Vous êtes ici
L’Inrap a 20 ans !
À l'occasion de ses vingt ans d’existence, de recherches et de découvertes archéologiques, l'Inrap propose une riche programmation scientifique et culturelle dont des expositions dans toute la France, des colloques internationaux, des publications... Retour sur la genèse de nos missions, de l'archéologie de sauvetage à la « Fabrique » de la France et sur les évènements prévus dès les jours à venir.
Et l’archéologie préventive fut
Créé le 1er février 2002, l’Inrap a vingt ans. Après 50 000 opérations archéologiques menées sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin, il n’est plus besoin de rappeler le rôle d’utilité publique joué par l'Institut. Les chantiers avec leurs pelleteuses, les découvertes archéologiques, tout cela semble aller de soi, et pourtant, l’établissement et la loi de 2001 qui lui a donné naissance, sont sans équivalent dans le monde. Ils représentent l’aboutissement d’un long processus de prise de conscience patrimoniale et de recherche d’une conciliation entre les exigences de l’aménagement du territoire et de la protection du patrimoine archéologique, dont l’histoire était loin d’être écrite à l’avance. En France, en effet, faute d’un cadre juridique adapté, les destructions de vestiges causées par les aménagements se sont multipliées dans le contexte de croissance des « Trente Glorieuses ». La loi Carcopino de 1941 (validée en 1945) qui encadre les interventions archéologiques et les place sous la surveillance de l’État, ne s’appliquait qu’occasionnellement et elle ne prévoyait pas le financement des fouilles. Ce n’est qu’à partir des années 1960, après les grands scandales de la place de la Bourse à Marseille (constructions de bâtiments publics et privés à l'emplacement du rempart et du port antiques) et du parvis de Notre-Dame à Paris (parking souterrain), qui ont frappé l’opinion, qu’est apparue la nécessité de pratiquer des « fouilles de sauvetage », mais l’archéologie préventive n’apparaît effectivement, au moins dans son principe de financement (dit parfois de l’« aménageur-payeur »), qu’avec les premières grandes fouilles du métro de Lyon en 1980 et du chantier du Grand Louvre en 1982. Elles sont menées par l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan), créée en 1974.
Si ce type d’opération se développe de façon exponentielle au point de représenter dans la décennie suivante déjà 90% de l’activité archéologique en France, les fouilles préventives n’ont alors nullement un caractère systématique, ni suffisamment anticipé. Dans le meilleur des cas, le financement des fouilles est assuré par des aménageurs de bonne volonté, mais il ne couvre pas les travaux de post-fouille. Il faut une loi non seulement pour arrêter les destructions de sites archéologiques qui défraient régulièrement la chronique depuis deux décennies (cimetière médiéval d’Orléans, forum romain à Paris, « trou des Halles », Bercy, Rodez,…), mais aussi pour pérenniser la chaîne scientifique de l’archéologie préventive.
Une loi pour un Institut
Inexistant en France, le cadre législatif de l’archéologie préventive est en partie fixé dans le préambule de la Convention de Malte, adoptée le 16 janvier 1992, qui invite chaque pays européen signataire à « intégrer les préoccupations de sauvegarde archéologique dans les politiques d'aménagement urbains et rural », et, dans l’article 6, à faire « figurer dans le budget de ces travaux […] les études et les prospections scientifiques de synthèse, de même que les communications et publications complètes des découvertes ». Ce sont ces grandes orientations qui inspirent le projet de création de l’Institut qui est proposé en 1998 dans le rapport Demoule-Pêcheur-Poignant, qui, à l’issue d’un long travail législatif, voit, fin 2000, l’adoption par le Parlement de la loi sur l’archéologie préventive.
Promulguée le 17 janvier 2001, la loi confère à la discipline un statut, la consacre au rang des missions de service public et affirme qu’elle est régie par les principes applicables à la recherche scientifique. Cette loi instaure une redevance servant à financer les diagnostics et les fouilles d'archéologie préventive, et prévoit la création d'un établissement public administratif qui hérite des droits et obligations de l’Afan, qui est dissoute. L’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) est mis en place le 1er février 2002. Sa mission sera notamment modifiée par la loi du 1er août 2003, qui instaurera deux régimes de réalisation des opérations (les diagnostics restant une prérogative publique, de l’Inrap et des collectivités territoriales, les fouilles étant ouvertes à la concurrence entre l’Inrap, les services de collectivités et des opérateurs privés). Sitôt créé, l’Institut se dote de sa devise, « Nous fouillons c’est votre histoire ». Le même jour, une archéologue de l’Inrap fait la découverte des tombes aristocratiques franques de Saint-Dizier. Deux semaines plus tard, c’est à Gondole (Puy-de-Dôme), que l’Inrap fait une autre des plus importantes découvertes archéologiques de la décennie en exhumant huit cavaliers gaulois inhumés avec leurs chevaux (et bien d’autres découvertes marquantes suivront).
