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Plateforme aéro-industrielle de Haute-Picardie
À Méaulte, Somme, la plateforme est située sur le sommet d'un plateau qui descend vers la Somme et l'Ancre.
Or, en Picardie, les habitats des périodes protohistorique et romaine se concentrent sur les hauts de versants. Cette implantation éminemment favorable explique l'étonnante densité de vestiges mis au jour. Les prospections aériennes de Roger Agache avaient déjà révélé six indices de sites gallo-romains sur l'emprise même du projet.
Les opérations d'archéologie préventive, entre mars 2004 et novembre 2005, se sont déroulées en deux phases. Le diagnostic, réalisé en trois mois, a mis en évidence, au moyen de tranchées espacées d'une vingtaine de mètres, dix-huit indices de sites. Les fouilles, durant huit mois, ont permis l'étude détaillée des principaux sites et des éléments de parcellaire. Depuis, les archéologues, aidés de spécialistes, s'attachent à analyser cette riche documentation afin de reconstituer l'histoire de ce territoire et de ses occupants sur 4 000 ans. Cette étude constituera un apport majeur à la connaissance des campagnes de la Picardie aux époques anciennes.
Ces fouilles, qui éclairent d'un jour nouveau plusieurs périodes, ont permis d'étudier :
- les deux premières maisons du Néolithique final (vers 2500-2200 av. J.-C.) découvertes dans la Somme ;
- une nécropole de la fin de l'âge du Bronze (vers 1200-800 av. J.-C.), la première fouillée dans le département ;
- 7 habitats gaulois et des fossés parcellaires associés, permettant de suivre l'intensification de la mise en valeur du plateau, entre le IIIe et le Ier siècle av. n. è. ;
- 3 nécropoles gauloises, dont une exceptionnelle, qui ont livré 43 tombes à incinération, 215 vases et une cinquantaine d'objets en fer et en bronze ;
- 3 habitats gallo-romains, eux aussi inscrits dans un réseau parcellaire dense et complexe. L'un des sites connaît une évolution inédite avec le développement d'une activité de transformation (fabrication de pain) ;
- 4 cimetières gallo-romains montrant la romanisation rapide des campagnes du nord de la Somme (au travers d'un matériel extrêmement riche) et les modalités du rite de l'incinération, grâce à la découverte de bûchers funéraires (aménagements très rarement conservés) ;
- un site fortifié du Moyen Âge, daté des XIe-XIIe siècles, documentant un aspect totalement méconnu de la mise en valeur des terroirs ruraux à cette période.
Aux temps des premiers agriculteurs
Hormis quelques indices préhistoriques ténus, il faut attendre la fin du Néolithique pour voir émerger les premiers signes tangibles d'occupation humaine sur le plateau de Méaulte.
L'« âge de la pierre polie » des manuels scolaires est caractérisé par la sédentarisation des populations qui s'adonnent à l'agriculture et à l'élevage. Les premiers grands défrichements se placent à cette époque.
La fin du Néolithique est surtout connu par les sites funéraires et leurs mégalithes. À Méaulte, deux habitats datant de la fin de cette période, vers 2500 à 2000 ans av. n.è., ont été étudiés. Les trous des poteau qui supportaient les bâtiments ont permis de mettre en évidence le plan de deux constructions en torchis. L'une d'entre elles mesurait environ 20 m de long sur 6 m de large et était prolongée par un appentis. Le mobilier livré par ce site - outils en silex taillé, vases en céramique, fusaïoles et pesons - nous renseigne sur les activités quotidiennes et témoigne, en particulier, des activités de filage et de tissage. La découverte de graines carbonisées et bien conservées devrait permettre par ailleurs de caractériser les types de cultures pratiquées localement à cette époque.
Une nécropole de la fin de l'âge du Bronze
Durant l'âge du Bronze, les morts sont presque exclusivement incinérés. Au début de la période, seuls quelques individus au statut social particulier bénéficient d'une tombe, souvent monumentale. À la fin de l'âge du Bronze final (de 1200 à 800 av. n.è.) apparaissent de véritables cimetières à incinérations où un plus grand nombre de personnes a droit à une sépulture. Ces dernières se présentent sous la forme de petites fosses où sont déposés les restes de crémation, à savoir des fragments d'os humains brûlés mêlés à des charbons de bois et à des cendres. Les douze sépultures du site 1 de Méaulte constituent le premier exemple de ce type de nécropole découvert dans la Somme. Leur fouille minutieuse montre que les éléments qu'elles renferment peuvent varier en quantité, les ossements et les charbons de bois étant plus ou moins abondants. En effet, il apparaît que l'enfouissement ne concerne qu'une partie des restes issus de la combustion du bûcher funéraire. Dans tous les cas il s'agit de tombes individuelles à l'exception d'une sépulture qui renferme les restes d'un adulte et d'un enfant.
L'intensification de la mise en valeur des terroirs
À l'époque gauloise, au IVe siècle av. J.-C., quelques silos de stockage ainsi qu'un chemin témoignent d'une présence humaine sur le plateau. Au début du IIIe siècle av. J.-C., deux habitats sont fondés : sur le site 7, l'occupation, qui se poursuit jusqu'à la fin du siècle, est caractérisée par un ensemble de fossés ouverts ; sur le site 3, elle est attestée par un bâtiment et un ensemble de silos. Vers le milieu du IIIe siècle, deux autres établissements sont créés. Le site 15 est matérialisé par un enclos ovalaire. Sur le site 19, l'enceinte, assez irrégulière, enserre un bâtiment et deux greniers. Si le rythme d'apparition et d'abandon de ces habitats est bien perçu, les liens qui les unissent éventuellement nous échappent.
