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Mission archéologique Kota Cina, Sumatra
Ce programme, initié en 2011, est consacré à l’étude de l’un des sites d’habitat ancien les plus importants du nord de Sumatra. Il est réalisé par l’École française d’Extrême-Orient en coopération avec le Centre National de la Recherche Archéologique d'Indonésie. Daté des XIe-XIVe siècle, ce site est gravement menacé par la densification de l’habitat moderne.
Contexte archéologique de la province de Sumatra-Nord
La recherche archéologique française, soutenue par la Commission Consultative des recherches archéologiques à l’étranger du Ministère des Affaires étrangères et du Développement international, est présente dans la province de Sumatra-Nord (Indonésie) depuis vingt et un ans. En ce qui concerne la période historique, cinq sites importants d'habitat anciens ont été identifiés à ce jour dans cette province. Deux sont situés sur la côte ouest, en bordure de l'océan Indien, où ont travaillé deux équipes franco-indonésiennes entre 1995 et 2005 : Barus-Lobu Tua (IXe – XIe siècle EC) et Barus-Bukit Hasang (XIIe – début du XVIe siècle EC). Le site de Si Pamutung (IXe-XIIIe siècle EC), au centre de l'île, dans la région de Padang Lawas, a également fait l'objet de recherches archéologiques par une équipe franco-indonésienne entre 2006 et 2010. Sur la côte orientale, en bordure du détroit de Malacca, une équipe indonésienne travaille depuis 2010 sur le site de Pulau Kampai, occupé depuis le XIe siècle au moins. Le présent programme concerne le site de Kota Cina, sur lequel une équipe franco-indonésienne travaille depuis 2011.
Présentation du site de Kota Cina
Kota Cina est situé aujourd'hui dans la banlieue de Medan, ville de plus de deux millions d’habitants, capitale de la province de Sumatra Nord. En limite de mangrove, il est aussi à moins de dix kilomètres du port de Belawan sur le détroit de Malacca.
Prospections et sondages (180 m² environ) réalisés durant les années 1970 ont permis de recenser ou de découvrir un certain nombre de vestiges, qu'il s'agisse de structures en briques (huit au total), de sculptures en pierre (notamment deux statues bouddhiques et deux statues hindouistes très probablement importées d’Inde du Sud), d'inscriptions (en particulier des inscriptions chinoises sur feuilles d’or), ainsi qu’un mobilier très abondant (aujourd'hui disparu) et une grande quantité de vestiges organiques. Se basant sur les prospections des années 1970, les premières estimations de la superficie du site ont varié entre 25 et 50 hectares. La variété et la quantité de matériel collecté dans les années 1970 indiqueraient non seulement une place d'importance, mais aussi un site cosmopolite, avec probablement une communauté tamoule et une communauté chinoise résidentes. De par sa position dans le détroit et son accès aux ressources naturelles de l'arrière-pays, Kota Cina serait devenu l'un des maillons d'un réseau de places marchandes tamoules allant de la Mer Rouge à Quanzhou en Chine du Sud, en passant par le golfe Persique, l'Inde du Sud et Sri Lanka. À côté de sa fonction commerciale, Kota Cina était également un centre religieux, avec des traces de cultes hindouistes et bouddhiques.
Négligé par la recherche jusqu'en 2010, Kota Cina est aujourd'hui gravement menacé par la densification de l'habitat et le développement industriel entre la ville de Medan et son port de Belawan. C'est en 2011 que l'École française d'Extrême-Orient et le Centre National de la Recherche Archéologique d'Indonésie ont décidé d'effectuer plusieurs campagnes de diagnostiques, campagnes qui se sont déroulées jusqu’en 2013. Elles ont abouti, en 2014, au lancement d'un programme de recherche archéologique en coopération, soutenu par la Commission Consultative des recherches archéologiques à l’étranger.
Des problématiques de recherche variées
La problématique de ce programme, réalisé en coopération avec le Centre National de la Recherche Archéologique d'Indonésie, comprend plusieurs volets :
- chronologie générale et évolution spatiale de l’occupation ancienne du site ;
- détermination de l'extension de la zone dense en constructions permanentes, très probablement religieuses ;
- origine des populations résidentes et leur mode de vie ;
- étude du régime alimentaire des populations résidentes ;
- étude des différentes activités menées sur le site (commerce, religion, artisanat) ;
- nature politique de Kota Cina (entité indépendante ou soumise à une entité de la région) ;
- niveau d’intégration dans des réseaux commerciaux asiatiques (du Moyen-Orient à la Chine) ;
- dynamique du paysage.
Un site de référence majeur
Une campagne de fouilles s’est déroulée chaque année entre 2014 et 2016 sur une durée d’environ cinq semaines. Les opérations de terrain se sont achevées en avril 2016. 69 sondages ont été fouillés entre 2011 et 2016, représentant une superficie de 484 m² pour un volume de 466 m3. La superficie du site est aujourd’hui estimée à quelque 25 hectares. Ces travaux de terrain ont notamment révélé des vestiges de constructions en briques, ainsi que des niveaux coquillers dont l’épaisseur atteint 60 centimètres. Par ailleurs, l’environnement très humide d’une partie du site a permis la conservation de fragments de poteaux en bois, ainsi que des vestiges de structures en bois malheureusement fortement endommagées.
