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Découverte d'un site antique d'exploitation de l'argousier à Pertuis (Vaucluse)
À Pertuis, l’Inrap a fouillé un établissement agricole daté du IIIe siècle et plusieurs fois transformé jusqu’aux VIe-VIIe siècles. L'étude des marqueurs chimiques ayant imprégné les divers bassins de cette exploitation a révélé les traces d’une culture de l’argousier, une exploitation inédite dans l’Antiquité.
À Pertuis, sur prescription de la la Drac PACA, en amont d'un projet immobilier porté par la société Vinci Immobilier Méditerranée, une fouille de l'Inrap a mis au jour les vestiges d’un établissement rural de la fin de l’Antiquité. À une vingtaine de kilomètres au nord d’Aix-en-Provence, la commune de Pertuis se situe non loin du piémont sud du massif du Luberon, immédiatement au nord de la Durance. Durant la période romaine, ce territoire faisait partie de la cité d’Aquae Sextiae (Aix-en-Provence). Si Pertuis en tant qu’agglomération n’apparaît qu’au Moyen Âge, le secteur compris entre Luberon et Durance recèle de nombreux indices de sites ruraux antiques. Ce maillage d’habitats témoigne des conditions favorables qui caractérisent ce terroir, tant sur le plan agricole que par son ouverture aux échanges que lui confère sa position géographique de carrefour entre le littoral et la haute Provence.
Le terrain et l'état de conservation des vestiges
Le terrain concerné par la fouille est une parcelle plane en légère pente vers le sud, occupé jusqu’à peu par des vignes. Il est bordé au sud par le rebord abrupt d’une ancienne terrasse de galets, surplombant le lit majeur de la Durance, rivière sujette à de violentes crues jusqu’aux travaux effectués au cours du XXe siècle. Le secteur avait été signalé au tournant du XXᵉ siècle comme recelant des vestiges antiques en raison de la présence en surface de fragments de tegulae et de tessons de céramiques d’époque romaine. Un sarcophage de pierre, à présent perdu, y aurait été découvert.
Dans l’emprise fouillée, les niveaux archéologiques étaient recouverts par une épaisseur de 0,60 mètre à 1 mètre de sédiments bouleversés par les travaux agricoles. En raison du pendage vers le sud des niveaux sous-jacents, les strates archéologiques étaient toutefois mieux conservées au sud qu’au nord. Les vestiges -fondations de murs, reliquats de sols, bassins, fosses- apparaissaient en surface de sédiments limoneux stériles nappant la terrasse de galets. Vers le sud, la stratigraphie épargnée a permis de discerner plusieurs états de l’habitat et de ses abords. En limite orientale du décapage, deux petits groupes d’inhumations orientées sont apparus.
L'évolution de l'établissement entre le IIIe et le VIe siècle
Des indices de fréquentation remontant aux deux premiers siècle de l’Empire ont été collectés mais, ténus et ponctuels, ils ne peuvent pas être rattachés aux constructions. C’est à compter du IIIᵉ siècle qu’une ferme d’une superficie au sol de 600 m2 est construite (états 1a et 1b). Composée de deux corps de bâtiment perpendiculaires, elle est complétée rapidement par une troisième aile en retour équipée d’une pièce à hypocauste et délimitant ainsi une cour centrale, tandis que l’aile occidentale est reconstruite et abrite un chai à dolia (états 2a et 2b). Les bâtiments dont les fondations sont pour la plupart construites en pierres liées à la terre, sont adossés à un long mur nord-ouest/sud-est qui structurera l’habitat sur toute la durée de son évolution. La présence d’un hypocauste constitue le seul indice de confort pour cet établissement qui n’est doté d’aucun autre élément de luxe. Des bâtiments agricoles sont installés à l’écart du pôle principal, vers l’est et vers le nord. Le bâtiment situé à l’est est équipé d’un bassin de décantation revêtu de mortier de tuileau, reconstruit deux fois au cours de ces deux premières phases d’exploitation.
Plan général du site
DAO : Laurent Ben Chaba, Robert Thernot, Inrap
Au cours des IVe et Ve siècles (état 3), l’établissement principal se développe avec un nouveau corps de bâtiment adossé au nord du précédent. Sa superficie dépasse 1200 m2. Les fondations de mur érigées au cours de cette période sont tous liées au mortier de chaux. Le bâtiment d’exploitation nord est agrandi et à son tour équipé d’un bassin de décantation revêtu de mortier de tuileau qui sera reconstruit trois fois. Cette phase se traduit également par la constitution de remblais dans les cours de l’habitat et aux marges de celui-ci.
Vue de l’extension nord des bâtiments au Ve siècle, avec des fondations liées au mortier de chaux.
Robert Thernot, Inrap
Un petit groupe de trois tombes en bâtière est mis en place au cours de cette période au nord-est de la zone explorée. Les trois sépultures ont accueilli respectivement un homme, une femme et un.e adolescent.e et se rapportent au Vᵉ siècle, d’après les datations radiocarbone effectuées. L’homme a été inhumé chaussé de chaussures à semelles cloutées comme en témoigne le semis de clous retrouvé au contact de ses pieds.