Au milieu du IIe siècle av. n. è., l'occupation du plateau se densifie encore : 4 établissements (sites 3, 7, 9 et 17) apparaissent quasi simultanément. Délimités par un fossé, ils ont tous une organisation interne structurée : bâtiments répartis autour d'une cour centrale. Le caractère agropastoral des quatre occupations est avéré par la présence de greniers et de silos pour la conservation des productions agricoles. La diversité observée dans la taille de ces sites, le nombre de constructions et le degré de richesse du mobilier, indique des établissements de statuts différents. Ces fermes disparaissent dans la première moitié du Ier siècle av. J.-C.
Une société hiérarchisée, y compris dans la mort
À partir de la fin du IIIe siècle av. J.-C., l'incinération prédomine. Le corps est brûlé sur un bûcher, puis les os sont prélevés avec plus ou moins de soin et déposés dans des vases, des coffres, des paniers, etc. De la vaisselle de table en céramique, destinée aux repas dans l'au-delà, accompagne le défunt, parfois associée à des pièces d'habillement, des armes et divers objets tels que rasoirs, forces, etc. Ces dépôts fournissent de précieuses indications sur la place du défunt dans la société de l'époque. La nécropole la plus spectaculaire (site 4) comprend seize sépultures de la seconde moitié du IIIe siècle. Les chambres funéraires possédaient un coffrage et un plafond de bois. Six tombes sont couvertes par un édicule reposant sur une structure en bois (quatre poteaux ou sablière). Elles contenaient jusqu'à dix vases. Ces éléments indiquent le statut social élevé des défunts. Le site 14 a livré huit tombes à incinération datées des années 250 à 150 av. J.-C. Les dépôts y sont pauvres : quatre vases en céramique et quelques objets métalliques. Un troisième cimetière (site 2/12) a connu une longue utilisation, entre le milieu du IIIe siècle et le milieu du Ier siècle av. J.-C. Les dix-sept sépultures entouraient un édifice carré, érigé sur des poteaux de bois, interprétable comme un édicule cultuel. Un tel aménagement, au sein d'un cimetière, est inédit en Picardie.
Vers une spécialisation des activités rurales
En Gaule, le gouvernement de Rome a pris la forme d'un protectorat sur des peuples qui conservaient une large autonomie. Les élites détentrices des terres ont été globalement confortées dans leur position sans rupture radicale avec la période antérieure. Toutefois, le développement d'une économie de marché s'est traduit par des changements importants dans les productions agricoles, entraînant une réorganisation des modes d'exploitation et des établissements associés. Trois habitats gallo-romains ont été fouillés. Seul le site 3 a livré des informations intéressantes. Fondé à l'époque gauloise, il a révélé une forme d'occupation rurale peu documentée. En effet, dès le IIe siècle, une ou plusieurs unités artisanales semblent indiquer une diversification, voire un changement, de l'orientation économique du site. Ces modifications se sont accompagnées de plusieurs réorganisations radicales de l'établissement. Au Ier siècle de notre ère, les transformations s'inscrivent dans l'organisation spatiale mise en place à la fin du siècle précédent. Les réorganisations des IIe et IIIe siècles ne respectent plus les tracés antérieurs. Enfin, dans la première moitié du IVe siècle, les bâtiments dispersés semblent correspondre à plusieurs unités d'habitat distinctes qui disparaissent dans la seconde moitié du siècle : l'espace est remis en culture et un vaste secteur sert de carrière de limon.
Une romanisation rapide: le témoignage des sépultures
Huit tombes romaines ont été fouillées. Comme pour la période gauloise, l'usage de l'incinération prédomine jusqu'au IIIe siècle et les restes du défunt sont accompagnés d'un dépôt de vaisselle et d'aliments destinés à sa subsistance dans l'au-delà. Le mobilier céramique des 3 tombes de l'époque augusto-tibériennes* (site 2) témoigne de la romanisation des populations gauloises de la région dès le dernier quart du Ier siècle av. J.-C. Deux d'entre-elles recelaient, outre un dépôt particulièrement riche correspondant à un service de table de tradition romaine, une patère* à manche et une oenochoé*. Ces vases, aux formes spécifiques étaient utilisés soit pour des ablutions purificatrices et des libations dans le cadre religieux et funéraire, soit pour le service des liquides, lors des banquets. Leur présence dans la tombe permet de situer le défunt dans la classe sociale dominante vivant à la mode « gréco-romaine ».
Deux autres sépultures du milieu du Ier siècle (site 3) continuent la même tradition funéraire des dépôts abondants. En revanche, 3 incinérations du IIIe siècle sont très différentes : les restes du bûcher funéraire (ossements incinérés, fragments de céramique et charbons de bois) ont été déposés en vrac dans de simples fosses. Fait intéressant, elles sont voisines de structures de crémation, aménagements rarement conservés ailleurs.