En 20 années de recherches menées par les archéologues de l’Inrap, plus de 5 170 rapports d’opérations préventives enregistrés (3 730 diagnostics et 1 440 fouilles) mentionnent, décrivent et analysent des données se rapportant à l’époque néolithique (source Dolia,
novembre 2021). Ces chiffres pourraient donner le tournis, mais en définitive il n’y a rien d’étonnant à cela : si le Néolithique est l’époque la plus courte de la Préhistoire, elle a duré trois fois plus longtemps que le Moyen Âge sur le territoire métropolitain.

Mis à jour le
08 février 2022

Les interventions archéologiques préventives se rapportant à l'époque néolithique représentent plus de 10 % des opérations menées par l’Inrap. Elles portent le plus souvent sur des sites aux surfaces importantes où sont également présents des vestiges d’autres époques, notamment plus récentes. Les occupations uniquement datées du Néolithique sont assez rares.
 

Une mobilisation de tous les acteurs de la discipline

Le Néolithique s’est développé quelques millénaires après la fin de la dernière époque glaciaire (-10 000), dans un contexte climatique et géomorphologique qui n’est pas fondamentalement différent de celui qui règne toujours depuis la fin du IIIe millénaire avant notre ère et qui est encore d’actualité : l’Holocène. Les vestiges néolithiques s’observent le plus souvent dans les mêmes niveaux sédimentaires que ceux des périodes plus récentes des âges des Métaux et de l’époque historique (hors sites urbains stratifiés). Ce sont en moyenne 250 occupations néolithiques qui ont été mises au jour chaque année. Dit autrement, quatre à cinq gisements vieux de plus de quatre millénaires sont découverts chaque semaine depuis 20 ans !

Les archéologues de l’Inrap spécialisés dans l’étude du Néolithique sont plus d’une cinquantaine aujourd’hui répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain. Qu’ils soient responsables d’opération et/ou expert dans l’étude d’un type particulier de vestiges, ils n’auraient pu mener à bien ces recherches sans la mobilisation de tous les archéologues de l’Institut quelles que soient leurs compétences chronologiques spécifiques.

Les interventions réalisées sont le fruit d’un travail d’équipe et de collaborations multiples menées en parallèle d’une professionnalisation croissante des acteurs de la discipline. Les vestiges néolithiques sont le plus souvent découverts dans des contextes archéologiques variés qui ont laissé des traces souvent ténues, parfois fugaces, en tout cas difficiles à détecter. Ils ont amené les néolithiciens à développer de multiples approches de terrain et d’études et à les partager largement.
Beaucoup d’entre eux participent ou dirigent des travaux dans le cadre des unités mixtes de recherche du CNRS. Ils répondent présents aux rendez-vous scientifiques réguliers, citons entre autres ceux d’Internéo, des Rencontres méridionales de Préhistoire récente, des Congrès préhistoriques de France, des séances de la Société préhistorique française et alimentent la communauté des chercheurs par la publication de données et de synthèses.

Accroissement de la documentation

Le volume de données recueillies sur les opérations menées n’est évidemment pas similaire d’un site à l’autre et varie de quelques outils en silex plus ou moins isolés jusqu’aux restes de villages entiers occupés durant plusieurs siècles. L’accumulation de découvertes au cours de ces vingt ans est considérable et révèle une richesse et une diversité difficilement soupçonnables auparavant. Elles concernent à la fois les contextes archéologiques eux-mêmes (sites à vocation funéraire, artisanale, habitats), le mobilier archéologique sauvegardé (silex, poteries, ossements, parures en pierres, en coquillage, en os, graines et autres restes végétaux, objets en bois, en métal) et les données paléoenvironnementales. Cet accroissement sans précédent de la documentation sur le Néolithique intéresse à peu près tous les domaines de recherches et permet d’asseoir les connaissances sur des données abondantes, variées et de qualité.

