Les contrées armoricaines s’inscrivent aujourd’hui parmi les plus prolifiques en Europe en sites archéologiques, grâce à la quête d’un trio de prospecteurs archéologues aériens, Maurice Gautier, Philippe Guigon et Gilles Leroux qui cosignent Les Moissons du ciel – 30 années d’archéologie aérienne aux Presses universitaires de Rennes (PUR). Archéologue à l’Inrap, Gilles Leroux revient sur cette lecture des paysages agraires et des vestiges qu’ils recèlent.

Dernière modification
09 juillet 2020

D’où vous vient ce goût pour l’archéologie aérienne ?

Gilles Leroux : Mon intérêt pour l’archéologie aérienne remonte à la fin des années 1980, grâce aux prospections pionnières de Maurice Gautier dans la vallée de la Vilaine. J’étais alors archéologue à l’Afan. J’ai été également très impressionné par les photographies de Roger Agache, effectuées lors de ses survols de la Somme, à partir du tout début des années 1960, à bord de petits avions d’aéroclubs. Ces clichés avaient montré tout l’intérêt des photographies obliques à basse altitude pour enregistrer le patrimoine enfoui ou arasé.
 

Quel est le cadre de la pratique de l’archéologie aérienne ?

Gilles Leroux : Ce n’est pas une pratique très codifiée. Elle repose toujours sur des initiatives individuelles. Bien qu’étant devenu depuis archéologue à l’Inrap, toute ma production photographique a été faite en bénévole. Maurice Gautier, qui cosigne le livre, est instituteur et également archéologue bénévole. Nous devons adresser une demande d’autorisation de prospection au service régional de l’archéologie (SRA), assortie d’une demande de subvention pour les heures de vol et les coûts en matériels photographiques et en édition pour nos rapports. Pour pratiquer la photographie aérienne, il faut également être inscrit dans un aéroclub. Nous payons le vol et nous obtenons en échange qu’un pilote, en cours de formation dans un aéroclub, nous embarque. De mon côté, je prospecte à l’est, de la Vilaine à la Sarthe, et mon collègue, Maurice Gautier, prospecte vers l’ouest, dans le Centre-Bretagne. Notre trait d’union, c’est notre pilote référent, Philippe Guigon, qui exerce la profession de contrôleur aérien, mais qui est historien archéologue de formation. Il est le troisième auteur du livre.
 

Comment est né ce livre ?

Gilles Leroux : Cela fait dix ans qu’ avec Maurice Gautier, nous pensions à cet ouvrage. La vision d’en haut est extraordinaire. Nous voulions partager avec le public nos points de vue et nos émotions. Il y a bien sûr ce que Roger Agache appelait le « plaisir des yeux », mais il y a aussi la démarche scientifique et la faculté que nous avons acquise de pouvoir lire un paysage : distinguer les apports et transformations effectuées, parfois superposés, sur le substrat géographique des temps les plus anciens aux plus récents. Nous avions des centaines de milliers de clichés à trier et beaucoup de textes à écrire. Il y a quatre ans, nous nous sommes adjoints les forces de Philippe Guigon, lequel nous a aidés à convaincre les Presses universitaires de Rennes (PUR) de réaliser le livre, puis nous a aidés à écrire les textes et les notices d’accompagnement des 400 photographies. Les SRA Bretagne et Pays de la Loire, qui sont impliqués dans chacune de nos prospections, nous ont chacun accordé une subvention. Dominique Garcia, le président de l’Inrap, et Claude Le Potier, le directeur interrégional Grand Ouest, nous ont beaucoup soutenus car ils ont tout de suite vu l’intérêt du livre, directement centré sur des problématiques de l’archéologie préventive. L’Inrap a beaucoup contribué en nous offrant les services de dessinateurs et de cartographes du centre de Rennes, Emeline Le Goff, Stéphane Jean et Arnaud Desfonds, et de boucler le livre en quelques mois.
 

Pourquoi voit-on les sites archéologiques en avion ?

Gilles Leroux : Nous survolons principalement des couvertures végétales, des cultures. Pour 90 %, ces sols sont des champs cultivés, et pour 10 % des zones boisées. Si les cultures sont situées sur des sols peu épais et des sous-sols desséchants, schisteux notamment, les différentes plantes vont réagir très vite aux sécheresses, dès la fin du printemps. La surface des champs va mûrir régulièrement, sauf à l’aplomb des vestiges ou des fossés creusés dans le sous-sol qui vont piéger l’humidité. Ici, les traces vont rester vertes plus longtemps. De plus, au moment de la montaison, les plantes vont croître plus haut à l’aplomb de ces fossés. On verra donc non seulement des différences de couleur, mais aussi de hauteur. C’est ce phénomène-là et uniquement celui-là, qui permet de voir les vestiges. Cela explique pourquoi la photographie aérienne est une pratique saisonnière. Elle dépend du niveau de sécheresse des sols qui rend visibles ces anomalies phytologiques.

Qu’est-ce que l’archéologie aérienne peut apporter à l’archéologie préventive ?

