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20 ans de recherche sur l'Antiquité
Le développement de l’archéologie préventive au cours des vingt dernières années a renouvelé l’image de la Gaule romaine, ses continuités, mais aussi ses ruptures dans les traditions architecturales, artisanales et agricoles, un phénomène amorcé dès le début des années 1980 avec les premières fouilles de sauvetage.
Grandes fouilles urbaines
Les destructions liées aux réhabilitations des centres historiques de plusieurs grandes villes, comme Lyon, Clermont-Ferrand, Orléans, Paris ou Chartres, toutes capitales de cités antiques, ont révélé relativement soudainement un sous-sol au riche passé et les témoins de leurs origines : des architectures les plus riches aux plus populaires, comme le quotidien et la vie domestique des gallo-romains.
Parmi les grandes fouilles urbaines réalisées par l’Inrap ces vingt dernières années, citons celles réalisées en 2003 à Chartres (Eure-et-Loir), Place des Épars et en 2004, sur le site du « collège Lumière » à Besançon (Doubs), celle d’un vaste et luxueux bâtiment orné de fresques et de mosaïques, daté de la période flavienne, dont la fonction publique ou privée demeure encore énigmatique. Plus récemment, c’est à Nîmes, lors des fouilles préventives du parking Jean Jaurès, lors d’une des plus importantes surfaces d’étude ouverte dans le tissu urbain antique, qu’a été découverte une mosaïque représentant un épisode de la légende de Penthée.
Les objets de la vie quotidienne sont régulièrement découverts. Simples céramiques populaires ou bien, comme à Reims, lors des fouilles du tramway en 2009, ensemble d’argenterie constitué de plats, coupes et cuillers d’argent et de bronze. Une découverte d’exception tant il est rare de mettre au jour une série aussi homogène.
En 2011, au Mans (Sarthe), le site des Jacobins, probable emplacement d’un édifice cultuel antique, a livré un exceptionnel ensemble d’objets de parures, de bijoux et de monnaies de bronze, d’argent et d’or jetés dans le bassin en offrande à quelque divinité, indiquant la vocation cultuelle du lieu. Plus de 150 monnaies ont été ainsi découvertes, toutes frappées entre le Ier siècle avant et le IIIe siècle après J.-C. Des tablettes de plomb, liées à des pratiques magiques y ont également été retrouvées. Il faut citer enfin la découverte, à Autun (Saône-et-Loire), en 2020, du magnifique vase diatrète en verre, découvert dans une nécropole paléochrétienne.
Cette somme d’informations, accumulées au fil des ans, permet pour toutes les villes antiques une révision des hypothèses qui avaient été avancées le plus souvent à partir de données, soit fragmentaires, soit anciennes. Cette révision concerne à la fois, la question des trames urbaines, avec pour corollaire, celle de leurs origines et de leur évolution durant l’Antiquité tardive, les caractéristiques architecturales des îlots, la nature des édifices qu’ils renferment, mais aussi, l’occupation des franges urbaines, ce dernier point bénéficiant de l’exploration de la périphérie des villes actuelles, pour l’aménagement des ZAC.
Mosaïque représentant l'histoire de Penthée, datée du IIe siècle de notre ère. Fouille de l'avenue Jean Jaurès à Nîmes (Gard) en 2006-2007.
© Denis Gliksman, Inrap
Une partie du dépôt d'argenterie avec coupe à collerette, plat ovale, plat rond, coupe avec son tissu d'emballage, cuiller en argent et cuillers en argent emballées dans du tissu, mis au jour à Reims (Marne) en 2009.
© Denis Gliksman, Inrap
Le vase diatrète d'Autun (Saône-et-Loire).
© Hamid Azmoun, Inrap
Diversité du fait urbain
Les abords des villes n’échappent donc pas non plus aux archéologues. Dans l’Antiquité, les nécropoles y sont installées et, toujours à Autun, en 2008, ce sont plus de 200 stèles funéraires, complètes ou fragmentaires qui ont été retrouvées au nord-est de la ville antique. Il s’agit là d’une découverte à portée scientifique de premier ordre.
Un autre aspect du fait urbain en Gaule romaine touche les agglomérations dites « secondaires », ces villes intercalaires qui complètent le maillage du territoire. Les opérations archéologiques menées dans le cadre des grands tracés ferroviaires ou routiers (TGV, Autoroutes, Routes Nationales), mais aussi le développement de l’archéologie en milieu rural, par le biais d’opérations d’aménagement extensives (ZAC), ont très largement participé à leur reconnaissance, surtout depuis les années 1990.
