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2 000 ans d’histoire sous la place du Maréchal Leclerc à Auxerre (Yonne)
Une équipe de l'Inrap fouille une surface de 500 m² au centre de la Place du Maréchal Leclerc à Auxerre en amont de son réaménagement paysager. Ces recherches, qui complètent un suivi archéologique de la réfection des réseaux (2023), permettent d’aborder les principales étapes de l’évolution urbaine d’Auxerre et tout particulièrement de ce quartier de l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle.
Autessiodurum, aux origines d’Auxerre
Au début du IVe siècle, Autessiodurum (Auxerre) est promue capitale de la nouvelle cité d’Auxerre suite au démembrement partiel du territoire éduen. À cette occasion, l’agglomération fondée au Ier siècle av. J.-C. dans la plaine du ru de Vallan (boulevard Vaulabelle, rue Louis Richard) est désertée au profit d’une refondation sur un plateau dominant l’Yonne. Le centre historique d’Auxerre en est aujourd’hui le témoignage. Les fouilles actuelles de la place du Maréchal Leclerc démontrent de manière inédite que le secteur n’était pas totalement inoccupé au Haut-Empire avant l’installation de la nouvelle ville.
Vue générale zénithale du chantier de fouille, place Maréchal Leclerc à Auxerre.
© Christophe Fouquin, Inrap
Vue générale du chantier de fouille avec la cathédrale Saint-Étienne en arrière-plan et la tour de l’Horloge à gauche.
© Christophe Fouquin, Inrap
Fouille des remblais post-construction du castrum scellant la nécropole du Haut-Empire.
© Christophe Fouquin, Inrap
Une nécropole de périnatals pouvant utiliser une architecture en imbrex (tuile canal) ou en coffre se développe ici aux IIe-IIIe siècles. Des épingles en bronze ou petites fibules en fer servaient également parfois à emmailloter les corps inhumés. L’absence de sépultures d’adultes indique que nous sommes en présence d’un espace funéraire antique singulier. Ces populations sont rarement retrouvées dans les nécropoles suburbaines mais plutôt dans des endroits où l’affect des familles endeuillées prend le dessus vis-à-vis de la loi romaine. Elles se retrouvent ainsi en périphérie d’ateliers artisanaux, de résidences domestiques ou de bâtiments publics. Ce contexte d’inhumation reste encore méconnu dans le cas d’Auxerre.
Sépulture de périnatal en imbrex (tuile de forme semi-cylindrique).
© Luc Staniaszek, Inrap
La refondation d’Auxerre au début du IVe siècle s’accompagne de l’édification d’une enceinte fortifiée (castrum) sur un périmètre de près de 1100 m englobant 6 hectares. Un tronçon de 14 m de longueur de cette fortification est mis en évidence dans le cadre de la fouille ainsi que ses niveaux de chantier de construction (sol de chantier et remblais). D’une largeur comprise entre 1,85 m et 2,55 m, le castrum est fondé sur un radier de chaperons taillés en calcaire, côté ville, et sur trois assises de blocs architecturaux de grand appareil, côté extérieur. À l’image des observations réalisées sur cet ouvrage aux quatre coins de la ville, ces éléments proviennent probablement de monuments de l’agglomération du Haut-Empire en ruine. Des stèles funéraires ou encore des blocs taillés en remploi sont d’ailleurs signalés au début du XIXe siècle lors de la construction de l’ancienne prison des femmes jouxtant l’emprise de fouille à l’est. L’élévation de l’enceinte, quant à elle, est faite de moellons aux assises jointoyées très régulières.
Fouille des niveaux archéologiques côté ville, à l’intérieur du castrum de l’Antiquité tardive (mur en arrière-plan).
© Christophe Fouquin, Inrap
Élévation nord du castrum avec radier de fondation remployant des chaperons en calcaire.
© Christophe Fouquin, Inrap
Élévation nord du castrum avec assises régulières de moellons.
© Christophe Fouquin, Inrap
Fouille des niveaux archéologiques côté ville, à l’intérieur du castrum de l’Antiquité tardive.
© Christophe Fouquin, Inrap
Fouille d’une occupation de l’Antiquité tardive avec sols en argile, solins en pierre et foyers.
