Émissions de radio
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Mis à jour le
27 septembre 2022
Collection
Carbone 14

Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.

Avec Juliette Brangé, archéologue, directrice des opérations de la fouille du camp du Struthof.

« Le passé, avec toutes ses oppressions et ses injustices, est physiquement et socialement matérialisé dans le présent » (Myers & Moschenska, 2011). Plongée au coeur de l'unique camp de concentration de l’histoire de France contemporaine sur l’actuel territoire national, le Struthof, en Alsace.

Parce que les témoins et les mémoires s’estompent, parce que l’histoire a aussi besoin de matérialité, le magazine de l’archéologie de France Culture ouvre un des dossiers les plus sombres de l’histoire de France contemporaine, celui du Struthof, unique camp de concentration nazi sur l’actuel territoire national, tout premier camp découvert par les forces alliées.

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Vue aérienne de la carrière, 2022 



 

- © A. Vantillard

Une archéologie en devenir

Longtemps dédaignés par la recherche et ses problématiques, les espaces concentrationnaires sont, depuis peu, largement investis par l’archéologie européenne, comme à travers le monde. Ainsi, on se souvient de la fouille du Club Atlantico, centre de torture au cœur de Buenos Aires, lié à partir de 1976, au coup d’état militaire argentin et témoignant d’une histoire toute différente de la propagande officielle véhiculée par cette tyrannie.

Toutefois, en France, l’archéologie s’avérait, sur cette thématique, totalement à la traîne, et ce n’est que sous l’impulsion de quelques chercheurs qu’elle rattrape aujourd’hui son retard.

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Sondage le long du mur pignon de la forge, carrière du camp de Natzweiler-Struthof, 2022 



 

- © A. Vantillard

Le camp de Natzweiler-Struthof

Ce camp, ouvert le 1er mai 1941 au lieu-dit "Struthof " sur le ban de la commune de Natzwiller, comportait 70 camps annexes répartis sur les deux rives du Rhin, soit sur les territoires français et allemands actuels. Sont présents, des Soviétiques, Polonais, Belges, Luxembourgeois, Norvégiens, Français, souvent résistants, mais aussi des juifs, Tziganes, témoins de Jéhovah, comme des apatrides et des homosexuels. 52 000 déportés sont passés entre 1941 et 1945 par le camp principal ou une de ses annexes. On estime le nombre de morts dans le complexe du KL Naztweiler autour de 22 000.

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Halles de travail dans lesquelles les déportés démontaient des moteurs d’avions, carrière du camp, en 1944 



 

- © CERD

Le Struthof est un des camps de concentration au système de répression le plus dur. Ce sont tout d’abord des asociaux, prisonniers de droit commun et déportés politiques qui y sont enfermés. On y incarcère ensuite des déportés « NN », c’est-à-dire des résistants dont la capture se place dans le cadre du décret Nacht und Nebel, de 1941 et visant à anéantir l’opposition politique. Chaque type de prisonnier se distingue au triangle de couleur cousu sur sa chemise à côté de son numéro de matricule.

Le camp fut surtout un lieu d'exécutions : celui de 107 résistants, mais aussi s'y menaient d'atroces expériences. En avril 1943, les nazis installent, à l’extérieur du site, une chambre à gaz, pour tester une nouvelle arme chimique sur des déportés tsiganes : le phosgène. A l’été de la même année, 86 juifs, issus d’Auschwitz, sont gazés afin de rejoindre la collection de squelettes d’un médecin, membre du parti nazi, le professeur d’anatomie August Hirt

Exploitation du front de taille en cours au sein de la carrière du camp en 1942



Exploitation du front de taille en cours au sein de la carrière du camp en 1942 



 

- © CERD

Archéologie du Struthof

Découvert en 1940, le granite rose du Struthof est la raison première de l’implantation du camp en ce lieu. Il sera intensément extrait par les prisonniers dès 1941 cela, afin de contribuer à l’architecture monumentale nazie. L’exploitation de la carrière est par la suite reconvertie en centre de réparation de moteurs d’avions de la firme Junkers. Les installations sont alors implantées dans des galeries creusées dans le granite, afin d’être protégées des raids aériens. Les archéologues en retrouvent aujourd’hui les traces au travers d’une forge et de maints petits objets ou éléments mécaniques (courroies, joints, rondelles métalliques, pièces tubulaires, fragments de tissus civils).

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Plaque triangulaire en tôle émaillée avec le logo de l’entreprise Junkers pour laquelle les déportés démontaient des moteurs d’avions, trouvée en 2022 

 

- © M. Landolt

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Bouteillon découvert en 2021 : il comporte une petite plaque avec la mention de sa baraque d’origine : Block 10 Stube 1 



 

© J. Brangé

Le croisement des données provenant tout à la fois d’archives (photographies de la RAF, plans, documents administratifs) mais également de l’archéologie (prospections et fouilles) apporte aujourd’hui un éclairage nouveau à l’histoire de ce camp comme à celle des espaces concentrationnaires. Responsable des fouilles, qui viennent de s’achever voici quelques jours, Juliette Brangé , archéologue, a soutenu un master à l’Université de Strasbourg qui est une somme, trois épais volumes de quelque mille pages.

Elle y retrace ainsi l’évolution des lieux : la mise en place et le fonctionnement du camp nazi (1940-1944), le passage de la milice en septembre 1944, l’évacuation du camp et sa libération (1944), la mise en place d’un espace pénitentiaire (1944 -1949), enfin, le temps du souvenir et la création d’un espace mémoriel (1949 à nos jours).

Pour aller plus loin

Durée :
29 min