographique. La France participe dorénavant plus dynamiquement à la lecture européenne des évènements historiques qui ont impacté les sociétés de cette Europe désormais très largement interconnectée de la Méditerranée au nord.
L’habitat et le paysage
L’accumulation de données relatives à l’habitat et à l’occupation des sols a conduit, sous l’égide de l’Inrap, à la constitution d’un collectif de recherche en 2008 dont le but était de réaliser, autour de groupes régionaux, des bilans documentaires et des modèles d’occupation de l’espace mettant en relation société et environnement, pour une période où l’homme transforme et modèle son territoire par ses activités agropastorales et artisanales. Ce collectif et l’enquête nationale sur l’âge du Bronze et le premier âge du Fer font figure de première dans le domaine de la recherche archéologique en France.
Le premier bilan, publié en 2017, souligne la forte dynamique de peuplement et une densification des occupations, notamment à partir du XIVe siècle avant J.-C. Ces habitats, organisés autour de la production agricole et des activités artisanales, constituent
un maillage important de sites sur lequel se reposent des réseaux complexes d’échanges économiques sur de moyennes et longues distances. Le modèle d’occupation de la ferme familiale isolée, présent tout au long de l’âge du Bronze constitue l’élément de base sur lequel se construiront des formes d’habitat plus complexes.
Les sites de Malleville sur le Bec, Caudan, Ancenis, Buchères et Sartène, qui constituent de véritables villages réunissant plusieurs familles sur un même lieu de vie témoignent de la complexité sociale croissante où la mise en commun des biens et l’action collective assurent une stabilité géographique et économique d’une communauté.
La découverte de rares ateliers de bronzier à Montélimar, Metz, Aubervilliers est remarquable pour l’âge du Bronze final, car très peu d’installations spécialisées de ce type ont été étudiées en France. La fouille de dépôts de l’âge du Bronze en contexte (Trégueux, Mont-Castel) a apporté un nouvel éclairage sur la production et la consommation des objets en bronze pendant cette période.
Cercle funéraire, Malleville-sur-le-Bec (Eure).
© E. Mare, Inrap
Habitation, Malleville-sur-le-Bec (Eure).
© E. Mare, Inrap
Céramiques, Malleville-sur-le-Bec (Eure)
© E. Mare, Inrap
L’âge du Bronze constitue une période décisive de la construction des paysages. L’impact des activités de production agricoles et pastorales marque de manière significative l’environnement, même dans des milieux jusqu’alors peu anthropisés comme en montagne.
Dans le même temps, l’établissement de réseaux viaires ou de parcellaires révèle des changements de pratiques (petite agriculture attelée) et a longtemps figuré comme une des innovations majeures de la fin de la Protohistoire. L’habitat, par ses formes, ses fonctions et les réseaux qu’il engendre, constitue un excellent indicateur des mutations qui s’opèrent durant l’âge du Bronze. Les travaux sur les matériaux de construction, comme la terre à bâtir, permettent de mieux appréhender ce type de vestiges fugaces et disparates, mais néanmoins à la base de nombreuses constructions et activités artisanales comme la métallurgie.
L’économie : agriculture et élevage
L’économie des habitats de l’âge du Bronze est aussi un thème de recherche qui a connu des avancées notables. Les données obtenues témoignent d’une certaine homogénéité des productions végétales, mais aussi d’une grande diversification des espèces exploitées à la fin de l’âge du Bronze.
L’étude des pratiques agricoles et régimes alimentaires combine des recherches dans des domaines variés, mais complémentaires (archéozoologie, carpologie, palynologie, et analyses isotopiques) qui permettent d’aborder ce thème d’un point de vue économique, social et culturel. Les informations sont nombreuses pour l’âge du Bronze et la production agricole est particulièrement riche et variée à partir du Bronze final. Elle s’appuie sur l’élevage de la triade domestique boeuf/mouton/porc, les animaux chassés ne dépassant pas 10 %, avec une prédominance de la consommation du porc sur les sites les plus importants. Sur les sites de haut rang, la chasse du gros gibier peut être considérée comme une activité réservée à l’élite. La production céréalière repose essentiellement sur l’orge et l’amidonnier, ainsi que l’épeautre et l’engrain avec, à la fin de l’âge du Bronze, l’introduction de nouvelles espèces importées de l’Asie centrale dont le millet. L’agriculture se diversifie avec le développement des légumineuses (lentille, la féverole, l’ers, le pois et la gesse) et des oléagineux qui demandent une mise en culture plus intensive que les productions céréalières. Il s’agit d’une nouvelle « révolution agricole » avec un patrimoine alimentaire largement enrichi.
L’artisanat spécialisé
Le nombre de découvertes indirectes liées aux activités artisanales s’est aussi multiplié. L’existence de nombreux ateliers a été révélée par du mobilier, malheureusement souvent discret et mal conservé, lié à la métallurgie de transformation comme des fragments de moules, de creusets ou de tuyères, ainsi que de rares déchets métalliques. Ces objets sont généralement trouvés en position de rejet. La rareté des structures de combustion dédiées à la fonte est toujours à noter même sur les trop rares sites ateliers étudiés en Lorraine ou en Auvergne.
L’augmentation exponentielle des fouilles concernant l’âge du Bronze en particulier dans le grand ouest a fait passer la connaissance du matériel céramique de cette période de quasiment nulle – par rapport aux milieux en grotte ou lacustres du sud par exemple – à très approfondie, qu’il s’agisse de l’évolution stylistique de ce mobilier ou de ses modes de fabrication (technologie examinée au prisme des analyses phylogénétiques, par exemple), basée sur quelques sites majeurs (Tatihou, Lannion, Malleville-sur-le-Bec…) et une grande quantité de sites importants (Blainville-sur-Orne, Giberville, Colombelles…).