© Christophe Fouquin, Inrap
Fouille d’une fosse installée dans les niveaux d’occupation de l’Antiquité tardive.
© Christophe Fouquin, Inrap
Après la construction de la fortification, la ville se structure progressivement aux IVe-Ve siècles. Ces premières installations en architecture périssable se matérialisent ici par une succession de niveaux de sols en argile ou cailloutis de pierres à l’intérieur de pièces délimitées par des solins. Les foyers culinaires et artisanaux se font à même le sol. Leur répartition permettra de mieux spatialiser encore les unités d’habitation ainsi mises en évidence. Il s’agit d’ailleurs de la première fouille réalisée à Auxerre sur des niveaux domestiques de cette période.
Vue générale du chantier de fouille de la place du Maréchal Leclerc à Auxerre.
© Christophe Fouquin, Inrap
Un quartier entre lieux de pouvoir et lieux privés
La place du Maréchal Leclerc se trouve en partie à l’angle sud-ouest de la fortification antique. Ce secteur, point le plus haut de la ville, devient rapidement un lieu de pouvoir, notamment après la fondation hypothétique de la première cathédrale dédiée à Saint-Alban au IVe siècle. Jusqu’au XIXe siècle, le mur de l’enceinte sert de protection aux différents bâtiments. Le palais comtal, aujourd’hui disparu, est remplacé à la fin du XIVe siècle par le siège du baillage d’Auxerre puis par le tribunal à partir de 1626, avant d’être transformé en bibliothèque et musée dans les années 1860. La tour de l’Horloge, probablement installée au XIIe siècle à l’endroit d’une ancienne tour du castrum (tour Gaillarde), complète cet ensemble. À l’emplacement de la fouille, cette histoire est seulement illustrée par quelques niveaux de cours et leur aménagement de clôture évoquant la « cour du château » mentionnée par les textes.
Cave de la fin de la période médiévale installée contre la paroi nord du castrum (en arrière-plan).
© Didier Lamotte, Inrap
L’existence de deux caves de la fin du Moyen Âge montre que le quartier n’est pas entièrement dévolu au pouvoir. À cette même période, la partie extérieure au castrum commence à s’urbaniser avec la construction de maisons accompagnées de caves et puits. Une partie d’entre elles, sur la bordure ouest de la fouille notamment, sont rasées et la fortification est percée au cours de la période moderne pour permettre le passage de la rue du Palais de Justice. Avec l’expansion de la ville, le castrum voit en effet progressivement son rôle d’enceinte urbaine disparaître même s’il demeure un élément constituant les enceintes canoniale et comtale.
Cave de la période moderne installée contre la paroi sud du castrum. Son escalier d’accès est installé au cœur de la maçonnerie antique.
© Christophe Fouquin, Inrap
Au début des années 1820, le secteur subit de nouvelles transformations puisque la ville décide de moderniser ses bâtiments publics en construisant au sud du castrum la prison des femmes. La fouille met en évidence la cour située à l’avant de ce bâtiment clos d’un nouveau mur et dont la limite nord est toujours assurée par la fortification romaine en élévation.
Castrum de l’Antiquité tardive ayant servi d’appui à la construction du tribunal au XVIIe siècle (bâtiment en briques, à gauche) et à la prison des femmes au XIXe siècle (bâtiment à droite).
© Christophe Fouquin, Inrap
À partir de 1857, les travaux d’alignement des façades font définitivement disparaître les quelques maisons persistant le long de la rue du Palais de Justice ainsi que tous les espaces extérieurs du tribunal et des prisons. La zone est alors totalement dégagée pour aménager la place Fourier qui deviendra par la suite celle du Maréchal Leclerc. En 2024, le réaménagement de cette place est une étape supplémentaire dans la vie doublement millénaire de ce quartier.
Mur de clôture ouest de la cour de la prison des femmes et vestige du sol en pavés constituant le niveau de circulation au XIXe siècle.
© Didier Lamotte, Inrap
Se rendre à la porte ouverte du chantier de fouille, samedi 13 avril
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Direction régionale des affaires culturelles de Bourgogne-Franche-Comté)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Loïc Gaëtan, Inrap