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20 ans de recherche sur les époques moderne et contemporaine
L’archéologie des mondes moderne et contemporain a connu un remarquable essor ces vingt dernières années et a démontré sa capacité à livrer des connaissances inédites sur les pratiques sociales des périodes les plus récentes de notre histoire, au côté des autres sources de documentation.
Sociétés industrielles et changements d'échelle
L’intérêt que l'archéologie porte à la compréhension des pratiques sociales des périodes moderne et contemporaine est d’autant plus crucial qu’en quelques siècles, la France connaît de profonds bouleversements économiques, techniques, culturels et sociaux notamment entraînés par l’accélération des progrès scientifiques et techniques.
À la fin du XVIe siècle, l’Europe entre dans une phase de proto-industrialisation, préfigurant la Révolution industrielle des XVIIIe-XIXe siècles. Les changements d’échelle affectent les modes de production et de distribution, les modes de vie et les organisations du travail. Si les deux tiers de la population vivent encore à la campagne jusqu’au XIXe siècle, on observe à partir de la fin du XVIIIe siècle les premiers exodes ruraux de paysans se rapprochant de la manufacture, puis de l’usine.
L’archéologie est donc celle des sociétés industrielles et s’attache à l’étude de la transformation des moyens et des systèmes de production (installations minières ou métallurgiques, les usines, les manufactures textile, céramique). Elle s’intéresse aussi à l’évolution des moyens de transport. Pour être complète, elle doit également s’attacher à la connaissance des nouvelles sociabilités mises en place sous l’effet de ces mutations, notamment celles du monde ouvrier. À travers les centres de détention, les asiles ou maisons centrales de santé et maisons de travail, ce sont aussi les nouvelles formes du contrôle social qui se font jour.
Dès l’Époque moderne, et encore plus durant l’Époque contemporaine, les grands dépotoirs urbains, mise en décharge d’objets de consommation courante, témoignent de la diversité des consommations de masse naissantes.
Cour Royale du château de Versailles. Découverte de l’enceinte du château de Louis XIII lors du diagnostic archéologique en 2006.
© Gaël Pollin, Inrap
Organisations nouvelles
À partir de l’Époque moderne, les techniques agricoles se perfectionnent grâce aux traités d’agronomie modernes et l’on assiste progressivement à une recherche de rendement qui affecte aussi les organisations foncières et les modes culturales. Pour les archéologues, cette recherche d’optimisation agricole est perceptible à travers l’étude des formes du paysage (évolution des réseaux de chemins, des découpages de parcelles) et celles des pratiques agraires largement soutenues par les sciences archéobotanique et géoarchéologique permettant de documenter des pratiques horticoles, viticoles et maraîchères en grande partie disparues, notamment dans les régions urbanisées comme l’Île-de-France.
Les changements d’échelle sont aussi ceux du commerce. Les économies et les villes portuaires notamment, mais pas seulement, se transforment pour faire face à l’augmentation du trafic et des tonnages de bateaux mus par le commerce transatlantique. Des activités nouvelles se font jour comme le raffinage du sucre ou le commerce des cotonnades et du tabac. Outre l’aménagement des ports et villes, l’archéologie enregistre les changements des modes de consommation et l’introduction de nouvelles espèces et de nouveaux produits.
Dans les Outre-mer, l’archéologie contribue à documenter les conditions et modes de l’économie de plantation fondée sur l’esclavage. Grandes habitations sucrières ou plus généralement agricoles sont étudiées pour leur éléments résidentiels, leur appareil industriel et pour la connaissance des quartiers serviles.
Transformations des institutions, réaffirmations monarchiques et rationalisation des pratiques de l’État sont lisibles dans la transformation des trames urbaines où les grands programmes architecturaux qui coïncident souvent avec l’adaptation des systèmes fortifiés aux progrès rapides de l’artillerie.
Ambitions et discours des élites sont également portés par la transformation de l’habitat en grandes résidences de plaisance dotées de jardins d’agrément où l’archéologie se fait fort de capter rythmes et phases d’aménagement, mais aussi toutes les pratiques de distinction sociale.
L'archéologie des conflits
Si l’archéologie des sépultures de guerre de la Première Guerre mondiale a d’abord lancé il y a bientôt 40 ans, l’élan d’une archéologie du monde contemporain, ces dernières décennies, les sujets se sont diversifiés. L’archéologie a pris l’habitude de livrer de précieux témoignages sur les zones de combat où les réseaux de tranchées peuvent être de frappants gisements. Aujourd’hui, la fouille des zones de cantonnement et de campement (camp de repos, hôpitaux militaires, camp d’enfermements des soldats ennemis) permet aussi d’exhumer des données sur la logistique et l’approvisionnement des zones de guerre, sur les politiques de soin et de secours des troupes. Tactiques, stratégies et ravitaillements sont au cœur des préoccupations des archéologues qui s’intéressent au débarquement sur les côtes normandes.
Camp canadien de la Seconde Guerre mondiale mis au jour à Fleury-sur-Orne (Calvados).
© Emmanuel Ghesquière, Inrap
Aujourd’hui le monde moderne est aussi gagné par l’archéologie qui se passionne pour la guerre de siège, celles des guerres de Louis XIII à La Rochelle ou de Louis XIV en Île-de-France ou dans les Flandres. Réseaux de fortifications et structures de campements sont de précieux alliés pour raisonner la réalité des approvisionnements, des déplacements des troupes, mais aussi des modes de recrutement de l’armée dans les provinces françaises. Les archéologues se sont également emparés des guerres napoléoniennes.
Empêcher la disparition
Les sujets appréhendés par l’archéologie pour le monde moderne et contemporain sont donc en pleine expansion et ne se limitent ni à l’enfoui ni à l’ancien. L’archéologie est une discipline qui s’attache à redonner du sens à des archives matérielles qui n’en ont plus forcément, afin de mieux comprendre les pratiques des sociétés plus anciennes. Or, force est de constater qu’aujourd’hui, le monde matériel de nos grands-parents ou de nos arrière-grands-parents nous échappe déjà en partie avec leurs codes sociaux. Étudier les pratiques de maraîchage anciennes, s’intéresser aux camps d’internement ou d’extermination, aux sites de commémoration politiques, c’est aussi documenter des pans de notre histoire qui souffrent aussi de destruction et de disparition. La collecte des données quand elles sont conservées est une obligation intellectuelle et scientifique et une responsabilité pour les générations à venir. Il n’y a donc pas d’ambiguïtés à étudier les sites industriels récemment abandonnés même pour faire de l’archéologie du bâti. Il n’y en a pas non plus quand l’archéologie interroge les campements des bases scientifiques des explorateurs des années 1960 dans les terres australes.
Aujourd’hui, l’archéologie médico-légale est également un outil de la construction des preuves juridiques quand elle assiste la justice et les tribunaux pénaux. Et puisqu’il n’y a pas de limites à l’archéologie, ni chronologique, ni matérielle, c’est tout naturellement que les archéologues qui étudient le monde contemporain interrogent la pratique de l’exploration urbaine (Urbex) très à la mode et leur compatibilité, au moins dans leur intentionnalité à commémorer le site – c’est-à-dire l’objet situé – en cours de décomposition matérielle et sociale.
L’archéologie des mondes moderne et contemporain repose sur une confrontation et un dialogue avec toutes les autres documentations disponibles (archives écrites, iconographiques, cartographiques, audiovisuelles) et participe à un enrichissement permanent des connaissances.
Diagnostic archéologique réalisé à Chambord (Loir-et-Cher) en 2012.
© Jean-Louis Bellurget, Inrap