Ensemble du mobilier de la sépulture 11, Saint-Dizier, « la Tuilerie », dépôt de l’Etat au musée de Saint-Dizier
C. Philippot, Musée de Saint-Dizier
Changement d’échelle
Alors que la loi Carcopino sanctuarisait le patrimoine enfoui, la nouvelle loi, en assurant que tous les travaux intègrent en amont la nécessité de détecter, d’étudier et de protéger les vestiges, est à l’origine d’une mise en valeur sans précédent du patrimoine archéologique des territoires. Chaque année, ce sont en effet quelque 600 à 700 kilomètres carrés de sol qui sont retournés par des travaux d’aménagement, dont 8 % sont soumis à un diagnostic archéologique et 20 % de ces 8 % font l’objet d’une fouille. L’archéologie préventive se met en place autour de nouvelles formes d’intervention. Les grands décapages, les fouilles extensives et les diagnostics sur des linéaires qui peuvent atteindre jusqu’à plusieurs dizaines d’hectares, dans des conditions de plein air, entraînent en effet un renouvellement assez complet des champs d’étude, des métiers et des méthodes de l’archéologie. Ces fouilles nouvelles, pour partie mécanisées, changent l’échelle du site et mettent au jour des occupations dans leur totalité : campements préhistoriques, villages néolithiques ou protohistoriques, oppida, villes, mais aussi leurs abords, villae, grandes nécropoles, chemins, parcellaires, cultures, sites de boucherie, d’abattage, de collecte de matières premières, ateliers, industries, etc.
Décapage sur le site paléolithique d'Havrincourt (Pas-de-Calais), 2010.
© Denis Gliksman, Inrap
Le changement d’échelle de la fenêtre d’étude et du volume des opérations (2500 par an) a entraîné l’expansion en de multiples directions de la discipline. Aux analyses archéologiques classiques, topographiques, typochronologiques, céramologiques, études des monuments, etc., sont venues s’ajouter les approches spatiales, sollicitant des équipes pluridisciplinaires afin d’analyser les dynamiques de peuplement, le territoire et les terroirs, l’habitat et l’occupation du sol, les pratiques funéraires, l’économie agropastorale, l’artisanat et la production domestique, mais aussi les données paléoenvironnementales et l’évolution des paysage « culturels ». Parallèlement, les mobiliers et les données, qui croissent de manière exponentielle, ont permis de construire des référentiels sur de larges échelles géographiques, d’affiner et de caler, pour chaque période étudiée, des séquences chronoculturelles. L’archéologie est devenue interdisciplinaire et multiscalaire. Ce décloisonnement a repoussé également les limites chronologiques de la discipline, d’abord au Moyen Âge, puis aux périodes moderne et contemporaine (dont les vestiges sont rencontrés de manière quasi permanente sur les terrains). On pourra découvrir sur inrap.fr les synthèses pour chaque période (du Paléolithique au monde contemporain), de ces vingt dernières années de recherche, ainsi qu’un focus sur les avancées de la bioarchéologie.
Camp canadien de la Seconde Guerre mondiale mis au jour à Fleury-sur-Orne (Calvados).
© Emmanuel Ghesquière, Inrap
Une autre spécificité de ces fouilles nouvelles est le caractère aléatoire des lieux d’intervention, dépendant uniquement des projets d’aménagement. Ainsi, à la différence des opérations programmées, l’archéologue ne choisit pas son terrain et les fouilles sont, de ce fait, propices à des découvertes inattendues et exceptionnelles, par leurs retombées scientifiques ou par le spectaculaire des vestiges. Par exemple, les découvertes de la mosaïque antique de Penthée (2007), de la tombe du prince de Lavau (2015), de la nécropole romaine de Narbonne (2019), de la tombe étrusque à hypogée d’Aléria (2019) ou du vase diatrète d’Autun (2021), n’auraient sans doute pas vu le jour sans la loi de 2001 (voir « 20 ans, 20 sites »). Par-delà ces découvertes exceptionnelles, ce nouveau type de prescription lié aux aménagements a permis surtout de documenter des régions sur des périodes qui y paraissaient a priori peu représentées, d’où, année après année, une couverture archéologique de plus en plus complète du territoire pour toutes les périodes. C’est toute la France qui est devenue un site archéologique, offrant un regard neuf sur l’histoire nationale, mais aussi un nouveau point de vue, dans la mesure où l’archéologie préventive, par les travaux d’aménagements, nous relie, en tant que citoyen, au territoire et à la collectivité.