Enclos de l’âge du Bronze ancien mis au jour à Giberville (Calvados), 2020.
© Emmanuel Ghesquière, Inrap
L’artisanat céramique est ainsi dorénavant mieux reconnu à l’échelle nationale tout comme les pratiques de tissage, autre activité artisanale qui connaît un développement important à l’âge du Bronze. Ces différents artisanats tendent vers une spécialisation de plus en plus forte à partir du Bronze final. Leur identification sur des sites aux statuts spécifiques, comme les sites fortifiés ou les villages, renvoi à des phénomènes de contrôle de l’artisanat par les élites qui font échos à ceux mieux connus de l’âge du Fer.
Des pratiques funéraires aux conflits interpersonnels
La connaissance du domaine funéraire a aussi profité de cette forte activité archéologique préventive. Le réseau d’habitats est renforcé par la présence de nécropoles monumentales communautaires ou d’ensembles funéraires plus modestes qui reflètent une volonté collective et une cohésion sociale évidente entre familles et communautés. Certaines régions ont livré de vastes ensembles – comme en Auvergne ou en Normandie pour le début de l’âge du Bronze –, d’autres des pratiques nouvelles (fosses à rejet de combustion, par exemple) comme dans les Hauts-de-France. La perception de la complexification sociale de ces sociétés hiérarchisées est révélée par une meilleure reconnaissance des gestes funéraires et des biens accompagnant les défunts (armement et biens de prestiges).
L’implantation des nécropoles dans le paysage et la lecture spatiale des données ouvrent aussi sur des perspectives de recherches nouvelles permettant d’approcher l’échelle des territoires, comme ce qui est proposé par exemple dans la vallée de l’Yonne, avec les grands ensembles funéraires mis au jour à Migennes, ou Choisey (entre 2000 et 1600 ans avant J.-C.). D’une grande variété architecturale et en bon état de conservation, les sépultures vont permettre d’affiner nos connaissances sur les cimetières de coffres du Bronze ancien armoricain (Plougonvelin).
Tombe en coffre de pierre mise au jour à Plougonvelin (Finistère).
© S. Blanchet, Inrap
La recherche sur le contexte funéraire de l’âge du Bronze s’enrichit de la découverte de nouvelles et importantes nécropoles qui révèlent une société hiérarchisée, où les défunts sont honorés dans des espaces funéraires structurés, dont les monuments marquent le paysage pendant des siècles, voire des millénaires. Il s’agit de lieux familiaux et communautaires qui tissent un lien entre le passé et le présent, les ancêtres et les descendants. Ces nécropoles sont pérennes, des lieux de mémoire collective ancrés de manière puissante et permanente dans les paysages anciens.
Les programmes d’analyses paléogénomiques et isotopiques, engagés depuis déjà plusieurs années en Europe, qui intègrent l’étude des restes humains produisent des données qui renouvellent la question des mobilités des populations anciennes jusqu’à lors principalement abordées au travers des études de répartition de témoins de la culture matérielle.
Les données funéraires, et plus particulièrement sur les inhumés, sont aussi mises à profit pour l’analyse de la mobilité et l’alimentation des hommes de l’âge du Bronze. La détermination du génome des populations anciennes et les hypothèses sur les origines géographiques des individus, la recherche des marqueurs liés aux pratiques alimentaires des communautés et leurs interprétations en termes de mobilité des groupes, constituent de nouveaux champs d’investigation dont s’emparent désormais les chercheurs français. Les premiers résultats sont particulièrement stimulants.
Les notions de stress sociaux ou de conflits interpersonnels sont aussi un domaine de recherche nouveau au niveau national même si les chercheurs européens discutent depuis longtemps de ces thématiques. Ces conflits sont visibles dans l’évolution de l’armement, qui semblent s’accélérer à partir du XIVe siècle ou dans les constructions fortifiées de plus en plus nombreuses à partir du Bronze final. Ces phénomènes de stress sont bien connus à l’échelle de l’Europe et sur un tempo similaire. Ils sont probablement à mettre au crédit de conflits territoriaux ou liés à l’approvisionnement en matières premières.
L’âge du Bronze français, tel qu’il est perçu à l’issue de ces vingt dernières années de recherche, trouve désormais sa place dans le récit historique national, mais aussi plus largement dans l’histoire d’une Europe en pleine ébullition économique, sociale et culturelle. C’est probablement à ce niveau que les avancées sont les plus notables. Il est désormais possible de trouver une place dans cette interconnexion paneuropéenne qui prend naissance à la fin du IIIe millénaire pour marquer le pas au début du VIIIe siècle avant J.-C. Beaucoup reste à faire et à découvrir, mais le cadre général semble désormais bien dessiné dans ces grandes lignes grâce aux nombreuses fouilles préventives, aux différents programmes de recherche et à l’organisation des chercheurs au sein d’une association (Association pour la promotion des recherches sur l’âge du Bronze) qui est, elle aussi, devenue en 20 ans, le lieu de discussion privilégié autour des études sur l’âge du Bronze.
De nombreux sujets restent aujourd’hui peu explorés. Par exemple, durant les IIe et Ier millénaires, les échangent s’intensifient avec des productions de plus en plus spécialisées et une plus grande mobilité des populations. Ces phénomènes sociaux s’accompagnent aussi d’échanges d’idées, de techniques et de croyances. Il est encore délicat de bien saisir toute la dimension de ces déplacements, il s’agit là probablement d’un des thèmes d’avenir qui permettra de revenir ensuite sur la lecture de la spécialisation artisanale durant l’âge du Bronze et d’approcher les idéologies qu’elle peut véhiculer.