Au coeur de Strasbourg, l'Argentorate antique, dans la cour de l'ancienne annexe du Conservatoire de musique située 4 rue Brûlée, la Ville de Strasbourg construit un amphithéâtre pour la nouvelle École régionale des avocats du Grand Est.

Dernière modification
10 mai 2016

Des fouilles archéologiques y ont été menées de mars à septembre 2008 sur 400 m2 et jusqu'à 6 m de profondeur. Elles ont mis en évidence d'importants détails de l'infrastructure du camp légionnaire romain qui est à l'origine de la ville médiévale et contemporaine.

Le camp de la legio VIII Augusta à Argentorate

La cour se trouve dans l'emprise du camp légionnaire de la legio VIII Augusta (VIIIe Légion Auguste), qui fut transférée vers 90 de notre ère de Mirebeau, en Côte-d'Or, à Strasbourg où elle séjourna jusqu'à la fin de la présence romaine en Alsace. Ce camp de près de 20 ha, dont le tracé de l'enceinte est assez bien connu, succède à un hypothétique camp d'une surface estimée à 6 ha et qui remonterait à l'époque tibérienne (14 à 37 de notre ère).

Du Ier au IIIe siècle, l'occupation romaine se traduit par une accumulation de sols et de remblais sur près de 3 m de hauteur. Une couche de couleur sombre, conservée sur 40 à 80 cm, correspond quant à elle aux sept siècles d'occupation suivants, du IVe au Xe siècle. Les vestiges inclus dans ces « terres noires » sont difficilement lisibles et ne permettent guère de caractériser le mode de vie de la communauté installée au sein de l'ancien camp légionnaire. En effet, nous savons par des fouilles précédentes menées à proximité que l'enceinte du camp a été dédoublée vers la fin du IIIe ou le début du IVe siècle et que son fossé défensif a été à nouveau aménagé à la fin du Xe siècle. Les vestiges des XIe au XIXe siècle sont moins importants : hormis quelques remblais et quelques murs de briques, seules les parties creusées sont conservées.

Les premières installations romaines

Les Romains se sont installés à l'emplacement de la ville actuelle sur un lambeau de terrasse entrecoupée de chenaux. À proximité de l'un d'eux, des tranchées orthogonales semblent marquer la présence d'un premier bâtiment en bois et en terre. Elles ont été comblées et recouvertes par des limons de débordement qui témoignent de crues fréquentes qui ont peut-être anéanti cette première viabilisation du site. Sur ce sol alluvial, de nouvelles tranchées de murs, toujours en matériaux légers, ont été creusées selon le même plan orthogonal. La vocation militaire du bâtiment est envisagée dans la mesure où il se situe dans l'emprise supposée du camp dit de Tibère. Le mobilier issu des tranchées ainsi que les sols et les foyers conservés dateraient cette deuxième phase d'occupation de l'époque claudienne (41 à 54 de notre ère).

L'infrastructure du camp légionnaire de la legio VIII Augusta

Après 80 de notre ère, une épaisse couche de limon, d'argile et de gravier apportée sur les vestiges de ces premiers aménagements a servi à niveler, assainir et préparer le terrain pour l'installation du camp légionnaire de la legio VIII Augusta. L'abondant matériel archéologique contenu dans ce niveau date pour l'essentiel du troisième quart du Ier siècle de notre ère.
Une rue antique large de 4 m a été découverte. Elle est la première rue parallèle à la via sagularis (rue qui fait le tour de l'enceinte à l'intérieur d'un camp), dont le tracé connu se trouve à une trentaine de mètres. Elle est formée par des chaussées successives de graviers damés et bordée de caniveaux. En bordure de la rue se situe un bâtiment muni d'un portique. Avec une surface mise au jour de plus de 220 m2, ce bâtiment est si grand qu'il dépasse les limites de la cour actuelle. Les tranchées de huit murs perpendiculaires délimitent sur le terrain quinze pièces ; l'existence d'au moins cinq autres est probable. Les tranchées des murs témoignent de la récupération quasi complète des matériaux avant reconstruction du bâtiment selon un plan identique au premier. Les soubassements des murs étaient soit en pierre, soit en fragments de tuiles. Pour un segment d'un de ces murs, son élévation en briques crues a été retrouvée effondrée. Quelques pièces comprenaient des foyers et des sols construits : sol de mortier et sol de terrazzo (mortier de tuileau).
Construit à la fin du Ier siècle, il subit une réfection complète à une date qui reste à déterminer, tout comme sa fonction. On note toutefois la présence d'un lot important de pièces métalliques liées à l'équipement du cavalier. Ce bâtiment aurait-t-il accueilli la cavalerie de la légion (atelier, casernement...) ?

Les vestiges du Moyen Âge

Les matériaux de construction qui ont servi à la réfection du bâtiment romain ne seraient récupérés qu'à partir du XIe siècle. Les fonds semi-enterrés de deux maisons sont orientés selon le plan romain. Les aménagements médiévaux semblent ainsi suivre les grandes lignes de ce cadastre orthogonal. Parmi les vestiges, on compte, outre les deux maisons et plusieurs fosses, trois latrines et deux puits à eau, le tout contenant un abondant mobilier : céramique, récipients en bois, pots de poêle, tuiles, petits objets de la vie quotidienne, ossements animaux dont une quantité importante porte des traces de découpe bouchère.

Les vestiges modernes

Une cave construite en brique et en pierre (grès rose), deux latrines en brique ainsi qu'un mur de séparation, toujours orientés selon le cadastre romain, constituent des vestiges datant probablement du XVe siècle ou du début du XVIe siècle. En effet, l'aile de l'hôtel particulier qui s'élevait au-dessus de la cave figure sur le premier plan connu de Strasbourg peint par Conrad Morant en 1548. C'est encore le cas sur les plans postérieurs (plan-relief de 1725, plan Blondel de 1765 et cadastre de 1844). La fouille de cette cave a montré qu'elle a été modifiée à plusieurs reprises. L'espace est par exemple subdivisé par des piliers de briques et des parois en matériaux légers. La dernière réfection, un nouveau sol fait de grandes dalles de grès, datée par une monnaie trouvée dans sa couche de préparation, est réalisée après 1850. En 1872, la maison est entièrement arasée et la cave comblée de gravats pour faire place à la construction de l'actuel bâtiment du 4, rue Brûlée qui a initialement accueilli le « Stadtbauamt » de la ville de Strasbourg, c'est-à-dire le service d'urbanisme de l'administration allemande.