La mission de service public confiée à l’Inrap en 2002 a été un levier d’action puissant puisque des sites néolithiques ont depuis été mis au jour sur l’ensemble du territoire. En effet, les découvertes étaient auparavant majoritairement répertoriées le long des principales vallées alluviales au gré des prospections, des découvertes fortuites et des opérations de sauvetage. Les recherches préventives ont fait émerger des données dans des secteurs géographiques méconnus (comme les plateaux par exemple) et offrent une opportunité de faire un bilan de l’occupation du territoire entre le VIe millénaire et la fin du IIIe millénaire avant notre ère sur des bases solides : on ne s’interroge plus guère sur la signification de l’absence de vestiges dans un secteur, mais plutôt sur l’absence de recherche dans ce lieu.

Malgré des différences régionales dans les systèmes chronologiques, la recherche française sur le Néolithique s’accorde pour diviser cette époque en quatre périodes de durées variables qui se succèdent : Néolithique ancien (-5800), moyen (-4700), récent (-3600) et final (de -2900 à -2300/2100). Vingt années de documentation acquise ont permis de rééquilibrer les données relatives à chacune d’elles, en particulier au profit des sites datés des périodes récente et finale plus délaissées que les autres jusqu’alors. Cela est rendu possible par la précision croissante des études menées sur les vestiges, une identification systématique des séries découvertes et des contextes archéologiques dont elles sont issues, et le calage des séquences chronoculturelles par le recours de plus en plus régulier et réfléchi aux datations absolues comme le radiocarbone et la dendrochronologie.


La néolithisation des territoires

L’invention de l’agriculture et de l’élevage, la sédentarisation des groupes humains, caractéristiques majeures de l’époque néolithique, ne se sont pas produites sur le territoire français. Les données recueillies pour le Néolithique ancien indiquent que ces évènements sont issus d’un processus de colonisation, progressif et étalé dans le temps depuis ses origines au Proche-Orient, empruntant deux voies de diffusion. La première le long du littoral méditerranéen dans le sud de la France, la seconde plus continentale suivant les cours d’eau dans la moitié nord.

Avec le Néolithique moyen, on observe l’accroissement de l’emprise humaine sur les paysages naturels et l’évolution de la maîtrise de ce premier monde paysan sur le territoire avec l’occupation de secteurs encore assez déserts comme les plateaux et les montagnes. Entre le début et la fin du Néolithique, plusieurs centaines de plans de maisons montrent l’intense dissémination dans le paysage de fermes, de hameaux et de villages et la constitution de terroirs organisés. Les plans de maisons, ceux des regroupements villageois et des sites enclos (les enceintes) autorisent l’étude de la structure sociale des groupes qui les ont construits et les occupent.

La répartition dense des sites dans de nombreux secteurs du territoire traduit le bouleversement démographique que l’adoption de ce nouveau mode de vie a provoqué.
Cet essor sans précédent de la population s’illustre parfaitement à travers les nombreuses sépultures mises au jour, en particulier les sépultures collectives qui, à partir du milieu du IVe millénaire, ont accueilli parfois jusqu’à plusieurs centaines de corps, hommes, femmes et enfants confondus. Autant de données archéoanthropologiques qui permettent l’étude directe de ces populations disparues. Cet essor s’accompagne également par celui des inégalités sociales dont témoignent les différences que l’on observe dans le sort réservé à certains dans la tombe. C’est le cas de certains de ces grands monuments funéraires mobilisant les efforts du plus grand nombre pour leur construction dont l’accès a été néanmoins réservé pour la tombe de quelques-uns, souvent accompagnés d’offrandes de prestiges.

En vingt ans, la documentation sur le Néolithique fait une brusque irruption dans l’histoire de tous les territoires. La diffusion de ces découvertes vers le public permet une démocratisation de la connaissance réservée jusqu’alors à un petit groupe de spécialistes et d’érudits. Elle recule de plusieurs millénaires de nombreux aspects qui composent nos sociétés et permet d’inscrire sur le temps long les débats actuels à l’image de celui sur l’Anthropocène et de l’impact des actions humaines sur l’environnement.