Hagard, le personnage central de la BD imaginée par Gilles Prilaux, est un collégien, petit « enquêteur de l’histoire ». Dans ce second numéro, Panique au Paléolithique, il est propulsé dans un lointain passé sur trois hauts lieux de la Préhistoire de la Somme. Pascal Depaepe, directeur de l'Inrap Hauts-de-France et référent scientifique du scénario et des dessins, nous entraîne dans les coulisses de cet album.

Dernière modification
13 septembre 2021

Quel est le propos de ce nouvel album de Hagard Panique au Paléolithique ?

Pascal Depaepe : La série des voyages d'Hagard se propose d'expliquer l'archéologie à des élèves de 6e (mais pas seulement , tout le monde peut la lire !) en partant des sites archéologiques qui se trouvent dans le département de la Somme, même si les sites en question sont très importants et ont une portée qui va bien au-delà. Un site gaulois comme Ribemont-sur-Ancre qui a fait l'objet de la première bande dessinée ou les trois sites paléolithiques qui font l'objet de ce deuxième album, sont des sites préhistoriques majeurs à l'échelle française et internationale. La Préhistoire ancienne est très richement représentée dans le nord de la France, et pas seulement, comme on le croit souvent, en Dordogne et dans le Périgord.


Quels sont ces trois sites ?

Pascal Depaepe : Le premier est Moulin-Quignon qui permet de parler de Jacques Boucher de Perthes, que l'on peut considérer comme l'inventeur en France de la Préhistoire en tant que discipline et science. Boucher de Perthes est un personnage extrêmement important dans le monde entier et l'histoire de la mâchoire humaine trouvée en 1863 à Moulin-Quignon (qui s'est révélée être un faux à l'insu du préhistorien), a créé des polémiques sans fin à l'époque. Ce célèbre « procès de la mâchoire » offre le cadre de la première aventure du brave petit Hagard.

Le deuxième et le troisième sites, Caours et Renancourt, présentent l'avantage d'être encore fouillés actuellement (fouilles programmées) par des archéologues de l'Inrap, Jean-Luc Locht pour Caours et Clément Paris pour Renancourt. Le site de Caours est extrêmement important et réputé, car il s'agit d'un site néandertalien en période chaude (légèrement plus chaude qu'actuellement), ce qui en France est rarissime, les autres grands sites se trouvant en Allemagne. Cinq occupations néandertaliennes s'y sont succédé entre 125 000 et 115 000 ans avant J.-C., durant l'épisode interglaciaire de l'Éémien (de la rivière Eem en Allemagne). Enfin, le site d'Amiens-Renancourt, daté du Paléolithique supérieur ancien (Gravettien, vers 24 000) s'est fait connaître par la découverte d'un campement de chasseurs qui a probablement servi d' atelier de production de statuettes. Une quinzaine de « Vénus » gravettiennes rarissimes ont été découvertes sur ce site depuis 2014, dont l'une des plus complètes a été mise au jour en 2019 et a eu un retentissement mondial.


 

Comment le personnage de Hagard se trouve-t-il catapulté sur ces sites archéologiques ?

Pascal Depaepe : Dans le synopsis de la bande dessinée, une classe de collège gagne un concours dont le prix est une visite avec un archéologue sur ces sites. C'est ainsi que l'on rencontre Jacques Boucher de Perthes à Moulin-Quignon, Jean-Luc Locht à Caours et Clément Paris à Renancourt. Hagard est un élève de cette classe de 6e qui est atteint de narcolepsie. Il s'endort au cours de ces visites ou bien dans le paléo-van qui les y emmène, mais c'est un narcoleptique de bande dessinée qui se réveille dans le passé où il vit des aventures : les « voyages » d’Hagard.

couv_hagard_page_a_page-1.png


Quel a été votre rôle dans cet album ?

