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« HABATA », un voyage à travers l’habitat aux âges des métaux
Labellisée « L’Inrap a 20 ans », l'exposition « HABATA » est présentée à la Maison de l’archéologie de Dainville. Yann Lorin (archéologue à l’Inrap) et Emmanuelle Leroy Langelin (archéologue au département du Pas-de-Calais) reviennent sur sa réalisation et la conception d’un dispositif innovant de réalité virtuelle immergeant les visiteurs dans le quotidien de l'intérieur d'une maison de l'âge du Bronze.
Comment est né ce projet d’exposition ?
Yann Lorin : Les fouilles m'amènent à intervenir essentiellement sur la période protohistorique, en particulier sur l’âge du Bronze, en région Hauts-de-France. Nous sommes membres de l’UMR de l’université de Lille, HALMA, où nous participions à un atelier « âge du Bronze » qui a évolué vers un projet collectif de recherche (PCR) permettant de revoir les données de l’habitat compris entre l’âge du Bronze, le premier âge du Fer et La Tène ancienne, soit entre 2 500 à 250 avant notre ère. Ce projet, « Habata », que Emmanuelle et moi coordonnons depuis six ans, a donné lieu à une exposition itinérante. Une première étape de l’exposition en 2019 à la maison de la culture de l’Université de Lille a précédé celle qui est visible actuellement à Dainville, à la maison de l’archéologie du Pas-de-Calais.
Emmanuelle Leroy-Langelin : Je suis responsable d’opération, spécialisée sur la période protohistorique, au département du Pas-de-Calais. Nous avons mis en place ce projet rassemblant 25 chercheurs de la région. À la demande du SRA, nous avons travaillé aussi à valoriser nos données auprès du grand public et partager les résultats obtenus au travers d'une exposition itinérante contenant des objets provenant exclusivement de fouilles ou de musées des Hauts-de-France. Nous sommes partis d’un format d’exposition classique que l’on a étoffé avec un projet complémentaire d’immersion 3D pour attirer un jeune public et le sensibiliser à des objets et à des savoirs parfois un peu arides.
Comment décrire cette exposition ?
Emmanuelle Leroy Langelin : Nous avons organisé le parcours en quatre parties, d’après les travaux que nous menions par groupes thématiques dans notre PCR. La première de ces parties concerne l’évolution de l’habitat et de l’architecture, de l’âge du Bronze jusqu’au début de La Tène ancienne, sachant qu’il s’agit essentiellement de maisons de terre et de bois. La seconde concerne l’intérieur de ces maisons, la vie domestique, avec quelques activités et des objets de la vie quotidienne. La troisième a trait à l’environnement, aux activités des hommes dans leur milieu naturel, comme l’agriculture, la pêche, la chasse. Enfin la quatrième concerne l’artisanat en général : la métallurgie évidemment, l’artisanat du textile et tout ce qui est lié à la parure.
Une structure d'immersion au coeur de l'exposition : le visiteur coiffe un casque de réalité virtuelle et se plonge dans le quotidien de nos personnages. Il retrouve les vestiges archéologiques présentés en vitrine et les activités associées.
© Université de Lille, Inrap
Quels types de pièces sont présentées ? D’où proviennent-elles ?
Yann Lorin : Nous avions le souci de faire un point sur les nouvelles découvertes et de nous renouveler par rapport à la dernière exposition sur l’âge du Bronze, « Boat 1550 BC » (Boulogne) qui datait de 2012, autour d’une reconstitution de bateau de l’âge du Bronze moyen qui avait été découvert à Douvres en Grande Bretagne. Les expositions qui se consacrent à l’âge du Bronze et à l’âge du Fer présentent surtout des objets métalliques. Or, en contexte préventif, les dépôts d’objets métalliques, comme celui récent de Ribécourt-Dreslincourt, sont relativement rares en Hauts-de-France. Notre parti-pris était aussi de représenter un panel d’objets plus large, avec d’autres matériaux. Nous avons cherché à montrer des pièces qui sont inconnues du public, récemment fouillées ou rarement présentées, comme celles qui proviennent du dépôt de Lyzel, découvert au XIXe siècle près de la gare de Saint-Omer (Pas-de-Calais), qui avait un peu disparu des inventaires.
Dépôt de Lyzel.
© S. Lancelot, Inrap
Dépôt de Lyzel.
© S. Lancelot, Inrap
Vase de l’âge du Bronze, site de Maroeuil.
