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Les soldats de Napoléon en leur camp
Soutenance de thèse de Frédéric Lemaire qui se tiendra le mardi 14 janvier 2020, à 14 h, à l'EPHE (Paris). Sous la direction de Michel Reddé, directeur d'études à l'EPHE, UMR 8210. Sous la co-direction de Natalie Petiteau, professeure à l'Université d'Avignon.
Composition du jury
- Natalie PETITEAU, professeure, Université d'Avignon
- Jacques-Olivier BOUDON, professeur, Université Paris IV Sorbonne
- Jean-François BRUN, maître de conférences (HDR), Université Jean Monnet Saint-Étienne
- Martin MOTTE, directeur d'études, EPHE Paris
- Michel REDDÉ, directeur d'études, EPHE Paris
Résumé de la thèse
En France, la colonne monumentale située près de Boulogne-sur-Mer, sur la commune de Wimille, rappelle qu’entre 1803 et 1805, une armée destinée à l’invasion de l’Angleterre se trouvait rassemblée sur le littoral du Pas-de-Calais, autour des principaux ports. Créée par Bonaparte et commandée par Napoléon depuis Boulogne, cette armée dite des Côtes de l’Océan est transformée en Grande Armée en août 1805, quelques jours avant son départ pour l’Allemagne.
Parmi les principaux camps du « camp de Boulogne », celui de Montreuil regroupait les trois divisions du corps de gauche commandé par le maréchal Ney ; au total, onze régiments d’infanterie. La première division campait à Camiers, la deuxième à Étaples, où se trouvait la flottille de débarquement, et la troisième au hameau de Fromessent, en arrière d’Étaples. Le Premier consul avait recommandé au ministre de la Guerre de placer les camps « le plus à porter possible des points où les troupes devront s’embarquer ».
Dans ses mémoires, l’officier François Vigo-Roussillon, rescapé de l’expédition d’Égypte, écrit concernant le camp du 32e de ligne, dont il a supervisé la construction : « Notre camp ressemblait à un joli village régulièrement construit ». Le mémorialiste Fezensac évoque le camp du 59e de ligne, régiment qu’il a rejoint en 1804 à l’âge de 20 ans, en des termes moins bucoliques : « J’ai connu tel bivouac bien supérieur à nos baraques ». Ces baraques, le médecin Hiriart en donne une description dans un rapport daté de février 1804 : « Chaque baraque de soldat a une étendue de 14 pieds en longueur (4,55 m) et de douze en largeur (3,90 m) ; elle s’élève de sept pieds au-dessus du niveau du sol (2,28 m), et se trouve creusée de trois dans son intérieur (0,98 m) ; elle est construite en branchages et en paille […] chacune loge de 14 à 16 soldats. On ne trouve de poêles ou de cheminées que dans celles des officiers. » Insalubres, elles s’écroulent parfois par dizaines en une nuit, avec le dégel, et comme les matériaux pour les reconstruire manquent, les soldats restent sans toit, malgré l’hiver ; le général Roguet en rend compte à son supérieur. Dans une lettre datée du 1er frimaire an XIII (22 novembre 1804), il écrit : « Je vous observe, mon général, que ce camp est dans le plus mauvais état, qu’à peine les soldats peuvent sortir de leur baraque. »
Le camp mentionné par le général Roguet est celui du 69e de ligne. Ce camp a fait l’objet d’une fouille extensive en 2010, qui a permis l’étude de près de 200 baraques réparties en six rangs sur plusieurs hectares.
Le 69e de ligne formait brigade avec le 6e régiment d’infanterie légère. Des parties de ce camp, symétrique du premier, ont également été fouillées entre 2004 et 2010. À Camiers, les recherches de terrain portent sur deux régiments, les 32e et 96e de ligne ; elles s’inscrivent dans un cadre différent de celui de l’archéologie préventive, les terrains agricoles concernés n’étant menacés par aucun aménagement.
Ces camps étonnent par leur étendue, leur forme étirée et leur régularité. Un principe précis préside à leur organisation : l’ordre de bataille. Les soldats campaient ou baraquaient comme ils se battaient, en ligne sur plusieurs rangs, par régiments, bataillons et compagnies. Napoléon ne l’a pas inventé, mais il le résume parfaitement, en peu de mots : « L’art d’asseoir un camp sur une position, n’est autre chose que l’art de prendre une ligne de bataille sur cette position. » Ainsi, en observant les traces en creux de ces camps, c’est l’infanterie sur le champ de bataille – « l’âme de l’armée », disait Napoléon – que nous observons.
Dans le détail, les camps sont complexes, et seul le croisement des sources permet d’en affiner la compréhension. Et l’analyse fine des règles d’organisation des camps permet de mieux saisir la condition du soldat, qui est l’autre enjeu de ces recherches. Du rasoir du frater à la boucle en or du grenadier, des dominos en os aux peignes à poux des musiciens, des couteaux de poche aux pipes en terre blanche des fusiliers, des binocles aux compas des officiers, des milliers d’objets, issus des fouilles, permettent d’aborder, en connivence avec les textes, la vie de ces hommes en attente du combat ; en attente du combat, mais dans la position du combat. La grande quantité d’objets découverts tient à la profondeur conservée des fameuses baraques semi-enterrées décrites par les mémorialistes. Elle tient aussi à la nature de l’occupation, à sa durée et à sa densité.
Ces recherches originales sur ces camps qui voient naître la première Grande Armée de Napoléon sont à l’origine de la thèse. Le projet scientifique assigné consiste à étudier la condition du soldat napoléonien en recourant à l’archéologie comme premier levier et en agrégeant au corpus constitué des archives, des images et des témoignages. La réflexion s’inscrit dès lors aux confins des deux disciplines, entre une archéologie à forte dimension historique et une histoire à forte dimension archéologique.
Tenter d’appréhender la condition du soldat, au combat ou dans son attente, implique de comprendre le contexte duquel elle ressort, le champ de bataille ou le camp. Qu’est-ce qu’un camp ? Qu’est-ce que ce «camp de Boulogne» ? Ce sont deux questions auxquelles la thèse prétend également répondre. Ce questionnement croisé implique nécessairement une réflexion sur l’organisation militaire et les campagnes qui ont précédé le développement du camp de Boulogne. Appréhender le camp, comme système et dans son fonctionnement, pour appréhender les hommes qui l’occupent, jeunes conscrits ou vétérans des guerres de la Révolution, tels sont les deux objectifs principaux de ce travail. La question de l’efficacité réelle de ce camp sur la préparation des troupes victorieuses est aussi posée.
De fait, le soldat et le camp sont les deux lignes de force qui dominent la thèse.