Gilles Leroux : Plus des trois quarts des sites archéologiques que nous avons photographiés étaient totalement inconnus et de nombreux diagnostics et fouilles préventives ont pour origine nos découvertes. L’archéologie aérienne est donc par essence de l’archéologie préventive et elle n’est pas destructrice. Nos prospections sont suivies de rapports pour lesquels nous produisons une fiche de site avec les coordonnées géographiques Lambert, un plan cadastral, une fiche de découverte avec un extrait de la carte IGN et nos photographies aériennes. Ces fiches sont ensuite inventoriées par les services régionaux de l’archéologie et intégrées dans la Carte archéologique nationale. Une fois identifiés, ces sites sont protégés par des demandes de zones non constructibles dans les plans locaux d’urbanisme, ou bien, ils font l’objet de sondages et de fouilles préventives dans le cadre de projets d’aménagement, ou encore, dans des cas de découvertes exceptionnelles, ils font l’objet de fouilles programmées.

Que voit-on de tout là-haut ?

Gilles Leroux : C’est une vision à une autre échelle. On embrasse des milliers d’hectares d’un coup. La prospection aérienne n’a pas la finesse d’une opération archéologique, mais on perçoit les développements et la densité archéologique, bien au-delà de l’emprise d’une fouille : les habitats, les nécropoles associées, les parcellaires, les voies et chemins d’accès. Toute cette information a une très grande valeur pour la fouille et l’étude de chaque site. En altitude, on voit que les vestiges archéologiques sont très nombreux. Ils sont cependant inégalement représentés. Leur concentration dépend de la richesse des sols. Les bassins fluviaux sont les plus habités et les plus riches en vestiges archéologiques, à la différence des zones situées loin de ces réseaux hydrographiques, sur des sols souvent déshérités. Cette absence de vestiges a aussi une valeur sur le plan préventif. Toutefois, sur des terres limoneuses et relativement épaisses, les plantes vont moins réagir et les vestiges seront invisibles en avion.
Sur un autre plan, les périodes, vues d’en haut, sont inégalement visibles. Le Paléolithique nous échappe complètement, car on ne peut pas bien sûr détecter des amas de silex. Les périodes les plus anciennes reconnues remontent au IIIe millénaire avant notre ère. Un accent très fort a été mis sur l’âge du Fer qui représente un tiers des découvertes et des notices de l’ouvrage. La vue aérienne apporte ici beaucoup de nouveautés puisqu’elle a permis de révéler des milliers d’enclos et de voir que les campagnes du Massif armoricain ont été très largement occupées depuis la Protohistoire. La période de l’Antiquité semblait la mieux connue, mais la vue aérienne a permis de détecter encore de nombreux sites inédits et des voies de toute nature et de fonction.
 

La pratique de la photographie aérienne est-elle concurrencée par celle des drones ?

Gilles Leroux : Beaucoup de collègues utilisent ponctuellement le drone. Le drone a une autonomie très limitée en temps et il n’a pas le droit de voler au-dessus de 150 m d’altitude, ce qui est le seuil qui détermine l’entrée dans l’espace aérien. Nous, nous pouvons voler pendant cinq, six, voire sept heures d’affilée et couvrir de grandes surfaces. Nous prospectons généralement à 300 ou 400 m d’altitude. Nous montons quand nous voulons photographier un site étendu et nous nous rapprochons du sol, quand nous voulons photographier un détail, par exemple un petit temple. Le drone n’est donc pas concurrentiel. Il est complémentaire.
 

Quels ont été vos plus grands étonnements, là-haut ?

Gilles Leroux : Il y en a eu beaucoup, mais j’en citerais deux. Le premier est positif. On était au mois de juin 2011. Les cultures arrivaient à maturité, mais les indices de sites se faisaient rares. La fatigue s’installait, mais nous avons décidé d’aller tout de même inspecter une parcelle, à 4 ou 5 km à vol d’oiseau, dont le dessèchement s’imposait à la vue. Une fois à l’aplomb, il n’y avait plus de doute possible : une énorme maison néolithique, de 52 m de long sur 17 de large, avec une vaste palissade, se détachait sur un champ de luzerne. Les bourrasques étaient malheureusement trop fortes pour réaliser les virages et les prises de vue habituelles, de sorte que nous avons dû nous poser sur l’aérodrome de Saumur. Nous sommes repartis en début de soirée pour réaliser cette fois un bon enregistrement. Cette occupation, à Louresse-Rochemenier (Maine-et-Loire), a fait depuis l’objet d’une fouille programmée. Il s’agit d'un site domestique structuré du Néolithique final (vers 3000 – 2500 avant notre ère) et la première attestation d'une construction de type Antran (Centre-Ouest) en Pays de la Loire. C’est une de nos découvertes les plus importantes.

Ma deuxième surprise remonte au mois de juin 2001 et elle révèle notre incroyable naïveté d’alors. Nous remontions tranquillement la vallée de la Vilaine, lorsqu’un grand menhir s’est offert à nos yeux. Nous l’avons photographié et il a été inclus dans notre rapport annuel de prospection et intégré dans la Carte archéologique nationale. L’année suivante, alors que nous survolions de nouveau la zone, le menhir avait disparu ! Nous avons appris depuis qu’il avait été construit pour servir de décor dans la série télévisée Le Champ dolent. Ce monument en carton-pâte repose aujourd’hui à l’entrée du village de Saint-M’Hervé.

 Gilles Leroux, Philippe Guigon, Maurice Gautier.

Les auteurs, de gauche à droite : Gilles Leroux, Philippe Guigon, Maurice Gautier.

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Françoise Leroux