© Y. Lorin, Inrap
Excepté le dépôt de Lyzel, nous ne voulions pas particulièrement présenter des pièces « spectaculaires », mais des objets permettant de documenter la vie quotidienne : des récipients en céramique, des poids de métiers à tisser, des fusaïoles, des aiguilles, des objets en matière dure animale. Ou encore des armatures de flèche, des hameçons... Cet effort est représentatif de la génération des archéologues qui participent à l’archéologie préventive. Nous avons eu des prêts des musées de Saint-Omer, de Compiègne, de Soissons, de Picardie, de Douai (Arkéos), mais l’intérêt était de présenter beaucoup d'objets issus de fouilles préventives qui ne sont pas encore versés dans les collections des musées, provenant des centres Inrap, du CCE du Pas-de-Calais, du Service municipal d'Arras, du CCE de Ribemont-sur-Ancre...
Pesons cylindriques de l’âge du Bronze.
© G. Naëssens, Université de Lille
Pesons prismatiques de La Tène ancienne.
© S. Janin-Reynaud, Conseil Départemental du Pas-de-Calais
Zoom sur une empreinte de tissu sur argile.
© Direction de la Valorisation, Université de Lille
L’exposition comporte une partie immersive ?
Emmanuelle Leroy Langelin : C’est l’« objet phare » de l’exposition qui n’est d’ailleurs pas un objet. L'objectif était de créer un lien émotionnel avec les objets que l’on découvre en fouille et de représenter ce quotidien du passé d’après l’image que s’en font les scientifiques. Les pièces qui sont présentés dans les vitrines prennent vie dans cette immersion grâce aux personnages qui les font bouger et les replacent dans leur contexte. Cela permet de comprendre l'usage des objets exposés qui ne sont pas particulièrement spéciaux ou « jolis », mais qui prennent ainsi du sens, une fois en mouvement dans la vie de tous les jours.
Structure de l’immersion en réalité virtuelle.
© L. Dewimille, Conseil Départemental du Pas-de-Calais
Le point de départ du synopsis est un orage soudain qui fait entrer le visiteur dans une maison. On visite cette maison ronde de six ou sept mètres de diamètre, dans laquelle des gens mènent leurs activités du quotidien : une femme sur un métier à tisser représentée de la manière la plus réaliste possible, un personnage en train de dormir, un personnage mouillé par la pluie qui vient se réchauffer près du feu, où un personnage qui pourrait être sa fille fait la cuisine. C’est un cliché, mais cela s’approchait du vraisemblable. Enfin, il y a un dernier personnage qui rentre par l’accès secondaire pour chercher une hache. À travers ces activités on découvre comment était organisé l’espace intérieur de la maison, où étaient par exemple stockées les denrées comestibles.
Animateur et acteur : l’animateur a endossé sa combinaison et joue le rôle du personnage d’accueil. Il doit trouver les bons gestes et le bon timing pour créer une animation fluide et réaliste. Il sera entièrement relooké par informatique.
© Yann Lorin, Inrap
Quelle est la valeur scientifique de cette immersion ?
Yann Lorin : L’exercice est ardu car il demande de faire le point sur toutes les connaissances. Sur le plan architectural, on n’a peu de vestiges conservés de l'élévation d’une maison. Il faut proposer quelque chose qui soit crédible avec les techniques de l’époque. Sur le plan des activités, il y a les récipients très variés que l’on trouve en fouille que l’on peut relier à du stockage ou à des préparations culinaires ou à la présentation ou à la consommation des denrées. Il n’y a qu’une partie des objets qui sont remontés jusqu’à nous. Il y a encore tout un pan de la vie quotidienne que l’on connaît mal, raison pour laquelle on fouille. Il y a donc forcément une part d’hypothèse, de prospective, voire d’imagination, car en 3D, il faut la totalité d’une image représentant concrètement la vie quotidienne. Lorsque ce projet est montré à des groupes sur place, cela permet de faire le point sur les faits quasi certains et a contrario sur des hypothèses. Nous avons beaucoup discuté avec des collègues qui sont très enthousiastes mais qui se rendent compte des difficultés de l’exercice. Il faut s’autoriser, oser le proposer, mais tout type de représentation ou de restitution, un dessin, une photographie, oblige à faire des choix. On utilise les outils de notre époque, mais les choix scientifiques sont les mêmes ! Avec le virtuel, nous avons d’ailleurs la possibilité à tout instant de modifier et d’affiner nos représentations.
Tournage, motion capture : l’animatrice du parc de Samara (Somme) reproduit les gestes d’une tisserande de l’âge du Bronze sur son métier à tisser vertical expérimental.
© Yann Lorin, Inrap
Une structure d'immersion au coeur de l'exposition.
© Yann Lorin, Inrap
Écran de contrôle : les gestes des animateurs sont enregistrés. Il faut minuter la séquence en prévision de la création d’une immersion 3D de quelques minutes.
