Peu de périodes de l’histoire ont autant inspiré les imaginaires modernes. Victime d’idées reçues, de clichés tant négatifs que positifs, le Moyen Âge suscite simultanément attrait et rejet. Ce long millénaire imprégné d’images fortes a pourtant fait l’objet d’une relecture en profondeur à la lumière des avancées récentes de la recherche archéologique et des archéosciences.

Mis à jour le
31 janvier 2022

La longue transition entre Antiquité et Moyen Âge

Les milliers de découvertes réalisées plus particulièrement au cours des deux dernières décennies dans le cadre de l’archéologie préventive bouleversent de nombreux paradigmes. Elles redonnent notamment une place centrale au début de la période, le premier Moyen Âge (Ve-XIe siècles), déconstruisant son image d’âges sombres. 
Le monde antique occidental ne s’effondre pas brutalement au début du Ve siècle dans le sillage d’« invasions barbares ». Sans nier l’impact décisif que l’établissement de groupes extérieurs au monde romain a eu sur un empire déjà politiquement et économiquement fragilisé, l’archéologie met en évidence une mise en place progressive de nouvelles traditions culturelles – fusions de cultures gallo-romaines et d’apports nouveaux – auxquelles s’ajoutera l’influence du christianisme. La fouille des habitats et surtout des nécropoles ne montre pas de débarquement massif et soudain de populations étrangères, mais de longs mouvements migratoires de groupes diversifiés qui s’intègrent rapidement. Ces mouvements commencent dès les IIe-IIIe siècles et s’accélèrent au Ve. La transition entre Antiquité et Moyen Âge se déroule sur plusieurs siècles sans rupture brutale, de nombreuses villae antiques continuent d’être occupées aux IVe et Ve siècles voire au-delà, tandis que territoires et sociétés sont réorganisés progressivement, mais en profondeur, avec toutefois des diversités régionales.

Sites ruraux, villages et remodelage des paysages urbains

Les campagnes où vit 90 % de la population se montrent des lieux de vie dynamiques. Si la plupart des zones de peuplement s’inscrivent dans la continuité d’aires d’occupations plus anciennes, les structures d’habitat et de production se transforment progressivement à la faveur des mouvements de population, de la mise en place des royaumes et de l’institution de l’Église chrétienne. L’archéologie préventive révèle de manière édifiante une densité et une variété insoupçonnée de sites ruraux datés du premier Moyen Âge. Les découvertes sont sans précédent. Les formes de l’habitat varient selon les régions, les activités et le statut social de leurs occupants, mais une physionomie générale s’impose néanmoins. À partir de la seconde moitié du VIIe siècle et du VIIIsiècle, dans un contexte de développement agricole, les sites de peuplement augmentent en nombre et en taille, de nombreuses exploitations sont regroupées en hameaux, structurés ou non, voire en villages plus denses, associés à un cimetière, voire un édifice religieux, et ce, bien avant l’an mille. La fouille des églises primitives montre que la christianisation des campagnes se fait de manière très progressive. Aux VIIIe et IXe siècles, espaces de vie et de travail sont agrandis, ou acquièrent nouvelles fonctions. Certains sites se spécialisent dans l’élevage, ou encore l’artisanat. On observe une gestion plus collective des récoltes et une augmentation généralisée des capacités de stockage. Les nécropoles situées d’abord à l’écart intègrent précocement l’espace habité. Le phénomène de fixation de l’habitat s’accélère entre le Xe et le XIIsiècle, mais n’est pas observable partout au même rythme. Les fouilles réalisées sous nos villages laissent apparaître des formes d’habitat diversifiées très précoces et même plusieurs centres villageois.

Une grande variété de formes de résidence élitaire et lieux de pouvoir structurent également les campagnes. Le « château » n’en est plus la seule représentation emblématique. Au fil des fouilles, de multiples représentations de résidence élitaire (fortifiée ou non) apparaissent, dont des établissements « à plat » mis au jour sous les mottes.

La campagne nourrit la ville et cette dernière ne disparaît pas au premier Moyen Âge. Les fouilles archéologiques et études du bâti montrent au contraire un remodelage des paysages urbains. Plusieurs formes de villes se côtoient : ville chrétienne héritière de la ville antique et centre du pouvoir ecclésiastique ; ville polynucléaire ; ville fantôme masquée dans des « terres noires » témoins d’une densité d’habitat et d’intenses activités ; ville nouvelle portuaire le long des côtes du nord et de la Manche, illustrant de nouveaux axes commerciaux nord-sud. Ce remodelage aboutira à partir du XIIsiècle à un développement sans précédent de l’urbanisme qui deviendra le moteur d’une société nouvelle.

Des aménageurs avisés

Les sociétés médiévales sont au cœur de changements climatiques et environnementaux. Elles ont joué un rôle actif dans la transformation des paysages dont témoignent les données issues des multiples fouilles préventives. Les grands travaux qu’elles ont entrepris en aménageurs avisés, mais aussi en acteur de forçage ont eu des conséquences irréversibles sur les milieux naturels (défrichements, déforestation, pollution ou détournement des cours d’eau). Mais ce sont aussi des sociétés opportunistes et résilientes. Pour s’adapter à la fois aux potentialités et aux contraintes, elles ont appliqué une politique de gestion des milieux durable et renouvelable, lisible notamment dans la diversité des pratiques agricoles et d’élevage favorisant la biodiversité, dans la gestion raisonnée de certaines ressources comme celles de la forêt. Multiplication d’étang pour la pisciculture, développement des landes pour le fourrage et l’élevage, gestion durable des espaces, aménagement des rivières, friches hydrauliques et digues pour contenir les crues, développement et perfectionnement des techniques énergétiques (marais salants des rives atlantiques, diversification des usages du moulin, de l’hydraulique et du vent), témoignent du dynamisme des initiatives durant ce long millénaire.

Ce nouveau Moyen Âge redécouvert par les archéologues est multiculturel, ouvert sur le monde et inventif, à la fois riche et contrasté, familier et caché. L’archéologie préventive, grâce aux études interdisciplinaires menées à diverses échelles, apporte aujourd’hui des éléments d’analyse inédits pour proposer des scénarios qui nous invitent à repenser la période. Ruptures ? Continuités ? Accélérations ? Des rythmes inédits et de nombreux particularismes régionaux apparaissent dans les transformations des sociétés et de leur espace tout au long de ce millénaire.