Pascal Depaepe : Nous sommes une équipe de quatre : Gilles Prilaux, archéologue de l'EPCC de Somme-Patrimoine, qui a eu l'idée et lancé le projet, Greg Blondin, le dessinateur, Mathieu Lavalée qui est professeur d'histoire-géographie dans un collège et qui est le scénariste, et moi qui suis le référent scientifique. J'ai participé à l'élaboration du scénario, à sa validation scientifique et à celle des dessins, ainsi qu'à la réalisation des pages intermédiaires. À l'issue de chaque voyage, il y a une double page, les « Explications d'Hagard », qui n'est pas vraiment de la bande dessinée et qui permet, sur huit à dix thèmes, d'apporter des éclaircissements aux enseignants et aux élèves, par exemple sur l'anatomie de Néandertal, ce qui ne passerait pas dans une case de bande-dessinée. C'est un mini-manuel d'archéologie préhistorique, qui va être édité à 13 000 exemplaires, dont 8 000 seront distribués gratuitement aux élèves de 6e du département de la Somme.

Hagard, Panique au Paléolithique, planche de travail.


C'est donc un travail de vulgarisation scientifique ? Comment avez-vous procédé ?

Pascal Depaepe : Je suis archéologue, préhistorien avec une spécialité sur Néandertal. C'est un travail qui m'a pris du temps. Je recevais des propositions de texte, par exemple sur les explications d'Hagard, que je corrigeais ou validais, tout en faisant moi-même des recherches spécifiques sur le sujet. J'ai examiné la valeur scientifique des dessins, si les paysages étaient de type interglaciaire, ou si les cornes des aurochs étaient bien en forme de lyre, etc. J'ai fourni aux dessinateurs des dessins, des reconstitutions, des photographies de silex taillés. J'ai veillé à ce que l'album soit parfaitement exact, du moins en fonction des connaissances scientifiques appréciées à ce jour. Ce n'est donc pas une Préhistoire gratuite ou fantasmée, à la Tounga ou à la Rahan, même si je les apprécie également, ce sont des données prouvées par les recherches les plus récentes. Prenons par exemple la génétique : nos homo-sapiens de Renancourt sont grands et noirs de peau. On n'a pas de données génétiques précises sur les Gravettiens, mais s'ils sont arrivés d'Afrique huit ou dix-mille ans avant, il n'y a pas de raison qu'ils soient devenus blancs en si peu de temps. En Europe, la peau noire est attestée jusqu'à -10 000-12 000 ans. Ce sont des informations intéressantes qui permettent aussi d'infuser de l'humanisme et de l'altérité dans nos sociétés souvent trop regardantes sur la couleur de la peau et les différences. Quand Hagard, un Sapiens comme nous, rencontre des enfants néandertaliens, ceux-ci se moquent gentiment de lui parce qu'il est différent d'eux, mais cela ne soulève pas de problème et Hagard fait partie du clan. Cela ne signifie pas pour autant que Néandertal était un ange ou un écologiste avant l'heure qui se serait effacé devant des sapiens violents et arrogants, discours que l'on entend parfois, y compris chez certains scientifiques.

« Kinga », femme néandertalienne, reconstitution de l’artiste plasticienne Elizabeth Daynès.

« Kinga », femme néandertalienne, reconstitution de l’artiste plasticienne Elizabeth Daynès.

©

Muséum Nantes


 

Boucher de Perthes invente l'« homme antédiluvien ». Quel est le rapport de ce dernier avec Néandertal ? 

