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20 ans de recherche sur l'âge du Fer
Connue essentiellement par les textes anciens (notamment la Guerre des Gaules de César) et les grands sites qui lui sont associés (Alésia, Bibracte, Gergovie...), mais souvent déformée par l’historiographie du XIXe siècle et d’une grande partie du XXe siècle, la civilisation celtique et gauloise (âge du Fer) est probablement celle qui a le plus bénéficié, ces vingt dernières années, du développement de l’archéologie et plus spécifiquement
des fouilles préventives. Environ 25 % des quelque 200 fouilles réalisées chaque année par l’Inrap concernent cette période alors qu’elle occupe une phase chronologique relativement limitée (les huit derniers siècles avant J.-C.).
L’âge du Fer marque l’introduction du phénomène urbain puis son accélération autour du changement d’ère. Cet essor relève au moins de quatre dynamiques qui sont parfaitement documentées par les fouilles préventives réalisées ces dernières années par l’Inrap.
Les cités grecques
En premier lieu, on connaît les villes que l’on peut qualifier de coloniales comme les cités grecques implantées en Gaule (Nice, Antibes, Marseille, Agde…) dont la cité phocéenne est, à la fois la plus ancienne et la plus importante. Dans le quartier Saint-Victor qui domine la rive sud du Vieux-Port, la fouille de la Corderie a permis de documenter une carrière qui à partir du VIe siècle livrait des blocs de calcaire nécessaire à sa construction, mais aussi des cuves et des couvercles de sarcophages : toutes les étapes de la chaîne opératoire, depuis l’ébauche, le tracé de calepinage préalable à la taille, jusqu’à la cuve ont été documentées. Exploitée pendant plusieurs décennies, la carrière est abandonnée et comblée dans le premier quart du Ve siècle. Un édifice grec exceptionnel évoquant une monumentale salle de banquet ainsi qu’une série de vestiges datés des VIe-Ve siècles avant J.-C. ont été mis au jour lors de la fouille précédant la réhabilitation du collège Vieux-Port, dans le quartier du Panier, à Marseille. Ces découvertes témoignent des premiers aménagements urbains de la cité phocéenne lors de l’implantation de la colonie grecque, en 600 avant J.-C.
Fragments de céramiques attique, corinthienne et locale issus des niveaux d'époque grecque archaïque (VIe-Ve s. avant notre ère). Fouille du collège Vieux-Port à Marseille en 2005.
© Loïc de Cargouët, Inrap
Récemment, les archéologues de l’Inrap ont procédé à une fouille rue Barbusse. Elle a livré une fosse utilisée pour rejeter des résidus d’un atelier de potiers qui devait se situer à proximité : au-delà de l’architecture publique et domestique, c’est l’économie de la ville que l’archéologie révèle aujourd’hui.
Les villes indigènes du Midi
La deuxième dynamique est celle des villes indigènes du Midi provoquée par la présence des commerçants-explorateurs méditerranéens (Étrusques et Grecs). À Lattes, le site gaulois de la Cougourlude se développe sur les deux rives d’un ancien cours d’eau, au carrefour avec une voie. Habité depuis le début du VIe siècle avant J.-C., le site connaît une formidable expansion à partir de 550 avant J.-C. et devient dès cette époque un point privilégié d’échanges avec les sociétés méditerranéennes, étrusques puis grecques, préfigurant le rôle de la ville portuaire de Lattara, fondée vers 500 avant J.-C. à 1 km de là. À Nîmes, c’est le plan de la capitale de la tribu des Volques qui est maintenant mieux connu par la mise au jour, sur le mont Cavalier, d’îlots en lanières desservis par des espaces de circulation permettant
également le drainage des eaux pluviales. Certaines des pièces exhumées, d’usage domestique, sont pourvues de foyers. Ce phénomène de contact touche également la Corse, un territoire particulier non celtophone. Dans la région d’Aléria, une fouille récente a permis de mettre au jour, en lisière de l’habitat occupé par des Étrusques, une nécropole dont une sépulture remarquable : une tombe à hypogée étrusque datant du IVe siècle avant J.-C. La défunte reposait sur le dos, tête inclinée côté gauche et les bras le long du corps. Elle était parée d’une paire de boucles d’oreille d’or, de deux anneaux en or et en alliage cuivreux aux doigts. Elle était entourée d’une quarantaine de récipients en céramique.
Tombe à hypogée mise au jour à Aléria (Haute-Corse) datée du IVe siècle avant notre ère, 2019.
© Roland Haurillon, Inrap
Les principautés celtiques
La troisième dynamique est un phénomène très original, celui des « principautés celtiques » d’Europe centro-occidentale, qui est caractéristique du premier âge du Fer (Vix, Bourges…) et qui associe espaces urbains et tombes privilégiées. À Lavau, près de Troyes, un monument funéraire celte d’environ 7 000 m² a été mis au jour entre octobre 2014 et avril 2015. Il a révélé la très riche sépulture inviolée d’un prince du Ve siècle avant J.-C. La dépouille du prince, parée d’un torque et de bracelets en or, est accompagnée d’une vaisselle riche d’une douzaine de récipients d’origine grecque et étrusque, provenant du bassin méditerranéen. Une des pièces maîtresses est un chaudron en bronze d’un mètre de diamètre, orné de représentations de la tête d’Acheloos, le dieu-fleuve, qui pourrait être d’origine étrusque. Deux cruches à vin, une passoire en argent doré et un gobelet témoignent de l’intégration des pratiques cultuelles méditerranéennes par les élites celtes et des liens qu’ils entretenaient avec les commerçants grecs.