Mosaïque représentant l'histoire de Penthée, datée du IIe siècle de notre ère. Fouille de l'avenue Jean Jaurès à Nîmes (Gard) en 2006-2007.
© Denis Gliksman, Inrap
Enfin, une autre conséquence de cette archéologie linéaire (autoroutes, LGV, …) ou sur des grandes surfaces à lotir, concerne la prescription archéologique elle-même qui conditionne administrativement un aménagement à une fouille, et une fouille à un objectif scientifique. Or, en archéologie préventive, avant le déclenchement des opérations, cet objectif scientifique est largement inconnu. Les deux décennies ont ainsi vu se préciser le cadre règlementaire des interventions, ainsi que les zones de présomption de prescription archéologique définies par les Drac. En partenariat avec le ministère de la Culture, Archéopages, la revue de l’Institut, consacrera prochainement un hors-série spécial 20 ans, à l’évolution de la prescription et des cadres et des pratiques de l’archéologie préventive.
Restituer à la collectivité
Née des premières fouilles de sauvetage des années 1970-80, l’archéologie préventive a permis un considérable essor des connaissances sur l’histoire des territoires. Cette année, deux colloques internationaux organisés par l’Inrap se consacreront à cette question, l’un au Sénat, « archéologie des territoires » (14 octobre), et un autre, « 20 ans d’archéologie aux Antilles » (décembre), à Fort-de-France. Rappelons que la valorisation des découvertes et le partage de la connaissance sont un élément-clé de la loi de 2001, qui est faite pour la collectivité, et sans le soutien de laquelle elle n’aurait d’ailleurs jamais vu le jour. Or, c’est peut-être au niveau des territoires que cette demande de connaissances est la plus forte dans la population et que le rapprochement entre archéologues aménageurs peut jouer un rôle décisif. Naguère perçue comme une contrainte, l’archéologie préventive se révèle en effet, sous l’angle du partage des connaissances, comme une opportunité pour les aménageurs : les projets culturels permettent une meilleure acceptabilité des aménagements et ils sont devenus des outils performants de développement culturel pour les territoires. Des grandes agglomérations aux secteurs ruraux en passant par les zones périurbaines, des chantiers aux musées, l’archéologie préventive irrigue et anime aujourd’hui tout le territoire. Ce sont au total plus de 12 millions de visiteurs qui ont été sensibilisés à l’archéologie par les actions de l’Inrap au cours de ces 20 dernières années (hors web). Créées en 2009 et pilotées par l’Inrap sous l’égide du ministère de la Culture, les Journées nationales de l’archéologie, devenues européennes en 2019, offrent un exemple de cet engouement, quand archéologues et aménageurs viennent à la rencontre du public désireux d’un contact direct avec la discipline.
Village de l'archéologie avec le stand Inrap au premier plan, lors des Journées européennes de l'archéologie 2019 au Musée d'Archéologie nationale.
© Hamid Azmoun, Inrap
La « fabrique » de la France
Comment qualifier globalement cet apport de l’archéologie préventive à la collectivité au cours de ces 20 dernières années ? Par-delà les découvertes qui rythment les actualités dans les médias, cet apport réside aussi dans de nouvelles lectures, à la fois plus denses et plus fines, des territoires et de l’histoire nationale, qui « font » patrimoine, parce qu’elles sont partagées à diverses échelles de public, puis transmises aux nouvelles générations. En vingt ans, quelque chose s’est vu ainsi changé dans notre rapport au patrimoine archéologique, lequel n’est plus uniquement associé à des architectures solides et monumentales, aux « beaux » objets et « trésors » des élites du passé, mais s’est étendu à tous les artéfacts et écofacts qui, du moment qu’ils racontent le passé d’une collectivité ou d’un territoire, sont devenus dignes non seulement d’étude, mais de rejoindre les collections et les dispositifs de musées, lesquels se sont donnés désormais pour mission de raconter la construction des territoires. Ces musées archéologiques seront particulièrement à la fête cette année en accueillant vingt expositions labellisées « 20 ans de l’Inrap ». Par ailleurs, la Galerie muséale virtuelle de l’Inrap, qui présente les mobiliers issus des fouilles de l’Institut qui enrichissent régulièrement les collections archéologiques, se proposera cette année dans une version adaptée au jeune public. Enfin, sept Archéocapsules (expositions légères) produites par l’Institut circuleront sur tout le territoire (Archéologie de la santé, des migrations, de l’alimentation, de l’esclavage colonial, de l’aménagement du territoire, du bâti, des gestes funéraires).