Pascal Depaepe : Boucher de Perthes est un personnage vraiment très particulier. Il n'est pas du tout scientifique de formation, mais c'est un militaire et un directeur de douanes qui a eu une vie très romanesque : amant d'une des sœurs Bonaparte, agent secret pour le compte de l'empereur, poète... C'était un homme de son temps qui fréquentait les sociétés savantes et qui un jour a croisé Casimir Picard et le docteur Marcel Rigollot qui s'intéressaient à l'archéologie. Boucher de Perthes a eu l'intelligence de montrer que l'accumulation stratigraphique signifiait quelque chose et que l'on pouvait trouver des objets manifestement façonnés par des êtres humains à des profondeurs extrêmement importantes et associés avec de la faune qui n'était pas censée exister dans la région, d'où la faune d'avant le déluge, d'où l'« homme antédiluvien » que l'on retrouve par exemple dans le Voyage au centre de la Terre de Jules Verne. Toutes ces théories sont d'ailleurs anciennes et participaient de l'air du temps. Depuis le Moyen Âge, il y avait des discussions sans fin sur le problème de la Genèse. Adam est l'ancêtre des sémites, mais avant il y en a d'autres, d'où la théorie des pré-adamites qui a pris beaucoup de place dans les discussions du XIXe siècle qui ont tout naturellement associé ces derniers aux Néandertaliens, tandis que nous aurions été les adamites, et ils ont aussi considéré que les plus proches des Néandertaliens étaient les aborigènes australiens, selon une théorie de la hiérarchisation des races qui a pris corps dans la moitié du XIXe siècle.


Vous êtes archéologue, mais aussi historiographe de Néandertal. Celui-ci ne souffre-t-il pas encore aujourd'hui de certains préjugés ?

Pascal Depaepe : Mon approche, celle de l'exposition dont j'ai été commissaire avec Marylène Patou-Mathis au musée de l'Homme (Néandertal, l'expo, 2018-2019) est que Néandertal n'était ni inférieur, ni supérieur, mais qu'il était différent. Je suis un grand fanatique des bandes dessinées archéologiques et des romans qui ont pour sujet le Paléolithique, que ce soit Néandertal ou Cro-Magnon. Si l'on examine cette littérature, on constate qu'elle n'est jamais centrée sur Néandertal tout seul, mais toujours sur la rencontre de Néandertal et de Cro-Magnon, comme si nous étions incapables d'imaginer que Néandertal s'est passé de nous pendant 300 000 ans, de le penser sans le phénomène de la rencontre avec nous-mêmes. À l'inverse, il y a des écrivains qui arrivent à parler de Sapiens ou de Cro-Magnon, sans parler de Néandertal et des autres. On assiste tantôt à une survalorisation des Néandertaliens, par rapport à des Sapiens vus comme des brutes épaisses, tantôt, mais c'est plus rare, à une infériorisation des Néandertaliens perçus comme des abrutis sanguinaires. Aujourd'hui, il y a encore du chemin à faire. Même le dictionnaire de l'Université d'Harvard, outre la définition scientifique,  signale toujours l'usage péjoratif du mot « Neandertal » pour caractériser un être frustre, grossier et sans culture. En mars dernier, le président Biden l'a encore utilisé en comparant ceux qui refusaient de se faire vacciner contre la Covid 19 à des Néandertaliens. Pauvres Néandertaliens qui n'ont rien demandé à personne ! Au XIXe siècle, la question se posait différemment, parce qu'il était difficile de concevoir un autre humain, a fortiori si celui-ci avait disparu. Il faut s'intéresser à ces débats, parce qu'ils éclairent la conception d'une époque qui n'a guère que 150 ans. De toute façon, l'objectivité totale est une chimère :  quoique l'on fasse, on est toujours conditionné par son environnement culturel et sociologique. Nous regardons Néandertal avec des yeux de Sapiens actuels et quand on l'observe, on a toujours envie de se comparer. Est-ce la bonne solution ? Moi même, je tombe souvent dans le piège, mais en ai-je seulement le choix.  La comparaison est valable, tant qu'elle ne mène pas à établir des échelles de valeur.  

Lundi 13 septembre à 14h
Lancement officiel de l'album sur le site de la fouille programmée de Jean-Luc Locht à Caours, en présence de  Stéphane Haussoulier, président du Département de la Somme, et de Dominique Garcia, président de l'Inrap, et d'une classe de 6e du département.

Dessinateur : Greg Blondin
Scénario : Mathieu Lavallée professeur d’histoire à Amiens
Validation scientifique : Pascal Depaepe