La civilisation des oppida
La dernière dynamique est celle que l’on nomme la « civilisation des oppida » (Alésia, Bibracte, Gergovie…), un processus qui va toucher toute la Gaule indépendante. Si ces habitats sont souvent connus (par les textes et des recherches anciennes, des fouilles préventives ont également permis des découvertes de villes inconnues comme celle de Moulay en Vendée, un habitat de près de 135 hectares ! Capitale vraisemblable du territoire
des Aulerques Diablintes aux IIe et Ier siècles avant J.-C., Moulay correspond au plus vaste oppidum identifié sur le Massif armoricain. Il intègre désormais la catégorie des grands sites européens, jusqu’à présent inconnus dans l’ouest de la Gaule. Menée sur un tracé linéaire de 1 400 mètres de longueur et environ 11 hectares, la fouille débutée fin 2009 est d’une envergure exceptionnelle. Elle permet d’aborder de manière inédite deux grandes problématiques inhérentes aux oppida : l’étendue des aménagements et leur degré d’organisation.
À Yviers (Charente) a été mis au jour quartier d’artisans potiers gaulois puis de forgerons gallo-romains au sein d’une agglomération jusqu’alors inconnue, située aux confins des territoires santon et pétrocore. Organisée en îlots d’habitation séparés par des rues, la portion étudiée, riche de plus d’un millier de structures en creux (fosses, trous de poteau, fours, puits, celliers), se caractérise par une très bonne conservation des vestiges puisque les niveaux de circulation et les sols de certains bâtiments, notamment les forges, sont encore pour partie conservés malgré les labours récents.
En 58 avant J.-C., César entre en Gaule, les campagnes militaires des années 57-53 portent alors sur la Gaule du Nord et de l’Ouest. En 53, le centre de la Gaule supporte de moins en moins la présence romaine. Le soulèvement général débute alors en 52, en territoire Carnute et les Arvernes prennent la tête de cette insurrection. Après le massacre
d’Avaricum (Bourges), la guerre est portée à Gergovie, au coeur même des terres de Vercingétorix. Ces dernières années, l’Inrap a pu documenter précisément le cadre
du siège de Gergovie.
Vestiges de l'oppidum de Moulay, ainsi que des restitutions réalisées sur site : maisons et bâtiments annexes sont organisés en lotissement à l'intérieur d'îlots délimités par des fossés.
© Gilles Leroux, Inrap
Immenses emprises
Pour les campagnes gauloises, la mise en place de nouvelles méthodes, et notamment la mécanisation des fouilles, permet à l’archéologie préventive d’appréhender d’immenses emprises, à l’instar des 300 hectares étudiés sur plateau d’Arras… Les occupations humaines y sont très denses : un établissement gaulois tous les 300 mètres environ. De simples fermes et des résidences aristocratiques, jusqu’alors inconnues, sont mises au jour.
En 2009, un de ces imposants domaines – à Laniscat – livre un exceptionnel trésor de 545 monnaies d’électrum. Les chercheurs intègrent désormais ces habitats dans le parcellaire et perçoivent leur organisation territoriale. Récemment, à Artenay, les archéologues de l’Inrap ont pu mettre au jour deux très vastes ensembles enserrés de puissants fossés (2,50 m de profondeur pour 7 m de large) ont été mis au jour. À l’intérieur de ces espaces de 7 200 m² et 4 300 m², de nombreux bâtiments ont été édifiés sur de gros poteaux porteurs. La forme
des structures évoque un complexe rural gaulois avec ses greniers, étables, maisons… Parmi le mobilier, une découverte s’avère majeure, celle d’un fragment de statue de style celtique. Sur ce bloc de calcaire est sculpté un personnage aux mains placées sur le ventre et au bras orné d’un bracelet torsadé. Dans son dos, deux probables cervidés s’affrontent.
Ces découvertes viennent compléter celles réalisées récemment à Trémuson (Côtes-d’Armor), au coeur de l’espace résidentiel d’une ferme gauloise de l’Armorique, dans l’ancienne cité des Osismes (Osismii), « le peuple du bout du Monde ». Haute de 40 cm, la plus spectaculaire sculpture de Trémuson représente un homme, à la chevelure et la barbe soignées, et rappelle aux archéologues les traits de têtes barbues figurant sur une série de monnaies de la cité des Riédones (Redon) et datées du milieu du Ier siècle avant J.-C.
Statères gaulois en électrum du trésor de Laniscat (Côtes d'Armor).
© Denis Gliksman, Inrap
Vues de détail d’un fragment de statue de style celtique, représentant un torse humain. Au dos sont sculptés deux animaux en plein combat. Statue mise au jour à Artenay (Loiret), 2021.
© Mathilde Noel, Inrap
Seau en bois cerclé de bronze ouvragé retrouvé au fond d'un puits à Trémuson (Côtes-d'Armor), 2019.
© Emmanuelle Collado, Inrap
Des tombes mises au jour permettent de mieux documenter les pratiques funéraires gauloises et de grandes nécropoles sont étudiées, comme à Bobigny. Au travers de la fouille de sépultures des élites, recelant des objets de prestige – chars, armes ou importations méditerranéennes – les archéologues perçoivent la hiérarchisation du monde gaulois. Ces dernières années ont été découvertes plusieurs « tombes à char », dont celles d’Attichy, d’Orval, de Livry-Louvercy, ou de Vasseny…
La liste des sites livrant des témoignages de l’économie gauloise (agriculture, pastoralisme, production de sel, métallurgie…) serait trop longue à établir, mais illustrerait, en plus des exemples cités dans le domaine de l’habitat et du funéraire, que ces deux dernières décennies ce sont des pans entiers de la civilisation celtique et gauloise qui ont été ainsi documentés grâce à l’archéologie préventive.