© Guilbert/Habata, Inrap
Emmanuelle Leroy Langelin : Dans nos rapports de fouilles, nous devons toujours être très factuels, au plus près de ce que l’on observe sur le terrain et ne dire que des choses certaines. Ici, il y a une liberté que l’on ne rencontre pas dans le travail opérationnel. Nous sommes partis des Hauts-de-France, du plan d’un bâtiment que l’on a découvert et qui existe. C’était la seule base, mais qui nous a donné les dimensions de la maison. Cette partie était assez simple, mais pour décrire la vie quotidienne à l’intérieur de cette maison, il a fallu, chercher des informations que l’on n’a pas en région Hauts-de-France, des données qui hors contexte peuvent paraître fausses ou brouillées aux yeux de certains scientifiques. Nous l’avons assumé, car il s’agit d’une proposition de restitution et non la réalité. Par exemple, nous avons mentionné un personnage qui dormait. Comment représenter un homme qui dort alors que nous n'avons pas de trace de lit ? Comment le représenter ? À même le sol ? Sur du foin ? Sur du bois ? Nous avons fait le choix de l’équivalent d’un matelas et qui est recouvert de tissu.
Quel public vient voir l’exposition et quelles sont les réactions ?
Emmanuelle Leroy Langelin : Comme l’exposition est actuellement présentée au Département, nous travaillons beaucoup avec des collèges, mais nous profitons aussi de cette occasion pour monter des conférences sur l’âge du Bronze dans les Hauts-de-France, ou des cafés-archéo. Le public est très réceptif. Ce qui est surprenant est le temps passé au casque VR. Certaines personnes ne le supportent pas longtemps, alors que les enfants a contrario peuvent regarder beaucoup de détails et consacrer un temps important à la visite.
Yann Lorin : Il y a aussi des adultes, des personnes âgées notamment, qui en chaussant le casque, retrouvent une âme d’enfant. C’est un dispositif complexe à mettre en place mais qu’il est très facile de s’approprier. Le casque offre une expérience très différente de celle d’un film en relief, car il permet une mobilité, de se balader dans un environnement donné, de s’allonger pour regarder le plafond par exemple, de choisir son point de vue. Chaque immersion est personnelle, chaque personne va découvrir cet univers à sa manière, de manière plus ou moins curieuse, en fonction de sa sensibilité.
HABATA : dans la maison gauloise de Samara. Les préparatifs de la motion capture – scénario, capteurs, branchements et repères – sont en place. Tout est prêt pour tourner une nouvelle séquence dans l’une des habitations reconstituées du parc archéologique.
© Yann Lorin, Inrap
Ce dispositif donne-t-il envie de faire de l’archéologie ?
Yann Lorin : C’est difficile à dire, mais cela donne envie de voir le reste de l’exposition, les vitrines que nous avons déjà évoquées, mais aussi toute une palette d’animations réalisées à partir de techniques innovantes. Par exemple, nous présentons une hélice 3D ou holographique, un dispositif qui permet de choisir un objet, de le présenter sur un plateau, de déclencher un signal à partir duquel une animation 3D montre à quelle activité l’objet sélectionné correspond. Il y a un très beau dispositif qui a été mis en place par le département qui consiste à faire participer les enfants à une restitution de maison en Lego sur la base de plans archéologiques. Il y a également une table de manipulation tactile, avec des questions-réponses, ou l’on « touche » des objets, des vases, du tissu… Encore une autre manip sur la métallurgie. Pour les quatre thèmes il y a une animation. Les enfants sont souvent attirés par ces activités et reviennent par la suite aux vitrines pour mieux comprendre les objets. Dans certains cas, ils vont directement dans l’espace 3D pour après revenir à l’exposition, ce qui est l’objectif que nous souhaitions atteindre.
Table jeux Lego.
©Y. Cadart, Conseil Départemental du Pas-de-Calais
Table de manipulation.
© Y. Cadart, Conseil Départemental du Pas-de-Calais
Table de manipulation métallurgie.
© Y. Cadart, Conseil Départemental du Pas-de-Calais
Y aura-t-il des suites à l’exposition « Habata » ?
Yann Lorin : À court terme, la maison virtuelle va rejoindre une autre exposition, « Archéo-Contentin, la conquête d’une presqu’île, 300 000 avant notre ère », à Cherbourg, de novembre 2022 à mars 2023. Sinon, Nous avons à l’esprit depuis longtemps de sortir de la maison et de proposer la visite d’un village complet de l’âge du Bronze. C’est le même travail, mais tout le développement est multiplié, ce qui soulève des questions de budget. Nous pourrions développer la représentation d’une chaîne opératoire de fabrication de textile de l’âge du Bronze avec différents espaces de travail, montrer un espace funéraire, l’artisanat du métal… C’est quelque chose de possible, nous avons une documentation abondante sur le sujet.
Synthèse 3D : Paul Jacques Yves Guilbert
Animation 3D : Étienne Landon
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- L’exposition comporte une partie immersive ?
- Quelle est la valeur scientifique de cette immersion ?
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- Ce dispositif donne-t-il envie de faire de l’archéologie ?
- Y aura-t-il des suites à l’exposition « Habata » ?