En Seine-Saint-Denis, cinq classes de collège ont pu s'initier à l'archéologie dans le cadre du dispositif départemental « Culture et art au collège » et d’un Parcours d’éducation artistique et culturelle (Péac). L'inrap participe à ce programme en accompagnant les 28 élèves d'une classe de 6e du collège Jean-de-Beaumont à Villemomble autour de vestiges de l’ancienne usine Christofle. À l’Inrap, Héloïse Mathat, technicienne de recherche archéologique, et Sally Secardin reviennent sur ce parcours.

Dernière modification
04 juin 2019

Comment est né ce projet d’accompagnement d’une classe de 6e autour d’un projet d’archéologie moderne ?

Sally Secardin : L’association F93 a répondu à un appel à projet « Culture et art au collège » du département de Seine Saint-Denis en proposant l’initiative « Plus que présent », un parcours d’éducation artistique et culturelle (Péac) centré sur la recherche en archéologie contemporaine à l'attention de cinq classes de collégiens de la 6e à la 3e. Le projet s’est fixé sur les vestiges de l’usine d’argenterie Christofle dont les poinçons, les matrices et les moules avaient été récupérés par le service archéologique départemental. Ils ont été versés aux trois quarts au musée de Saint-Denis, mais une partie restait à étudier dans un local de service du dépôt. Chaque classe a eu des vestiges à étudier. L’Inrap a accompagné la classe de 6e du Collège Jean de Beaumont de Villemomble. Nous sommes intervenus sept fois en classe et une fois dans l’ancienne usine Christofle.

Qu’ont fait les élèves en classe ?

Héloïse Mathat : Le but de toutes ces interventions était de donner aux élèves une compréhension du métier d’archéologue en appliquant ses méthodes à l’étude des vestiges de l’ancienne usine. La classe a été répartie en sept groupes qui ont travaillé sur des ensembles de mobilier constitués de poinçons, de moules de plats, d’une matrice de couverts et de pièces de machines comme des pivots qui étaient a priori plus difficiles à interpréter. La première étape a consisté pour chaque groupe à laver tout ce mobilier sale et graisseux, puis à l’étudier. Des empreintes des motifs des poinçons ont été réalisées, ainsi que des photographies des poinçons. Le mobilier a été mesuré, pesé, dessiné, y compris les signes sur les poinçons et tous ces résultats ont été reportés dans un inventaire. Les groupes ont été ensuite invités à faire des hypothèses, voir par exemple si des pièces s’emboitaient. Les résultats de tous ces conciliabules ont été reportés dans un cahier illustré qui faisait office de « rapport de fouilles ». Les élèves se sont beaucoup amusés à manipuler la matrice, parce qu’il s’agit d’un objet très lourd. Et l’interprétation des motifs de fruits et de fleurs des poinçons n’était pas immédiate : ils voyaient des têtes de lapins…

Et comment s’est déroulée la visite de l’usine ?

Sally Secardin : L’implantation particulière de l’usine Christofle, en centre-ville et au bord du canal, avait été préalablement étudiée en classe. Nous souhaitions que les élèves aient une approche globale de l’usine, dans la ville et dans le département. Ce qui est intéressant, c’est que ces couverts étaient composés d’un alliage de métaux comprenant du nickel. Et ce nickel était importé de Nouvelle-Calédonie, transitait par les mers puis par la Seine et le canal Saint-Denis et arrivait juste devant l’usine, située entre le canal et la voie ferrée. Cela permettait de replacer l’usine dans l’économie de l’époque. L’organisation générale des bâtiments était intéressante également à étudier, avec les bâtiments pour loger les ouvriers et la maison du directeur à l’avant, mais aussi le rôle des mutuelles, l’accès à l’éducation, tout cela dans le contexte de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle.

Héloïse Mathat : La visite consistait en une étude archéologique de la structure d’une des salles de l’usine avec Régis Touquet, un topographe de l’Inrap. Il s’agissait de relever et d’expliquer des traces d’anciennes machines sur le sol. Les élèves devaient reproduire à l’échelle 1/20e sur un papier millimétré les traces et l’emprise d’une machine qui produisait des couverts en série, puis bâtir ensuite une hypothèse en comparant leur relevé avec d’anciennes photographies du site. Il est apparu que cette étude de relevé était très difficile pour les élèves, à cause des calculs de mise à l’échelle et de la notion de perpendicularité. Ils l’ont davantage appréciée ensuite quand ils ont appréhendé la finalité archéologique du dessin. Pendant la visite, ils étaient très intéressés par les relevés au laser, qui prenait des photos dans toutes les directions, et aussi par des asperges géantes, une œuvre d’un des artistes installés sur le site.

Quelles sont les questions que se posent les élèves en matière d’archéologie ?
 

Sally Secardin : C’est une classe très dynamique, avec des élèves curieux et vifs d’esprit. On ne pouvait absolument pas prévoir à l’avance leurs réactions par rapport à l’archéologie. Dès la première séance, certains ont posé des questions très pointues. Quelle est la différence entre l’archéologie funéraire et la profanation de tombes ? Si, au cours d’un diagnostic, on n’étudie que 10% du terrain, est-ce qu’on ne risque pas de passer à côté d’une découverte? Et que se passe-t-il si on construit une maison sur les vestiges archéologiques ? Il y a eu aussi toute une discussion sur la propriété des objets archéologiques et sur le « trésor ». Qu’est-ce que le trésor ? Un bien matériel ou immatériel ? Est-ce que l’archéologie, ce n’est pas une dépense de beaucoup d’argent pour rien ? Et si l’archéologue ne trouve rien, est-ce qu’il est payé ? Il a fallu longuement expliquer que l’archéologue était payé non pour trouver mais pour chercher.

Héloïse Mathat : Nous avons aussi eu des discussions sur l’interprétation, sur le vrai, le faux et la preuve scientifique. Par chance, il y avait une documentation : il était possible de confronter la recherche archéologique des élèves avec un plan de l’usine et des textes du XIXe siècle. Cela a montré aux élèves que l’on ne peut pas se baser uniquement sur de l’écrit, car ces textes ne suffisaient pas. Lors de la dernière séance, en classe, nous avons essayé de leur faire comprendre ce raisonnement en partant d’objets du présent. Pour expliquer la démarche scientifique de l’archéologue, nous avons fait comme si notre civilisation avait disparu et qu’ils étaient des archéologues du futur devant décrire ces objets. C’était très difficile au début et puis les enfants se sont mis à la place de ces archéologues du futur et ont proposé des interprétations sur les fonctions possibles d’objets en faisant abstraction de leur contexte actuel. Et il y a eu un élève qui a demandé : comment est-ce que les archéologues peuvent être sûrs, alors qu’il n’y a pas de certitude complète ? C’était une question assez bluffante et nous avons répondu que c’était justement pour cela que l’on devait étudier beaucoup de données différentes, les confronter, les comparer, les analyser, bref, faire de la recherche archéologique.