Plusieurs fouilles récentes montrent qu’elles pouvaient présenter des caractéristiques, des formes et des surfaces variées, ce qui témoigne d’une plus grande variabilité de sites que ce qui était admis jusqu’ici et sans doute de fonctions et de statuts différents. Cependant, ces derniers ne sont pas toujours aisés à définir, même si certaines de ces villes semblent avoir développé des activités spécifiques, artisanales, commerciales, agricoles, voire religieuses. La documentation fournie par l’archéologie préventive témoigne de la précocité de l’implantation urbaine gallo-romaine, qui, dans de nombreux cas, succède in situ ou à proximité à un habitat gaulois dès les premières années du Ier siècle de notre ère, et est souvent encore occupée aux Ve et VIe siècles.
L’exemple du site de Chevroches (Nièvre) est représentatif de ces agglomérations encore totalement inconnues il y a peu. Le site est installé en terrasse, sur les flancs d’un vaste méandre de l’Yonne. La présence d’un sanctuaire ainsi que les vestiges d’un bassin monumental démontrent bien que ces agglomérations pouvaient se doter d’une parure monumentale de qualité. Le site est occupé au moins jusqu’à la fin du IVe siècle, période au cours de laquelle on assiste à l’installation de plusieurs ateliers de métallurgie et d’une officine de faux monnayage. On y a retrouvé un disque de bronze, unique, portant des inscriptions astrologiques.
Le disque astrologique de Chevroches (Nièvre).
© Denis Gliksman, Inrap
D’autres découvertes d’importance ont lieu chaque année et apportent à la connaissance de ces villes. Il est remarquable que les agglomérations les plus vastes affichent des emprises rivalisant avec celles de certaines capitales de cités. Nombre de ces agglomérations sont désormais bien appréhendées et il n’est plus rare désormais de constater qu’elles possèdent également une parure monumentale, fruit d’un fort évergétisme local.
Par ailleurs, la typologie des habitats de ces villes et villages est de mieux en mieux appréhendée et l’on peut aujourd’hui commencer à reconnaître des « particularismes » locaux ou régionaux. Dans le registre de la sphère domestique, l’essor de l’archéobotanique (de la carpologie en particulier, de la palynologie et désormais les analyses moléculaires) offre aux archéologues l’opportunité d’aborder la question de l’alimentation des populations urbaines de gaule romaine, et de mettre en lumière les pratiques agricoles mises en œuvre pour produire une partie des denrées végétales consommées.
La relation ville-campagne
L’archéologie préventive a montré depuis une vingtaine d’années que les villes sont aussi des espaces de production avec la mise en évidence de jardins, de vergers, de potagers, de parcelles maraîchères. Les populations des agglomérations produisent de manière individuelle ou collective, une partie des denrées qu’elles consomment. À leur périphérie, des parcellaires voués à la culture et l’élevage sont retrouvés. La relation ville-campagne et campagne-ville se pose donc désormais en termes de coexistence.
L’accélération s’est fait avec les grands aménagements suburbains, qui ont permis d’aborder le territoire et son organisation, des sites de nature et de types différents à une échelle inégalée jusqu’alors. Réseaux d’habitats, de villae et d’agglomérations dites « secondaires », petites villes et bourgades situées le plus souvent sur des axes de communication importants, servant de relais, de centres civiques, religieux et économiques. Mais aussi réseaux de parcellaires et espaces agropastoraux, qui fournissent les moyens de restituer le paysage des campagnes antiques.
C’est en octobre 2011 qu’une fouille menée à Grand, ville et sanctuaire des eaux, dédiée à Apollon Grannus, a permis la mise au jour d’une imposante villa au pied du rempart de l’agglomération gallo-romaine. La découverte d’enduits peints permet d’en restituer les décors et d’identifier la fonction de ses nombreuses pièces. La fouille d’un domaine gallo-romain complet de cette envergure et de ce luxe dans son intégralité et dans un milieu suburbain antique est rarissime.
Fragments d'enduits peints imitant différents types de marbre, villa sub-urbaine de Grand (Vosges), 2011.