Une révolution silencieuse s’est déroulée en vingt ans dont le fait le plus saillant, topographiquement et culturellement parlant, est la sauvegarde par l’étude de milliers de sites gaulois (environ 25 % des fouilles chaque année), lesquels sont venus bousculer les stéréotypes qui nous ont été transmis par Jules César et par le roman national du XIXe siècle, mais il en est de même pour la Préhistoire, dont la connaissance s’est largement diffusée auprès du public, y compris le plus jeune. Loin d'ailleurs de se cantonner à l’étude des âges lointains – du Paléolithique à l’Antiquité –, l’archéologie préventive a produit une importante documentation scientifique, ainsi que des preuves matérielles, qui ont permis de compléter, voire de corriger les archives écrites, et de découvrir des pans entiers d’une histoire humaine qui avaient été peu racontés ou de façon partielle ou partiale. C'est ainsi que l’archéologie du judaïsme, qui a beaucoup bénéficié des apports récents de l’archéologie préventive, fera l’objet cette année d’un colloque internationnal organisé par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj) et l’Inrap, du 23 au 25 mars, douze ans après le colloque de janvier 2010 (Mahj-Inrap). Ce n’est qu’un exemple car l’archéologie apporte une contribution originale, matérielle et visible, à une multitude de débats et défis sociétaux du monde contemporain : identités, minorités, migrations, esclavage, ruralité, vie quotidienne, circulations, échanges, environnement et impact environnemental, démographie, santé, handicap, alimentation, genre... Car c’est évidemment l’humain, dans sa dimension matérielle et immatérielle que vise, en premier et en dernier ressort, cette grande enquête que l’archéologie a mise devant nos yeux. Cette lecture renouvelée du passé vient enrichir les défis sociétaux d’aujourd’hui : le présent vient de loin.
Fouille du cimetière colonial de la plage des Raisins clairs, Saint-François, Guadeloupe.
© Franck Decluzet
Récemment publié, La Fabrique de la France, 20 ans d’archéologie préventive ( Inrap - Flammarion), déroule, à travers les découvertes de l’Inrap de ces vingt dernières années, différents récits de la « fabrique » de la France. Directement nourrie par vingt ans d’archéologie préventive et solidement étayée sur les données matérielles, les archives du sol, cette « fabrique » est celle d’une histoire plurielle, au-delà des frontières et du roman national d’un espace figé, mais elle en dépasse aussi le cadre, dans la mesure où les fouilles préventives, en même temps qu’elles mettent au jour des occupations antérieures, participent avec les citoyens et les aménageurs à la fabrique de nos paysages actuels et futurs.
Et sur inrap.fr...
L’année qui s’ouvre devant nous offre l’occasion de présenter un bilan de ces vingt ans d’activité de l’Institut. Sur inrap.fr, un espace spécial « 20 ans », propose dès à présent tout un ensemble de ressources dédiées à cet anniversaire : des articles d’actualités sur 20 fouilles qui ont marqué la vie de l’Inrap (« 20 ans, 20 sites »), des synthèses de vingt années de recherches pour chaque grande période, une sélection de vidéos, reportages et multimédias, une nouvelle version destinée au jeune public de la Galerie muséale virtuelle de l’Inrap, l’agenda des événements (colloques, expositions labellisées…), et encore bien d’autres surprises qui seront dévoilées au fil de cette année d’anniversaire, car « on n’a pas tous les jours 20 ans » !
Fouille à Gergovie : vue sur le fossé sud du grand camp (en bas) et l’avant fossé (en haut à droite).
© Denis Gliksman, Inrap
Temps forts
- 23-25 mars : Colloque « Archéologie du judaïsme en Europe », au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj)
- Juin : Mise en ligne de la version jeune public de la galerie muséale de l’Inrap
- 17, 18, 19 juin ; Journées européennes de l’archéologie (JEA)
- 5-9 octobre : Rendez-vous de l’Histoire de Blois
- 14 octobre : Colloque au Sénat sur l'archéologie et les territoires
- Novembre : Parution du hors-série Archéopages spécial 20 ans en partenariat avec la Direction générale des patrimoines et de l’architecture (DGPA)
- Décembre : Colloque « 20 ans d’archéologie aux Antilles » Fort-de-France.
En parallèle de ces temps forts, l’Inrap favorisera la circulation de ses sept Archéocapsules.
- Archéologie de la santé « On n’est pas les premiers à prendre soin des autres »
- Archéologie des migrations « L’humanité, une longue histoire de migrations »
- Archéologie de l’alimentation « Manger et boire, c’est toute une histoire »
- Archéologie de l’esclavage colonial « De sucre et de sang »
- Archéologie de l’aménagement du territoire « Homo aménageur »
- Archéologie des gestes funéraires « Le monde des morts »
-
Archéologie du bâti « Ce que nous murmurent les murs »