Malgré un environnement naturel et foncier difficile, la masse de données recueillies, ainsi que la grande richesse du mobilier collecté, permet d'affirmer que les résultats de ce programme archéologique consacré à Kota Cina vont, à divers titres, constituer une référence majeure en Indonésie, et plus largement en Asie du Sud-Est pour les sites datés du début du second millénaire EC.
Le corpus des poteries comprend plus de 150000 tessons pour un poids approchant une tonne et demie. Il s’agit très probablement du corpus le plus volumineux collecté en fouilles à ce jour à Sumatra. Étant donnée la rareté des analyses systématiques sur ces corpus en Indonésie, le catalogue et les études sur les poteries collectées dans le cadre de ce programme feront certainement référence. L’étude de cette collection a débuté en 2015.
Avec 54000 tessons pour un poids dépassant 700 kilogrammes, le corpus des grès et porcelaines du programme représente également à ce jour pour Sumatra la plus importante collection archéologique terrestre de ce type à faire l’objet d’une étude systématique. L’étude de cette collection a débuté en 2015 sur 9000 tessons. Cette étude préliminaire a permis de confirmer que la grande période de prospérité ancienne du site se situe aux XIIe - XIIIe siècles, l’occupation significative ayant débuté quelques décennies auparavant et s’étant achevée au début du XIVe siècle.
La richesse de Kota Cina en vestiges de faune (hors coquilles) et plus encore la qualité de leur préservation s’avère exceptionnelle pour un contexte équatorial. Avec quelque 177 kilogrammes, la taille et la variété de ce corpus sont probablement sans équivalent pour un site de cette époque en Indonésie. L’étude de cette collection, réalisée grâce à l'implication de L'INRAP a débuté en 2016 et porte actuellement sur 8000 restes. Elle devrait permettre à terme de mettre en évidence les stratégies d'approvisionnement en protéines animales, mais aussi l'exploitation de certains éléments de squelette en tant que source de matière première (écailles de tortues marines). Les premiers résultats laissent augurer de la découverte d'espèces aujourd'hui absentes de Sumatra.
Kota Cina - Relevé de restes de tortues (fouilles 2015).
© Daniel Perret, EFEO
Avec quelque 1100 tessons, le corpus de vaisselle de verre est quantitativement comparable à celui du site contemporain de Barus-Bukit Hasang sur la côte ouest (1200 tessons). Il va encore enrichir les connaissances sur l'histoire de la circulation de la vaisselle de verre ancienne en Asie du Sud-Est au début du second millénaire.
À ces corpus, il faut ajouter les monnaies, avec notamment des monnaies chinoises (plus de 1000 pièces entières ou fragments), ainsi que quelques monnaies de Sri Lanka ; les restes humains découverts en 2015 et 2016 ; le mobilier métallique ; les perles en pierre et en verre ; les fragments de bois, y compris d’ossatures de barques ; des fragments de cordelettes, ainsi que des graines et de fruits.
Kota Cina - Dégagement de vestiges de structure en bois ( fouilles 2015).
© Daniel Perret, EFEO
Enfin, l’étude paléo-environnementale, qui repose sur une approche multidisciplinaire, représente la première véritable étude approfondie de ce genre pour un site d’époque historique à Sumatra.
Le programme accueille des étudiants en master d'archéologie de l'université d'Indonésie (Jakarta), ainsi que des étudiants en histoire des universités UNIMED et USU de Medan.
Références
PERRET (D.), SURACHMAN (H.). — Kota Cina, un site d'habitat ancien du détroit de Malacca. Archéologia n° 551, 2017, p. 20-21.
PERRET (D.), SURACHMAN (H.), OETOMO (R.W.), NASOICHAH (Ch.), SUTRISNA (D.), MUDJIONO. — The French-Indonesian Archaeological Project in Kota Cina (North Sumatra): the 2014-2015 Excavations, Archipel 91, 2016, p. 3-26.
ZHAO (B.). — Étude préliminaire des tessons de céramique de style chinois trouvés à Kota Cina (fouilles franco-indonésiennes de 2011 à 2014). Archipel 91, 2016, p. 27-54.
PERRET (D.), SURACHMAN (H.), SOEDEWO (E.), OETOMO (R.W.), MUDJIONO. — The French-Indonesian Archaeological Project in Kota Cina (North Sumatra): Preliminary Results and Prospects. Archipel 86, 2013, p. 73-111.
CHABOT (Y.), LE DREZEN (Y.), LIMONDIN-LOZOUET (N.), SULISTYANTO (B.). — Reconstitution paléoenvironnementale des dynamiques paysagères durant le dernier millénaire aux abords du site archéologique de Kota Cina (Sumatra-Nord, Indonésie) : résultats préliminaires. Archipel 86, 2013, p. 113-130.
Stéphane Frère
Inrap, Centre archéologique de la Courneuve
UMR 7209 CNRS
stephane.frere [at] inrap.fr
École française d'Extrême-Orient
Centre National de la Recherche Archéologique d'Indonésie
Ministère des Affaires étrangères et du Développement international