© Jacky Dolata, Inrap
Du fanum au vaste complexe cultuel
La multiplication des sites de fouille offre un regard neuf sur l’espace antique, sa structuration et les modes de son occupation. Il s’agit d’un renouveau complet des connaissances, restées très longtemps tributaires de données anciennes et de découvertes très ponctuelles. Les « grands nombres » alimentent aussi la comparaison et révèlent des pans méconnus du monde gallo-romain. En plus des villes, des campagnes, du quotidien, c’est aussi la pensée symbolique de ses populations qui se révèlent, à travers le culte et les religions, grâce aux découvertes de sanctuaires qui se sont multipliées sur tout le territoire du simple fanum au vaste complexe cultuel.
Ce fut le cas en 2010, à Neuville-sur-Sarthe (Pays de la Loire). Sur près de deux hectares, ce sanctuaire antique est composé de plusieurs temples de formes qui sont reliés entre eux par des axes de circulation (chemins et galeries). Des offrandes de toute nature y ont été retrouvées et témoignent de l’importance de ce sanctuaire, lieu de pèlerinage régional situé à quelques kilomètres de la ville antique du Mans.
Vue aérienne oblique du fanum carré en cours de fouille, Ier-IIe s. de notre ère, mis au jour à Neuville-sur-Sarthe (Sarthe), 2010.
© Hervé Paitier, Inrap
Dans le même registre, pour la fin de l’Antiquité, à Angers, en 2010, ce sont les témoins d’un mithraeum du IVe siècle, édifice voué au culte du dieu Mithra, qui ont été retrouvés. Ces temples, dont on ne connaît que quelques exemples en gaule romaine, sont le plus souvent des petites chapelles voûtées où se déroulent les banquets et les sacrifices cette religion, culte à mystères réservé aux hommes, fut introduite dans l’Empire par les militaires romains et les marchands. Elle fut interdite par l’empereur Théodose en 392.
Une Antiquité aux visages multiples
Dans de nombreux domaines, les avancées ont été multiples pour la connaissance du monde gallo-romain et de ses sociétés. C’est particulièrement vrai pour l’Antiquité tardive et la transition avec le haut Moyen Âge. Les apports depuis ces vingt dernières années en ont totalement renouvelé les connaissances, que ce soit pour l’occupation des villes que pour les campagnes. La vision d’un monde livré aux hordes barbares et en complète déliquescence est désormais caduque, l’archéologie préventive ayant montré la permanence de quartiers, la réalisation de constructions édilitaires importantes, des campagnes exploitées avec des domaines, certes modifiés, transformés, aux statuts différents et peut-être aussi aux populations exogènes, mais actifs, productifs et témoignant d’une réelle richesse. Les avancées sont également nombreuses quant à la connaissance des populations, leur niveau de vie, état sanitaire, et même origine grâce à l’archéologie funéraire. Une « révolution » est en cours dans ces domaines qui ouvre de nouveaux champs de recherche et d’appréciation du monde antique en général.
Les fouilles préventives éclairent désormais sous un jour nouveau l’ensemble de cet espace gallo-romain. Elles apportent en permanence des données qui, petit à petit, permettent de composer et recomposer cette histoire. Cette situation exceptionnelle a permis d’opérer un saut qualitatif dans l’état de la connaissance. Elle a ouvert aussi de nouvelles perspectives du point de vue de l’apport des disciplines dites connexes, en particulier pour le paléoenvironnement, mais aussi pour les procédés et les techniques. De nombreuses fouilles sont, en effet, la source de protocoles de recherche originaux et novateurs dans de nombreux domaines, en particulier dans le cadre des études paléoenvironnementales : la faune sauvage ou domestique par le biais de l’archéozoologie, les plantes cultivées et consommées, certaines apportées du monde méditerranéen, grâce à la recherche et identification des graines par la carpologie, la flore, mais aussi l’évolution des paysages et du climat par l’étude des pollens (la palynologie) sont désormais des champs d’investigations indissociables de toute fouille d’archéologie préventive. Dans le domaine funéraire, les études paléopathologiques, les analyses d’ADN ou paléogénomiques apportent des informations totalement inédites sur la santé, la qualité de vie, les structures sociales des populations antiques.
Les recherches préventives sur la société gallo-romaine révèlent donc une Gaule aux visages multiples : des continuités, mais aussi des ruptures se font jour dans les traditions architecturales, artisanales et agricoles, tandis que les modèles théoriques relatifs à l’évolution des trames urbaines et périurbaines, ainsi qu’aux structurations des espaces agraires, bénéficient de nouvelles données pour beaucoup inédites. L’archéologie préventive est désormais une « source » à part entière.