Vous êtes ici
20 ans de recherche sur le Paléolithique
En fouillant de très grandes surfaces et sur l'ensemble du territoire (au gré des aménagements), l'archéologie préventive a renouvelé les connaissances des sites paléolithiques, leur organisation interne, leur saisonnalité, les dynamiques de peuplement. La multiplication des données climatiques et environnementales est venue notamment préciser et compléter les faciès culturels établis à partir des outillages lithiques.
Les études préhistoriques menées au XIXe siècle ont souvent été le fruit de découvertes fortuites. On peut dire que la découverte de Neandertal, lors de travaux d’extraction de craie en 1856, est le résultat d’une découverte fortuite. Après Neandertal, la découverte de
Cro-Magnon, quelques années plus tard, est quant à elle due à des travaux d’aménagement d’une route, et les sites paléolithiques du nord de la France proviennent pour l’essentiel des briqueteries exploitant les loess et limons quaternaires, et suivis par les chercheurs de l’époque, comme Jacques Boucher de Perthes et Victor Commont. Les préhistoriens ont donc surveillé avec constance les travaux d’extraction, alors qu’en parallèle se développait
une archéologie paléolithique centrée sur les cavités naturelles, plutôt dans la partie sud de la France.
Sur le terrain, les premières fouilles importantes menées sur des grands travaux furent celles dirigées par Alain Tuffreau à Riencourt-lès-Bapaume (Pas-de-Calais), sur le tracé du TGV Nord, en 1989. Pour la première fois, un site paléolithique était abordé sur une superficie importante (plusieurs centaines de mètres carrés), et dans une approche naturaliste. Cette méthodologie fut par la suite précisée sur d’autres opérations d’envergure, dont l’autoroute A5 (1990), sur laquelle des équipes furent dédiées à la recherche et à la fouille de sites paléolithiques. Ces innovations devinrent la norme,
et désormais les opérations d’archéologie préventive intègrent le Paléolithique dans leurs objectifs.
Biface triangulaire provenant de l'atelier de débitage du Paléolithique moyen de Saint-Amand-les-Eaux (Nord), 2007.
© Dominique Bossut, Inrap
Décapage sur le site paléolithique d'Havrincourt (Pas-de-Calais), 2010.
© Denis Gliksman, Inrap
Exploration le long de la rive droite de l'Arize dans la grotte du Mas d'Azil (Ariège), 2012.
© Denis Gliksman, Inrap
La multiplication des données sur les sites de plein air jusqu’alors peu documentés, a permis de préciser et de recaler dans le temps et l’espace les technocomplexes paléolithiques, particulièrement dans les deux régions les mieux renseignées, le sud-ouest et le nord-ouest, et surtout pour le Paléolithique moyen. De nouveaux technocomplexes ont également pu être définis.
Le Paléolithique renouvelé par les fouilles préventives
À l’inverse des fouilles programmées, les fouilles préventives présentent la particularité de pouvoir être menées sur de très grandes surfaces, celles correspondant aux aménagements générateurs des opérations archéologiques : autoroutes, lignes TGV, aéroports, etc. Ainsi, le site du Paléolithique moyen de Molinons, Grand Chanteloup, dans l’Yonne, a été fouillé sur près de 7 000 m², sans doute la plus grande fouille paléolithique réalisée à ce jour. Ces surfaces ne peuvent pas être atteintes dans un autre cadre que celui
du préventif, essentiellement pour des raisons de financements, mais aussi de méthodologies, lesquelles ont dû être adaptées aux surfaces des aménagements, et donc des sites, et cela malgré la défiance d’une partie des préhistoriens de l’époque. Ces querelles méthodologiques font désormais partie de l’histoire de la Préhistoire.
L’approche de ces vastes superficies a complètement renouvelé la connaissance des sites paléolithiques. Avant la révolution de l’archéologie préventive, les surfaces fouillées sur des sites paléolithiques de plein air étaient réduites (ce qui au demeurant n’enlève rien à leur intérêt scientifique). Les fouilles préventives ont permis d’aborder une thématique importante : l’organisation interne des sites paléolithiques, désormais accessibles dans leur intégralité, ou presque. Des modalités d’occupation ont ainsi été révélées, au-delà des fonctions supposées type habitat, site de boucherie, site d’abattage, site de collecte de matières premières, etc. Les sites se sont révélés être de complexes juxtapositions d’activités variées, avec des retours périodiques aux mêmes endroits (saisonnalité des occupations) voir, entre autres, selon des modèles variables selon les épisodes climatiques.
Inhumation double du Mésolithique ancien en cours de dégagement à Casseneuil (Lot-et-Garonne), 2021.
© Frédéric Prodeo, Inrap
Squelette de mammouth partiellement dégagé, Changis-sur-Marne (Seine-et-Marne), 2012.
© Denis Gliksman, Inrap
Vénus gravetienne aux cheveux, Amiens-Renancourt (Somme), 2019
© Stéphane Lancelot, Inrap
La constitution d’équipes pluridisciplinaires est une condition nécessaire à l’établissement des cadres environnementaux et chronologiques. Dans le nord de la France, par exemple, les multiples opérations archéologiques réalisées ont permis de définir des chronostratigraphies de référence, et de replacer finement dans le temps, l’espace et les conditions climatiques des faciès culturels, les redéfinissant plus subtilement que sur la seule base de leurs outillages lithiques. Dans le sud, l’archéologie préventive a permis, entre autres, de documenter l’Acheuléen entre Garonne et Pyrénées, jusque-là essentiellement connu par des ramassages de surface, hors contexte archéologique et stratigraphique.
L'aléatoire au service des découvertes
Enfin, l’un des apports majeurs de l’archéologie préventive, peu souvent relevé, est le côté aléatoire de ses lieux d’intervention, car dépendant non pas d’une volonté de l’archéologue dans le cadre de ses problématiques de recherches, mais de l’aménagement du territoire qui n’a cure de ces contraintes choisies. En clair, le préhistorien ne sélectionne pas son terrain, mais dépend de l’emplacement de la réalisation d’un aménagement, qu’il soit linéaire (autoroute, ligne de chemin de fer, canal) ou surfacique (zone d’activité, aéroport, carrière, etc.). Cette distribution aléatoire documente ainsi des régions peu concernées par la recherche sur le Paléolithique et aborde la thématique de l’occupation du territoire par ces sociétés de chasseurs-cueilleurs : occupations différentielles, biais de conservation, ou simplement état de la recherche. Ces recherches sur les dynamiques de peuplement sont en cours, et s’appuient comme pour les autres autant sur les fouilles préventives que programmées, toutes deux indispensables à la compréhension de notre lointain passé.