Dans le groupe funéraire nord-est, la tombe en bâtière la mieux conservée recelait le squelette d’un individu de sexe féminin.
Laurent Ben Chaba, Inrap
Au VIᵉ siècle (état 4), l’établissement connaît quelques transformations : reconstruction de l’aile nord et creusement d’une structure excavée dans l’aile mitoyenne au sud. De vastes dépotoirs sont constitués au nord et à l’est. Un nouveau pôle funéraire apparaît au sud-est de la zone explorée. Les sépultures, datées de la fin du VIᵉ siècle par radiocarbone, sont dès lors aménagées avec des moellons ou simplement en pleine terre. Leur chronologie tardive est corroborée par la découverte dans l’une de ces tombes d’une plaque boucle mérovingienne datable des VIᵉ – VIIᵉ siècles.
La plaque-boucle en alliage cuivreux trouvée dans une sépulture perturbée appartenant au groupe funéraire sud-est, datée par radiocarbone de la fin du VIe s.
Robert Thernot, Inrap
Les dernières phases d’occupation (état 5) se caractérisent par quelques aménagements creusés dans l’emprise de l’habitat préexistant et par le dépôt de couches contenant de nombreuses tuiles issues de la destruction des bâtiments.
Situés en limite de fouille, les deux petits ensembles funéraires ne recouvrent ni l’amplitude chronologique complète de l’habitat voisin ni l’effectif humain qu’on peut inférer pour un tel établissement sur une période de quatre siècles. Il faut donc imaginer que d’autres tombes sont encore conservées sous les terrains agricoles proches. Dans les dépotoirs situés en périphérie de l’habitat, les rejets alimentaires montrent la prépondérance du bœuf par rapport aux autres mammifères mais la présence importante de coquilles de pétoncles et d’huîtres, traduit le respect des jours maigres préconisés par la religion chrétienne. La céramique prélevée met en évidence un pic de consommation entre la fin du IVᵉ et le VIᵉ siècle avec en particulier une importante collecte de céramique dérivée de sigillée paléochrétienne grise.
Un fragment de plat en céramique dérivée de sigillée paléochrétienne ornée de poinçons cruciformes, témoignant jusque dans le décor des objets du quotidien de l’influence du christianisme.
Denis Dubesset, Inrap
Des fossés semblent structurer la périphérie de l’établissement suivant une orientation différente de celle des bâtiments. Deux fossés parallèles vus lors du diagnostic au nord pourraient trahir la présence d’une voie d’accès large de 4 à 5 mètres. Ces deux fossés sont perpendiculaires à un long fossé suivi dans l’emprise fouillée sur une longueur de 40 mètres et semblant marquer la limite des activités liées à l’habitat.
Une exploitation inédite
La principale surprise issue des études en cours est apportée par la recherche des marqueurs chimiques ayant imprégné les mortiers de tuileau qui tapissent les divers bassins. Cette recherche a conclu à l’absence totale des marqueurs caractéristiques de l’olive. Les mortiers des 4 bassins, tant au nord qu’à l’est, ont été principalement en contact avec un corps gras végétal riche en acide palmitoléique. La seule plante régionale susceptible de fournir une telle substance est l’argousier (Hippophae rhamnoides L.), en particulier ses fruits. Plante pionnière, affectionnant les terrains nus et les expositions dégagées, l’argousier colonise le lit des torrents où la végétation a été arrachée par les crues. Elle se rencontre aujourd’hui au creux des vallées alpines. Avant l’époque contemporaine, la Durance se caractérisait par un régime torrentiel et provoquait des inondations dévastatrices qui devaient éradiquer la végétation installée le long de la rivière. On peut imaginer que l’argousier pouvait dès lors après les crues coloniser les abords dénudés du lit majeur et constituer des maquis importants dans la vallée à proximité de l’établissement. Les bassins mis au jour se succèdent au cours des quatre siècles d’activité de l’établissement et chacun d’entre eux porte les mêmes traces chimiques. Il ne s’agit pas d’une exploitation marginale ou anecdotique. L’établissement semble s’être fait pendant plusieurs générations une spécialité du traitement de l’argousier. Son usage est mal documenté pour l’Antiquité car la plante est assimilée par les agronomes antiques à d’autres buissons épineux portant de petits fruits, notamment le nerprun, dont les propriétés sont très différentes. On peut penser que l’intérêt nutritionnel et les propriétés cicatrisantes de l’argousier conféraient à cette plante une place dans la pharmacopée traditionnelle.
En guise de conclusion provisoire …
La découverte de cet établissement rural tardif apporte des données nouvelles sur l’exploitation des ressources végétales durant l’Antiquité jusqu’ici inexplorées mais que d’autres analyses sauront déceler. Cette opération jette également un éclairage sur l’occupation des campagnes entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen-Âge. Les données collectées fournissent des éléments de réflexion sur l’économie rurale et les échanges dans le secteur de la basse vallée de la Durance, au carrefour d’influences méditerranéennes, alpines et septentrionales.
Prescription et suivi scientifique : Drac PACA
Recherche archéologique : Inrap
Responsable d’opération : Robert Thernot, Inrap
Responsable de secteur : Thomas Navarro
Étude des marqueurs chimiques : Laboratoire Nicolas Garnier